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Lutte contre le dérèglement climatique: «Il faut réinventer nos imaginaires. C’est aussi le rôle des médias»

Transports, alimentation, végétalisation… En 2023, Libé explore la thématique de la transition écologique lors d’une série de rendez-vous inédits. Objectif : trouver des solutions au plus près des territoires. Première étape, Bordeaux, les 4 et 5 février. Un événement auquel se sont associés des étudiants de première année de l’Institut de Journalisme Bordeaux Aquitaine.

Journaliste et réalisatrice engagée dans la lutte contre le dérèglement climatique, Paloma Moritz, que l’on peut retrouver sur son média, Blast, le souffle de l’info. Rencontre à Bordeaux où Paloma Moritz participait à la conférence «Energies chères : Comment lutter contre la précarité énergétique».

Que pensez-vous du traitement médiatique de la crise écologique ?

Je pense que les médias «mainstream», c’est-à-dire ceux qui ont la plus grande audience, ont une responsabilité immense dans la lutte contre l’inaction climatique. Le dernier rapport du Giec le dit clairement : leur travail détermine la compréhension des enjeux climatiques par les citoyens, mais également leur volonté à agir. Leur rôle est donc de permettre à un maximum de personnes de comprendre ce qu’il se passe, comment nous en sommes arrivés là, mais aussi comment faire face à ce défi sans précédent. En bref, créer les conditions d’un débat public et démocratique de qualité face à l’urgence écologique. Et il faut le reconnaître, nous en sommes encore loin.

Aujourd’hui, même si les médias parlent davantage du problème écologique, ils en parlent souvent mal. Ils ont tendance à remettre la faute sur les individus, sans jamais vraiment questionner en profondeur notre modèle de société ou même nos modes de consommation par exemple.

Sur une note plus positive, on voit tout de même depuis quelques mois un changement de ton. Il y a de plus en plus de formations dans les médias, de rencontres avec les scientifiques… Les journalistes prennent progressivement conscience de la gravité de la situation dans laquelle nous sommes et de l’importance d’un traitement médiatique qui ne se résume pas à une simple rubrique «environnement».

Que devraient faire les médias pour «mieux» parler d’écologie ?

Je pense qu’il y a beaucoup de manières différentes d’améliorer le traitement médiatique de l’urgence écologique. En premier lieu, il y a la nécessité d’enquêter davantage sur les origines du problème, les blocages : sur les activités les plus polluantes, sur les conflits d’intérêts… Mais il y a également une urgence à enquêter sur les réponses, les solutions à mettre en place. Pourquoi aujourd’hui, les billets d’avion coûtent-ils moins cher que les billets de train pour une même destination ? Pourquoi y a-t-il autant de personnes qui n’ont pas d’alternatives à la voiture ? Comment faire autrement ? C’est essentiel de s’interroger et de critiquer de façon constructive les politiques gouvernementales, européennes et internationales sur ces questions-là. De montrer les alternatives. Car il s’agit de notre avenir et de nos conditions de vie. Tout simplement.

D’autre part, il faut généraliser les formations pour les journalistes (et les étudiants en journalisme) afin qu’ils puissent réellement comprendre les enjeux actuels et la gravité de la situation. De cette manière, à chaque fois qu’ils traiteront un sujet de société, un sujet économique ou politique, les questions écologiques resteront dans un coin de leur tête !

On entend beaucoup parler de «finance verte», de «Green New Deal» ou de «capitalisme vert» quand il s’agit de parler d’écologie. Qu’en pensez-vous ?

Je pense qu’il y a une nécessité aujourd’hui de sortir de ce mythe de la «croissance verte». L’urgence écologique nous invite à questionner en profondeur notre vision du monde, notre vision de la société et potentiellement aussi notre vision de nous-même.

Malheureusement, un certain nombre de personnes préfèrent rester dans le déni, et miser sur le «solutionnisme technologique» – cette idée selon laquelle la technologie à elle seule pourrait nous sauver. C’est très rassurant ! Cela permet de ne pas remettre en question le modèle économique qui nous a conduit dans le mur, de ne rien changer vraiment. Et par exemple, de croire que l’on va pouvoir continuer à prendre autant l’avion (parce qu’il sera «vert»), à manger autant de viande (de synthèse cette fois) grâce aux innovations des laboratoires. Mais ce ne sont que des fausses solutions en marge du problème ! Des solutions qui reposent sur des paris risqués et ignorent les limites planétaires. Il est important de rappeler qu’il y a des limites à la croissance, que l’on ne peut pas avoir une croissance infinie dans un monde fini. On le sait depuis 1972 et le rapport Meadows. Nous sommes obligés de prendre en compte les limites géophysiques de notre planète : un problème que nous n’allons pas régler à coups d’aspirateur à carbone…

Notre premier ennemi, c’est le consumérisme : un modèle de société dans lequel on nous a laissés penser que «plus», c’est toujours mieux en créant des besoins artificiels. C’est aussi le capitalisme néolibéral et son rythme effréné, puisque les entreprises qui polluent le plus sont aussi les entreprises les plus rentables aujourd’hui. Ces entreprises n’ont aucun intérêt à faire de réels efforts alors elles préfèrent faire du greenwashing ! Et elles ont une grande influence sur les pouvoirs politiques… C’est un véritable problème, car ceux qui pourraient changer les choses n’ont pas intérêt à le faire.

Pour cette raison, il faudrait refonder complètement notre démocratie et faire en sorte que les lobbies aient beaucoup moins de poids dans les prises de décision. Il faudrait aussi réinventer nos imaginaires, redonner du sens à nos sociétés, renouer avec la question des limites, dont on s’est affranchi pendant un temps. Et ça, c’est aussi le rôle des médias que de proposer d’autres lunettes pour regarder le monde.

A Blast, votre média, comment parle-t-on d’écologie ?

Nous avons fait partie du collectif qui a initié la charte «pour un journalisme à la hauteur de l’urgence écologique». C’est une sorte de boussole qui devrait orienter la majorité des journalistes pour véritablement changer le traitement de l’information en profondeur.

Dans mon travail à Blast, j’essaie de parler d’écologie de la façon la plus globale et pédagogique possible à travers des vidéos de décryptage mais aussi de grands entretiens (mon objectif est de mettre les questions de climat, de biodiversité, de justice sociale et climatique au cœur du débat public).

J’ai choisi de donner la parole aux personnes qui ne l’ont pas assez, d’aborder avec elles les questions philosophiques, politiques et scientifiques que pose l’urgence écologique. Ce qui me tient à cœur c’est d’émanciper par l’information, de créer des prises de conscience et donner envie d’agir. Lorsque je conçois mes vidéos, j’essaie de montrer que lorsque l’on parle d’urgence écologique, on parle d’absolument tout, et que c’est passionnant. Tout est à réinventer ! Et il va falloir que l’on soit le plus de cerveaux possible pour le faire.