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« Les Différentes Régions du ciel » et « Le Muguet rouge » : Christien Bobin, gardien des mots

Les Différentes Régions du ciel

de Christian Bobin

Quarto Gallimard, 1 018 p., 26 €

Le Muguet rouge

de Christian Bobin

Gallimard, 80 p., 12,50 €

On aurait aimé commencer cet article en se mettant d’emblée dans les pas de Christian Bobin. Suivre son allure feutrée, se laisser porter par la musique vivifiante de ses mots. Partir observer avec lui les arbres de l’automne ou les pierres humides du Creusot, déceler la vie qui y palpite, prendre en filature les pensées qui y grimpent… Mais la courte biographie de l’écrivain qui ouvre ce recueil d’œuvres choisies oblige à débuter autrement. Et par un soupir…

Ce texte succinct, placé sur le rabat de la couverture, rappelle l’essentiel du parcours de Christian Bobin. Il mentionne à juste titre l’importance du Très-Bas, sans doute l’un des plus beaux textes de l’écrivain, mais pourquoi ajoute-t-il qu’il fut « consacré de façon prémonitoire au poète hérétique François d’Assise ». François d’Assise, « poète hérétique » ? Jusque dans les introductions aux livres de Christian Bobin, les mots sont-ils aujourd’hui en danger de perdre leur sens? On aura compris que François d’Assise ne répond pas aux clichés que certains associent, pour toutes sortes de raisons, au christianisme, alors le plus simple n’est-il pas de l’arracher à son Église ? Être qualifié d’hérétique le rendra fréquentable et intéressant. Et tant pis pour la simple vérité.

Ce recueil de Christian Bobin témoigne heureusement d’un tout autre respect des mots. Lui est de ceux qui reconnaissent leur consistance, s’inclinent devant leur majesté, avant de les manier avec une infinie précaution. « Écrire est un art aussi fragile que vivre. Un rien les fausse », relève-t-il. Et un peu plus loin : « L’écriture tient le cœur comme un verre de grand vin, délicatement, par en dessous, elle y fait tourner la lumière puis l’avale en quelques phrases. »

Un pacte avec la vie

Le petit cabinet de curiosités qui introduit cette anthologie, mêlant photos, textes et objets personnels, est nimbé de cet amour des mots. On y trouve une presse typographique, un manuscrit, une photo de bibliothèque, une lettre, une table de travail en bois, un billet de TGV annoté… Il invite aussi à déchiffrer l’écriture muette des pierres de l’abbaye de Conques ou celle d’un visage aimé…

Chez Bobin, la littérature est un pacte avec la vie. L’écriture est une quête et un étonnement. « Ce que je connais, je ne l’écris pas. Ce que je ne connais pas, je l’écris. » Les pages qui s’écrivent sous cette bannière sont prudentes, lestées. « On ne devrait jamais écrire une seule phrase que l’on ne puisse chuchoter à l’oreille d’un agonisant », pose avec gravité Bobin, en citant le poète Henri Pichette. Ses livres sont un tamis de l’essentiel. Ils disent la vie sans craindre la mort, accueillent la mort sans lâcher la vie. Ce qui les rend anachroniques et précieux en notre temps où la mort n’a plus de mots.

L’écriture de Bobin porte la couleur du sang et a sa nécessité vitale. « J’ai de l’encre dans les poumons, j’ai de l’encre dans le cœur. J’ai de l’encre dans le sang. Sans écriture, il y a longtemps que j’aurais cessé de respirer. » Ce rouge inonde littéralement l’un de ses premiers textes jusqu’ici inédit, L’Eau des miroirs, lent récit d’un suicide étonnamment rédigé au féminin. Il palpite encore dans le titre de son nouveau livre, Le Muguet rouge : « muguets rouges fraîchement poussés » qui « s’apprêtent à incendier la plaine », comme les poèmes lorsqu’ils enflamment la page blanche. Chez Bobin, la poésie est « le réel absolu » et « don de lire la vie ». C’est dire pourquoi les mots doivent être choyés.