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Loi anti-squat : faut-il durcir les sanctions contre les occupants illégaux ? [Face à face]

Christophe Demerson, président d el'Union nationale des propriétaires immobiliers (UNPI)
Christophe Demerson, président de l’Union nationale des propriétaires immobiliers, défend les intérêts de 80 000 adhérents. (Photo UNPI)

Pour quelles raisons soutenez-vous la proposition de loi anti-squat portée à l’Assemblée par la majorité présidentielle ?

Cela fait longtemps que nous réclamons un rééquilibrage du rapport de force entre propriétaires bailleurs et occupants illicites. Tripler les sanctions encourues, jusqu’à trois ans de prison et 45 000 euros d’amende, est symboliquement essentiel : le squatteur risquera ainsi autant que le propriétaire condamné pour avoir changé la serrure d’un bien dans lequel on est entré par effraction. Il y a aussi urgence à réduire la durée de la procédure judiciaire parce qu’on assiste à une véritable professionnalisation du squat. Des marchands de sommeil s’approprient des biens et multiplient les recours pour les sous-louer illégalement. Ils savent que le temps va jouer pour eux et qu’il s’écoulera deux, trois ans… avant que l’expulsion soit effective. Après quoi, ils recommencent ailleurs.

Le texte prévoit aussi de raccourcir les délais procéduraux face aux impayés de loyer. Que répondez-vous aux associations qui dénoncent une criminalisation des plus précaires ?

C’est une erreur d’analyse. On ne verra jamais un propriétaire bailleur, s’il a un bon locataire, se retourner contre lui parce qu’il a des difficultés passagères. Les propriétaires eux-mêmes ne sont pas tous des nantis, loin s’en faut, alors qu’on ne nous fasse pas de faux procès : cette proposition de loi est faite pour s’attaquer, avec pragmatisme, aux squatteurs et aux mauvais payeurs professionnels, pas aux autres. Ceux qui en font un combat idéologique vont à l’encontre des intérêts des personnes qu’elles entendent défendre.

Que voulez-vous dire ?

Pourquoi croyez-vous que le marché locatif est aussi tendu ? Parce que, de peur des impayés (*) et des dégradations, les propriétaires n’osent plus mettre leurs biens en location. Un appartement squatté dans un immeuble de quatre logements et c’est l’ensemble des locataires qui déserte. Un défaut d’entretien dans un logement occupé par des squatteurs, auquel le bailleur n’a même pas accès ? C’est lui qui sera condamné, une aberration ! N’oublions pas que 30 % des bailleurs comptent sur la perception d’un loyer pour disposer d’un complément de revenu vital. Tous ne sont pas couverts par la garantie Visale ou une assurance impayés. Les associations de solidarité avec les démunis qui s’opposent à la proposition de loi anti-squat s’inquiètent-elles des charges de copropriété et de la taxe foncière que ces modestes investisseurs sont tenus d’assumer, quand bien même aucun loyer ne leur est versé ?

* Quelque 150 000 litiges pour loyers impayés ont été soumis aux tribunaux en 2019, avant la crise sanitaire.

Marie Rothhahn, fondation Abbé-Pierre : « De nombreuses personnes vont se retrouver à la rue »

Marie Rothhahn, chargée de mission d'accès aux droits à la fondation Abbé Pierre
Marie Rothhahn, chargée de mission d'accès aux droits à la fondation Abbé Pierre (Marie Rothhahn)

Pourquoi la Fondation Abbé-Pierre est-elle vent debout contre cette proposition de loi anti-squat ?

Parce qu’elle est scandaleuse, honteuse, et nous inspire beaucoup d’inquiétude. Les dispositions qu’elle propose sont contre-productives et totalement incohérentes avec la politique gouvernementale de prévention des exclusions. Le texte renforce des peines de prison déjà existantes et veut les étendre à toutes les personnes qui squattent, sans distinguo entre les squats de domicile (1) et les locataires qui se retrouvent en procédure d’expulsion suite à un impayé ou un congé. On est vraiment dans un autre monde !

La détresse de petits propriétaires dont les biens sont squattés et dégradés peut aussi se comprendre, non ?

Oui, mais il n’est pas acceptable de mettre en exergue la situation dramatique d’une toute petite partie des propriétaires pour pénaliser le plus grand nombre. Rappelons que la majorité des logements sont détenus par des multipropriétaires (dix biens et plus), que la loi en vigueur suffit à protéger. En cas de squat d’un domicile, elle prévoit déjà une procédure d’expulsion accélérée, qui ne passe pas devant le juge et qui agit en deux - trois jours, sanction pénale à la clé. Tripler les peines ne servirait à rien, si ce n’est à engorger des prisons déjà pleines.

Concernant les logements vacants, de loin les plus squattés, le juge est saisi en quelques semaines - quelques mois compte tenu des délais judiciaires. Le magistrat fait l’équilibre entre, d’un côté, le droit au logement et, de l’autre, le droit de propriété. Face à un propriétaire en réelle difficulté, il va aller très vite. Un peu moins - et c’est normal - si des personnes vulnérables occupent un logement, vide, pour lequel le gros bailleur n’a aucun projet immobilier.

Que craignez-vous si ce texte est voté ?

Cette proposition de loi met les squatteurs professionnels et les personnes qui n’arrivent pas à payer leur loyer dans le même panier. Son adoption augmenterait drastiquement le nombre de ménages expulsés, quand 2,2 millions de locataires en France sont en attente d’un logement social. Rester dans les lieux parce qu’on n’a pas d’autre endroit où aller, après une perte d’emploi ou un cancer, conduirait en prison, pour des années : c’est disproportionné… On n’attend pas de l’État qu’il mette davantage de personnes à la rue mais qu’il agisse pour rétablir la garantie universelle des loyers et lutter contre les 3,1 millions de logements vacants.

(1) 170 procédures d’expulsion menées à terme en 2021

(2) Ce projet prévoyait, en 2014, un cautionnement des locataires par le service public, mais il a été abandonné et remplacé par la garantie Visale