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« Les enfants regardent du porno, il faut en parler avec eux », explique la réalisatrice de porno éthique Erika Lust

C’est LA discussion que beaucoup de parents redoutent d’avoir avec leurs enfants. D’ailleurs, beaucoup l’évitent tout bonnement. Pourtant, les chiffres sont sans appel : les enfants sont de plus en plus tôt exposés à des contenus à caractère pornographique : en moyenne dès l’âge de 10 ans, selon une récente étude menée en Ile-de-France. Des images qui peuvent affecter durablement les enfants et ados, surtout s’ils n’ont pas la possibilité d’en parler en confiance autour d’eux. D’autant que ce n’est pas à l’école qu’ils peuvent trouver des réponses : si la loi française prévoit la mise en place d’au moins trois cours annuels d’éducation à la sexualité durant le collège et le lycée, dans les faits, le compte n’y est pas. SOS Homophobie, Sidaction et le planning familial viennent ainsi d’attaquer l’Etat devant la justice pour le contraindre à s’acquitter de cette mission.

C’est face à ce constat qu’Erika Lust, réalisatrice de films porno éthiques, a lancé en 2017 avec son mari, Pablo Dobner, The Porn Conversation, une plateforme proposant aux parents et aux personnels éducatifs des outils gratuits pour aborder avec les enfants et adolescents les questions liées à la sexualité et au porno. « Et aujourd’hui, cette plateforme est désormais accessible en français », indique à 20 Minutes Erika Lust, pour qui « il ne faut pas avoir peur de parler de porno aux enfants ».

Pourquoi est-il important de parler du porno aux enfants et adolescents ?

Beaucoup d’adultes ont cette peur panique à l’idée de parler de porno avec leurs enfants. Quand j’ai lancé The Porn Conversation, beaucoup de parents m’ont dit : "Mais que cherches-tu ? Tu veux que nos enfants regardent du porno ?" Alors que c’est l’inverse ! Je suis certes réalisatrice, mais je ne recommande à aucun moment de montrer du porno à des mineurs. Mais la réalité, c’est que les enfants en regardent déjà, et qu’il est primordial de décrypter avec eux ce qu’ils voient. Eviter cette conversation ne sert à rien, c’est même dangereux : si on n’en parle pas, qu’on ignore le fait que les plus jeunes ont accès à du porno sur les grands sites gratuits, on ne leur donne pas la capacité de comprendre que c’est de la fiction, créée de toutes pièces, incarnée par des performeurs. Que ces productions véhicules des stéréotypes et des préjugés qui affectent la manière dont les jeunes vont construire plus tard leur sexualité, leurs rapports humains et la manière dont ils peuvent se protéger de certaines situations.

Le porno reste un énorme tabou. La plupart des gens en regardent, mais personne n’en parle avec ses amis, on nettoie nos historiques d’ordinateur, on le cache et on n’a pas envie d’imaginer que les enfants y ont accès. Si The Porn Conversation a vu le jour, c’est parce que je suis mère de deux enfants de 12 et 15 ans, et que je suis aussi une réalisatrice de films porno, ce qui fait de moi une curieuse combinaison.

Comment parlez-vous du porno à vos enfants ?

J’essaie de leur donner une éducation positive à la sexualité, et travailler dans cette industrie m’offre un avantage : j’ose avoir ces conversations. En parlant de ces questions librement avec mes enfants, je leur donne la possibilité de devenir acteurs du changement dans leur communauté, en leur donnant les moyens de réagir si quelque chose de problématique se produit.

Par exemple, dans la boucle WhatsApp de la classe de mes enfants, l’un de leurs camarades a posté des « dick pic » pour plaisanter, et mes enfants lui ont demandé de les retirer immédiatement sous peine de l’exclure de la boucle, expliquant que c’était inapproprié. Dans les deux minutes, l’ado a retiré ces images et s’est excusé.

Comment « The Porn Conversation » aide-t-il les adultes à parler de porno aux plus jeunes ? On n’aborde pas le sujet de la même manière avec un enfant ou un ado quasi majeur, non ?

Les parents sont souvent perdus, parce qu’eux-mêmes n’ont pas reçu d’éducation à la sexualité, donc ils n’ont aucune idée de comment avoir cette discussion. On a donc voulu combler ce vide, en proposant des guides conçus avec l’aide de spécialistes selon différentes tranches d’âge : pour les 8-11 ans, les 12-15 ans et les plus de 16 ans, parce qu’on ne parle évidemment pas de sexe de la même manière à un enfant de 9 ans ou à un ado de 17 !

Quand on parle de porno à de jeunes enfants, il s’agit déjà de prendre acte du fait que ça existe, que des camarades peuvent leur en montrer, et leur dire qu’ils risquent de tomber sur des images qui pourraient les mettre mal à l’aise, et qu’en tant que parents, on est là pour en discuter avec eux. Il faut leur expliquer que le porno n’est pas fait pour eux, que c’est de la fiction, conçue pour les adultes. L’important est de créer un espace de confiance et de parole, de sortir du tabou. Parce qu’en grandissant, ils vont en entendre parler de plus en plus, et vont vouloir savoir de quoi il s’agit, et s’ils ne peuvent pas en parler avec vous, ils vont aller sur internet et tomber sur des sites pour adultes : une recherche sur quatre sur internet concerne le porno.

Et quand les adolescents se rapprochent de leur entrée dans la sexualité, il est important, outre les questions d’anatomie et de la prévention des IST et des grossesses non désirées, d’aborder d’autres questions fondamentales liées au consentement, aux limites, au plaisir. Et leur apprendre à déconstruire des notions véhiculées par le porno hétéronormé.

De quelle manière ces stéréotypes véhiculés par le porno affectent-ils les jeunes, et comment les en protéger ?

Je vois au quotidien comment les jeunes, femmes, hommes, queers, luttent avec leur sexualité à cause des effets délétères du porno, y compris à l’âge adulte.

Oser en parler, répéter que c’est de la fiction, que ce n’est pas une représentation de la sexualité réelle, faire de la prévention sont des moyens de faire évoluer les choses. C’est la même chose que d’appréhender les premières sorties de ses enfants dans des bars ou des soirées : on leur parle des risques de l’alcool, du tabac, des drogues, de l’importance de ne pas laisser leur verre sans surveillance. Des messages normaux et fondamentaux de prévention, et en parler ne veut pas dire qu’on leur sert des drogues et de l’alcool sur un plateau. Eh bien c’est pareil avec le porno !