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Les images générées par intelligence artificielle bientôt plus réalistes que les photoreportages ?

Ces dernières semaines, sur les réseaux sociaux, elles se sont multipliées comme des petits pains. Au point de mettre le doute à de nombreux internautes. Elles, ce sont les fausses images générées par des outils d’intelligence artificielle, nommés Midjourney ou Dall-E. Si celles d’Emmanuel Macron manifestant contre sa propre réforme des retraites, interpellé par la police ou habillé en éboueur laissent peu de doutes sur leur provenance - tant elles sont surréalistes –, d’autres sont plus plausibles et posent de réels problèmes éthiques.

The hand strikes again🖖: these photos allegedly shot at a French protest rally yesterday look almost real - if it weren't for the officer's six-fingered glove #disinformation #AI pic.twitter.com/qzi6DxMdOx

— Nina Lamparski (@ninaism) February 8, 2023

D’autant que les deux outils sont désormais disponibles en version bêta ouverte, c’est-à-dire accessible à tout le monde. Il suffit d’une seule phrase de description pour créer une fausse image plus vraie que nature. « Les modèles s’améliorent à vitesse grand V. En un an, les progrès réalisés sont énormes. Il reste quelques artéfacts, mais elles sont très réalistes », concède Virginie Mathivet, directrice du département Data Science et Engineering chez TeamWork. Et c’est Midjourney qui remporte la palme, selon Olivier Zetlers, cofondateur de Yokai.ai, une start-up française experte en IA générative : « C’est certainement le meilleur modèle au monde. La dernière version, mise en ligne mi-mars, a dépassé les attentes de beaucoup, notamment en matière de photoréalisme, elle est bluffante ».

« Il faudra partir du principe qu’une photo est fausse »

Pour le moment, certains détails permettent encore de détecter qu’il s’agit de fausses images, comme des mains avec six doigts, des yeux de différentes couleurs ou des visages asymétriques. « Il y a encore des incohérences, mais ça va être réglé rapidement. C’est plus une question de semaines que de mois d’ailleurs », estime Olivier Zetlers. Et pour Virginie Mathivet, il sera bientôt difficile, voire impossible, de faire la différence entre une photographie prise par un journaliste et une fausse image générée par un outil d’intelligence artificielle. « Bientôt, il faudra partir du principe qu’une photo est fausse. L’adage, "je ne crois que ce que je vois", ça ne sera bientôt plus possible », met-elle en garde.

Mais pour l’ingénieure, il faut bien garder en tête que même avec les progrès et un réalisme poussé à l’extrême, ces images générées par des outils d’intelligence artificielle resteront des illustrations : « On pourra créer des images plus vraies que nature, mais ce ne sera pas de la photo, ce sera de l’illustration réaliste. Il y aura toujours des différences », explique-t-elle. « L’intelligence artificielle, ça reste du mimétisme poussé à l’extrême. Ces outils ne produisent pas des photos originales ou uniques », complète de son côté Olivier Zetlers.

D’autant que les « fausses photos » ne sont pas nouvelles, rappelle le spécialiste : « Des photomontages hyperréalistes, on en faisait déjà il y a dix ans avec Photoshop. Sur les réseaux sociaux, il y en a tous les jours ». La seule différence désormais, selon le cofondateur de Yokai.ai, c’est qu’avec l’intelligence artificielle, les outils sont accessibles à tout le monde et ces images se réalisent en quelques secondes.

« Une photo, c’est un récit de la personne qui l’a vécu »

De quoi inquiéter les photoreporters, qui pourraient craindre que leur travail soit remplacé par des images générées par l’intelligence artificielle. Pour Jean Rognetta, journaliste et cofondateur de Qant, une newsletter technologique quotidienne écrite et illustrée à l’aide de plusieurs outils d’intelligence artificielle (IA) « générative », « tous les métiers ayant trait à la génération de contenus vont être profondément bouleversés, y compris les photojournalistes ».

Malgré ces changements, pas question de parler de « grand remplacement », selon l’ancien rédacteur en chef de Forbes France. « Toutes les IA du monde ne pourront pas remplacer les photojournalistes, car leur spécificité, c’est de pouvoir dire "Moi j’étais là, j’ai vu, je peux raconter" ». Et pour Jean Rognetta, ce qui donne l’exceptionnalité à une photo, « c’est aussi le courage et la prise de risque de son photographe » qui peut se trouver dans des situations dangereuses.

Car l’essence même d’un photographe, c’est bien d’être témoin d’un fait, contrairement aux images générées par l’intelligence artificielle, selon Olivier Zetlers : « La valeur ajoutée du photojournaliste, c’est de capter une image d’un fait qui s’est véritablement produit, la réalité du moment. Il est vraiment allé sur le terrain, il a vraiment appuyé sur l’objectif, il a vraiment été témoin ». Sans oublier, rappelle Virginie Mathivet, la notion de mémoire d’une photographie : « Si on prend la célèbre photo du manifestant devant les chars de Tiananmen, en photographiant ce moment et cet homme, le journaliste a permis de conserver la mémoire de ce dernier, de ce qu’il a vécu », explique l’ingénieure.

« Plus une opportunité qu’un risque pour les médias »

S’il y a bien un point sur lequel les trois spécialistes sont d’accord, c’est l’importance de savoir repérer les « fausses » images des vraies photographies. « C’est une question de pédagogie, d’éducation et de sensibilisation. Il faut que les gens puissent authentifier de manière fiable, raisonnable et éthique le vrai travail des journalistes, faire la différence avec une image générée par IA », analyse Olivier Zetlers. Car le risque, c’est « d’engendrer des effets paralysants ». En d’autres termes que la population ne croit plus à l’authenticité d’une photographie et parte du principe qu’elles sont toutes fausses : « Petit à petit, les gens pourraient perdre la confiance résiduelle dans les médias, elle pourrait s’éroder », craint Jean Rognetta.

Et pour le journaliste, les médias auront une responsabilité : « C’est une question de déontologie. Les médias devront s’assurer de publier des vraies photographies et si ce n’est pas le cas, de mentionner qu’il s’agit d’une image générée par l’intelligence artificielle. Il faut que ce soit très clair ». Une responsabilité qui pourrait également être l’occasion pour les médias de restaurer la confiance avec le grand public, estime Virginie Mathivet : « Ça peut être plus une opportunité qu’un risque pour les médias, de revenir sur le devant de la scène, de se réapproprier leur rôle premier, d’être porteur de l’information. Ce sera un phare qui dira : la vraie info, c’est ça ».