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Macron à Washington pour tenter de préserver l'industrie européenne

Les relations commerciales entre les Etats-Unis et l'Europe ne sont pas au beau fixe. Après le vote de l'Inflation reduction act (IRA) par le congrès américain de 369 milliards de dollars, les inquiétudes montent dans les instances européennes et les couloirs du ministère de l'Economie français. Le protectionnisme américain « est un sujet de préoccupation pour les Européens », explique un ponte de Bercy habitué des réunions internationales. « D'un point de vue commercial, la préoccupation la plus importante est l'inflation reduction act », souligne un haut fonctionnaire de la Commission européenne, spécialiste des politiques commerciales.

Chez de nombreux experts et économistes, le plan de Biden est salué pour ses ambitions en matière de transition après le mandat chaotique de Donald Trump, marqué par des reculs jugés dangereux sur le plan climatique. Mais certaines dispositions ont fait bondir les promoteurs du libre-échange.

En déplacement jusqu'à vendredi sur le sol américain, le président français doit rencontrer son homologue Joe Biden à l'occasion d'une visite diplomatique de trois jours. A l'automne 2021, l'annonce par la présidence américaine de l'alliance Aukus avec l'Australie et le Royaume-Uni avait suscité la colère de l'Elysée, privant la France d'un mégacontrat de sous-marins à plusieurs milliards. Un an après cet épisode orageux, la tension est loin d'être retombée. La pandémie et la guerre en Ukraine ont complètement rebattu les cartes des routes commerciales sur la planète accentuant les tensions entre les grandes puissances.

Face à ce bouleversement, « il y a un besoin de resynchronisation des agendas américain et européen», explique l'entourage du chef de l'Etat qui devrait faire la promotion d'un « buy european Act » au cours de son déplacement. Dans la délégation française, plusieurs grands patrons vont accompagner Emmanuel Macron sur le sol étatsunien. Sont attendus le PDG de LVMH Bernard Arnault, Philippe Knoche (Orano), Patrick Pouyanné (TotalEnergies), Luc Rémont (EDF) ou encore Maxime Saadé (CMA-CGM).

« Buy European » : l'impossible réponse européenne face au protectionnisme américain

Des exemptions sur le modèle du Mexique et du Canada

La mise en oeuvre de l'Inflation reduction act à partir du premier janvier prochain devrait être particulièrement scrutée par les diplomates européens. Lors de son déplacement, Emmanuel Macron devrait monter au front pour demander des exemptions à l'administration américaine. A ce stade, la présidence n'a pas donné de précisions sur les produits et les secteurs concernés. Interrogé par La Tribune, Bercy n'a pas non plus donné de précision. « On y travaille », explique l'entourage de Bruno Le Maire.

En revanche, des pistes de négociations ont été évoquées sur les modalités d'application de l'IRA. « Les réactions des Européens viennent après le vote par le Congrès de l'IRA. La question qui se pose aujourd'hui est celle de la mise en oeuvre des dispositions de l'IRA », explique Vincent Vicard, économiste au CEPII (Centre d'études prospectives et d'informations internationales) et responsable du programme scientifique Commerce international. « Un des points majeur est la subvention aux véhicules électriques de 7.500 dollars assemblés aux Etats-Unis et équipés de batteries fabriquées avec des composants provenant de certains pays seulement », ajoute le chercheur. Par rapport au plan initial Build Back Better, il y a une ouverture vers le Mexique et le Canada sur le mécanisme de subvention. « Cette ouverture correspond à la logique industrielle de l'automobile en Amérique du Nord, » poursuit l'économiste.

Du côté de l'Elysée, les conseillers du président planchent effectivement sur le modèle nord américain de zone de libre-échange. « Nous pouvons imaginer que l'administration américaine consente des exemptions, pour un certain nombre d'industriels européens, peut-être sur le modèle de ce qu'elle consent déjà pour le Mexique ou pour le Canada », souligne un proche d'Emmanuel Macron.

Au Canada, on se félicite du vote de l'IRA. « On doit se réjouir que les Etats-Unis aient pris le virage de la transition énergétique et écologique. Pour le Canada, on s'attend à des échanges intéressants », explique un diplomate. « L'inclusion d'un crédit d'impôt de 7.500 dollars aux Etats-Unis est une satisfaction pour le Canada car il prévoit une ouverture avec d'autres pays d'Amérique du Nord. C'est le résultat d'une pression de l'industrie automobile sur le Congrès », poursuit cette source.

Des dispositions jugées contraires aux règles de l'organisation mondiale du commerce (OMC)

Le plan américain destiné à favoriser le Made in USA est particulièrement critiqué dans les instance de libre-échange. « Certaines dispositions de l'IRA sont considérées comme contraires aux règles de l'OMC. C'est par exemple le cas de certains crédits d'impôt », explique une source du ministère de l'Economie. « Compte tenu de la nature des soutiens et de leur caractère très massif, ce plan ne respecte pas les règles de l'OMC », a récemment déclaré la Première ministre Elisabeth Borne.

Il pourrait « faire perdre (à la France) 10 milliards d'euros d'investissements en France et 10.000 créations potentielles d'emplois », selon Matignon.

Sur l'hypothèse d'un contentieux porté à l'Organisation mondiale du commerce, la plupart des spécialistes sont peu convaincus. « Comment réagir si ces négociations ne vont pas au bout ? S'il n'y pas d'infléchissement, ouvrir un contentieux à l'OMC avec un partenaire commercial prendrait du temps », indique Vincent Vicard. En outre, il n'y a plus d'organe d'appel à l'OMC dans l'instance de règlements des différends. « Depuis Obama, l'administration américaine fait blocage pour la nomination des juges dans cet organe. Si les Etats-Unis veulent faire appel d'une décision, il y a un vrai risque de blocage », ajoute-t-il.

Un risque de désindustrialisation important dans un contexte de transition

Au pic de la pandémie, les espoirs de réindustrialisation s'étaient multipliés partout sur le Vieux continent. L'échec de produire des masques de protection en temps et en heure avait provoqué de la stupeur chez les Européens obligés d'importer des cargos entiers de matériel médical en provenance de Chine pour assurer la santé de sa population.

Face à ces déboires, plusieurs Etats avaient mis en avant une volonté de réindustrialiser leur économie et de relocaliser certaines activités stratégiques. Mais la guerre en Ukraine et la crise énergétique ont changé la donne. « Sur la désindustrialisation, il y a un risque de perte de compétitivité en Europe face aux Etats-Unis sur les prix de l'énergie. Le prix du gaz et cinq fois plus important aux Etats-Unis qu'en Europe », rappelle un proche de Bruno Le Maire.

Les difficultés s'accumulent dans les secteurs les plus énergivores. « Cette désindustrialisation reste un vrai sujet en France en raison notamment aujourd'hui des prix de l'énergie. Sur le Vieux continent, les pays du Nord et l' Allemagne sont en excédent commercial », rappelle Vincent Vicard.  « En revanche, il y a un vrai sujet de transition industrielle dans le contexte des politiques de lutte contre le réchauffement climatique. Il y a des problèmes de concurrence importants. L'Europe importe des véhicules électriques de Chine et exporte des véhicules thermiques. Les Etats-Unis font des subventions discriminantes sur les véhicules européens alors que l'Europe subventionne l'achat de véhicules électriques quel que soit leur lieu de production ».

« Un changement de paradigme »

L'été dernier, la secrétaire d'Etat au Trésor Janet Yellen a évoqué le concept de « frienshoring » dans le commerce mondial. « Il s'agit d'un rapprochement entre partenaires considérés comme fiables », explique une spécialiste de géopolitique. Dans ce contexte, la stratégie que la France doit adopter à l'égard des Etats-unis interroge dans les milieux diplomatiques. « La France a pris conscience des risques de dépendance à l'égard de certains pays. Il y a un vrai agenda de résilience et de souveraineté. En même temps, il y a un refus de découplage systématique avec certaines puissances. S'engager dans le "friendshoring" total serait signer un arrêt de mort du multilatéralisme », indique un fonctionnaire du Quay d'Orsay. « Il s'agit de trouver un équilibre entre résilience et ouverture », résume-t-il. Le voyage d'Emmanuel Macron devrait se transformer en numéro d'équilibriste.