France
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Les pays d'Afrique francophone redoutent une fuite de leurs médecins vers la France

Dans sa loi immigration, le gouvernement français prévoit entre autres mesures la création d’une carte de séjour spécifique pour les médecins étrangers. Les pays d’Afrique francophone, grands pourvoyeurs des hôpitaux français, redoutent un pillage de grande ampleur de leurs ressources qualifiées.   

Le gouvernement français n'est-il pas en train d'allumer un contre-feu ? C'est en tout cas ce que l'on assure dans les rangs de l'opposition. Après plusieurs reports, c'est finalement en pleine agitation sociale sur la réforme des retraites, que l'exécutif a dégainé son projet de loi immigration en Conseil des ministres, mercredi 1er février. 

Accusé de laxisme par la droite et d'inaction par la gauche sur la question migratoire, le ministre de l'Intérieur Gérald Darmanin et celui du Travail Olivier Dussopt ont donc présenté un texte qui illustre à merveille l'antienne présidentielle du "même temps". D'un côté, le projet de loi dans son volet répressif prévoit des mesures pour faciliter les expulsions, surtout des étrangers "délinquants". De l'autre, le volet humaniste comprend une réforme du droit d'asile et un volet intégration, dont l'octroi de titres de séjours pour les sans-papiers employés dans les "métiers en tension", comme la restauration, l'hôtellerie, le tourisme, la propreté, la sécurité, l'aide à domicile ou la santé, à l'instar de “Talent professions médicales et de pharmacie”. En somme, il s'agit "d'être méchant avec les méchants et gentils avec les gentils", a résumé le patron de la place Beauvau. 

"On souhaite transférer nos déserts médicaux dans les pays issus de nos anciennes colonies" 

Problème, au-delà des clivages politiques, ce texte entraîne des inquiétudes de part et d'autre de la Méditerranée. Certains pays africains redoutent notamment que l'article 7 du projet de loi, qui propose un nouveau cadre pour les professionnels de santé, dont les médecins, les sages-femmes, les chirurgiens-dentistes et les pharmaciens, n'entraîne de facto un exode de ces professionnels et donc une réduction de l'accès aux soins des populations du Maghreb et d'Afrique subsaharienne.  

Une tribune publiée le 7 janvier dans le Journal du dimanche (JDD) par quatre praticiens français va dans ce sens. "On souhaite transférer nos déserts médicaux dans les pays issus de nos anciennes colonies. Mais comment vouloir attirer les médecins de ces pays sans accepter ensuite de recevoir leurs populations malades laissées sans soins ? On ne limitera pas l'immigration illégale en continuant à priver les pays d'origine de leurs ressources naturelles, technologiques et humaines, assènent André Grimaldi, Jean-Paul Vernant, Xavier Emmanuelli et Rony Brauman. Nous devons au contraire accepter de participer à la formation de leurs futurs professionnels de santé dans le cadre d'accords bilatéraux répondant aux besoins des populations locales".  

Autre grief formulé par les détracteurs de la loi, le fait que la proposition de loi ne précarise davantage les médecins étrangers, déjà moins bien moins bien payés que leurs homologues français. D'abord parce que la carte de séjour de ces médecins n'a qu'une validité de quatre ans sans aucune garantie pour la suite. Ensuite parce que le projet de loi n'évoque pas la question de la validation des acquis que les étudiants sont venus chercher en France. Or, les démarches pour les obtenir relèvent souvent du casse-tête : la procédure d'autorisation d'exercice (PAE), qui a pourtant été simplifiée, peut encore prendre plusieurs années. 

Une main d'œuvre médicale venue du Maghreb et d'Afrique subsaharienne 

Actuellement, la France fait, en effet, massivement appel à cette main-d'œuvre qualifiée pour faire fonctionner un système de santé devenu défaillant au fil des ans. Selon l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), la France a embauché l'année passée quelque 25 000 médecins nés à l'étranger, soit 12 % du nombre total de praticiens enregistré à l'ordre des médecins. Cette tendance ne date pas de la crise sanitaire. Les chiffres ont été multipliés par trente ces vingt dernières années.  

Et cette tendance s'intensifie. Le nombre de visas accordés aux étudiants africains en formation pour la rentrée 2020-2021 a connu une hausse de 32,5 %. Le nombre d'étudiants d'Afrique subsaharienne a grimpé de 41 % en cinq ans, selon les données de l'agence Campus France. La majorité des médecins étrangers proviennent en premier lieu de l'Europe de l'Est mais aussi de l'Algérie, du Maroc, de la Tunisie, de Madagascar, du Sénégal, du Cameroun, de la Côte d'Ivoire, du Bénin et de la République démocratique du Congo (RDC). 

Un projet de loi du gouvernement français sur l'immigration doit être présenté en conseil des ministres en janvier, avec une proposition de titre de séjour pour les médecins étrangers. Une tribune est intitulée « Ne privons pas l’Afrique de ses médecins », avec Rony Brauman. pic.twitter.com/aRQjsQiLNV

— Le journal Afrique TV5MONDE (@JTAtv5monde) January 12, 2023

Une pratique mondiale 

La France n'est pas le seul pays à piller les ressources intellectuelles des pays du Sud. Cette tendance s'inscrit dans un mouvement plus large qui s'opère dans tout l'Occident. La France est même en dessous de certains de ses voisins européens. Les pays de l'OCDE comptent en moyenne 25 % de médecins étrangers quand la France n'en compte que 12 %. Au Royaume-Uni, plus d'un médecin sur trois qui pratique à l'hôpital public, vient d'Inde, du Nigeria ou d'Égypte.  

Les détracteurs du projet de loi français critiquent plus généralement l'absence de coopération européenne. "Ce qui me frappe, c'est que l'on parle beaucoup de ce qui se passe en France avec notre administration, nos institutions et très peu de notre coopération avec les pays d'origine pour qui les migrations représentent un sujet très important et un levier de développement considérable, explique Camille Le Coz, analyste au sein du think tank Migration Policy Institute. L'immigration a des effets sur les pays d'origine, sur les pays de transit. Si l'on veut obtenir une politique à long terme, il faut une dynamique de partenariat gagnant-gagnant." 

Une coopération possible 

Sur ce point, la guerre en Ukraine et l'accueil des réfugiés a montré que "l'Union européenne était capable d'envisager une politique migratoire commune et de se coordonner sur l'accueil des populations déplacées. De nouveaux dispositifs ont d'ailleurs été testés à cette occasion", poursuit la spécialiste. 

Une telle "dynamique de partenariat" avec les pays d'Afrique francophone ne semble pas à l'ordre du jour du gouvernement. Gérald Darmanin et le ministre du Travail Olivier Dussopt, qui porte la partie économique du projet de loi, ont tous deux laissé entendre que des aménagements du texte étaient possibles. Mais des modifications à la marge seront principalement destinées à séduire les Républicains, membres de l'opposition indispensables pour faire passer la loi. Le projet sera discuté mi-mars au Sénat, et fin mai à l'Assemblée. Une nouvelle fois, l'exécutif pourrait avoir recours au dernier 49.3 de la session parlementaire. "Je suis prêt à un compromis, sans tout dénaturer", a lâché dans la journée Gérald Darmanin, déterminé.