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« Ligne de fuite », de Sara Baume : travail de la mort, mouvement de la vie

Frankie, une étudiante en art qu’épuise Dublin, se ressource au spectacle de la nature. Ce roman de l’écrivaine irlandaise est une bouffée d’air pur.

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« Ligne de fuite » (A Line Made by Walking), de Sara Baume, traduit de l’anglais (Irlande) par France Camus Pichon, Notabilia, 368 p., 23,50 €, numérique 15 €.

Dans la vie de Frankie, il y a désormais moins d’humains que d’animaux. La Dublinoise de 25 ans fuit ses congénères vivants, mais convoque les morts, et, entre tous, sa grand-mère récemment disparue. Ne supportant plus son studio, « d’une longueur équivalente à celle de quarante-quatre cuillers de bois », elle habite depuis quelques mois la maison de son aïeule, perchée sur une colline loin de la ville. Etudiante en art, la narratrice de Ligne de fuite, deuxième roman de l’Irlandaise Sara Baume, ne sait plus comment choisir, entre la « version originale d’elle-même », celle de l’enfance, et ses « versions successives ». Cette ascèse existentielle lui permettra d’écouter sa musique intérieure pour s’autoriser une vacance des choses, et vivre dans cette blancheur : déchirée entre celles qu’on voit, alors qu’elles ne sont pas là, et vice versa, elle se sent claustrophobe…

Car le temps est loin où elle croyait qu’en creusant assez profond dans le sable elle trouverait un raccourci pour l’Australie… Le titre d’une des œuvres d’art contemporain qu’elle se récite pour tester ses connaissances, et vérifier qu’elle est toujours en vie, le dit à sa place : « Tout est un problème » (Everything is Wrong, de Henrik Plenge Jakobsen, 1996). Le monde, pour la jeune fille, est ­devenu une « couche sombre, ­rugueuse, froide et ferme ». La ­demeure désertée est à l’avenant de ses humeurs : tout casse et tombe en un lent pourrissement, « puanteur de l’abandon ». Mais tout dépend de quel côté de la ­lorgnette on se place : Frankie peut choisir d’y voir le travail de la mort aboutissant au néant, ou au contraire le mouvement de la vie qui imprime sa trace, « grince, cliquette, couine et tressaute » en un déroulement organique.

Pour inventer le chemin qui la mènera de nouveau à sa grand-mère, en faire émerger le souvenir ou la possibilité, elle crée ses propres rites funéraires, qui sont autant de performances. Allongée par terre, sur la moquette verte ou dans le jardin, elle écoute le bruissement de l’existence, collectionnant les cadavres de créatures. Cette faune qui peuple les alentours, qu’elle se met à prendre en photo, sert d’intercesseur entre disparus et vivants : de la chair animale défunte, elle fait une mémoire neuve, une image fantôme, qui l’aide à négocier avec le désespoir. Puisque l’œuvre se dissout une fois germée. Créer à partir de la dissolution même est une façon d’inverser la démarche artistique : si l’objet s’évapore sitôt mis en boîte, le geste créatif, mettant à mort la mort, s’en trouve revivifié.

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