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Manifestations en Chine: sous pression, le pouvoir semble hésiter

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En quelques jours, l'image de la toute-puissance de Xi Jinping s'est écornée. Il y a moins de deux mois, le congrès du Parti communiste chinois lui a permis de rester indéfiniment secrétaire général, alors qu'il occupait déjà ce poste depuis dix ans. Xi Jinping pouvait ainsi avoir comme projet de renforcer son emprise sur le Parti et sur le pays, avec l'intention de montrer que le système de gouvernance chinois est très supérieur au mode de fonctionnement des démocraties occidentales en constant déclin.

Or, voilà que subitement, une protestation populaire totalement inattendue a surgi dans plusieurs grandes villes de Chine.

Apparition d'un mouvement social

Depuis le week-end du 26 novembre, à Shanghai, Pékin ou Canton, mais aussi à Wuhan, Xi'an ou Chengdu, des foules plus ou moins nombreuses défilent en scandant des slogans tels que «il y en a marre des codes sanitaires» ou «non aux confinements, nous voulons la liberté». Il arrive que soit scandé «retirez-vous» en direction des policiers qui surveillent ces défilés tandis que, fréquemment, certains de ces manifestants brandissent des feuilles de papier blanc, censées symboliser la censure.

La plupart de ces cortèges chantent à un moment l'hymne national chinois ou «L'Internationale». Et parfois, certains s'engagent dans des propos nettement plus politiques tels que «Xi Jinping, démissionne!» ou encore «Parti communiste chinois, retire-toi!».

De nombreuses images de toutes ces manifestations apparaissent actuellement sur le net chinois. Elles sont prises par des manifestants, photographes ou vidéo-amateurs qui s'empressent de les diffuser sur les réseaux sociaux tels que Weibo ou WeChat, des équivalents en Chine de Twitter. Ces images sont vues par des millions de Chinois, souvent repérées et reprises par des médias occidentaux avant d'être autoritairement effacées par la censure chinoise.

Mais, dans toute cette agitation, un véritable mouvement social apparaît. Il contraste avec l'impression répandue dans le monde que la Chine encadre fermement sa population et que celle-ci, sous la conduite de Xi Jinping, participe docilement à la montée en puissance du pays.

Ras-le-bol de la politique anti-Covid

Il est probable qu'un profond mécontentement à l'encontre de la politique anti-Covid se développe depuis quelque temps en Chine de façon sous-jacente. Mais des événements précis et récents l'ont amené à prendre une expression bruyante. D'abord, un incendie à Ürümqi, le chef-lieu de la province du Xinjiang, à l'extrême-ouest de la Chine.

Les habitants de la ville sont strictement confinés depuis des mois. Le 24 novembre, lorsque le feu se déclare dans un immeuble, de nombreuses voitures inutilisées encombrent les rues. Les camions de pompiers ne peuvent pas s'approcher assez près pour que leurs lances atteignent l'incendie. Au moins dix personnes meurent brûlées vives. Habituellement, un pareil drame n'aurait sans doute guère suscité de réactions en Chine. Cette fois-ci, au contraire, il a provoqué des manifestations à travers tout le pays.

Un autre déclencheur du mécontentement chinois est provoqué par la Coupe du monde de football au Qatar. Comme partout dans le monde, des matchs sont retransmis sur des chaînes de télévision chinoises. À Pékin, les services de la censure n'avaient pas de raisons particulières d'empêcher la diffusion d'une compétition sportive de dimension mondiale, dont les Chinois sont très friands.

Les téléspectateurs chinois ont donc subitement pu voir dans les stades qataris que non seulement les joueurs étaient sans masque, mais surtout, que l'ensemble des spectateurs n'en portait pas non plus. Découvrir ainsi que les précautions sanitaires pouvaient être levées a répandu en Chine l'idée que le virus du Covid pouvait être mieux géré à l'étranger.

Pas de réaction au sommet du pays

Que le Parti communiste, et même Xi Jinping en personne soient parfois conspués dans des manifestations n'amène pas, pour le moment, de réactions particulières du pouvoir. Certes, à Pékin, les dirigeants actuels savent que, dans la lointaine histoire de l'Empire chinois, il est arrivé à plusieurs reprises que des révoltes populaires provoquent des chutes de dynasties. Mais il s'agissait le plus souvent de soulèvements lancés par le monde paysan à la suite de mauvaises récoltes.

De nos jours, les manifestations locales de mécontentement ne manquent pas. Le gouvernement chinois estime officiellement qu'il y a chaque année environ 100.000 «mouvements de masse», nom officiel qu'il leur donne. Ils surviennent le plus souvent à la suite de l'installation d'usines polluantes, ou bien après des expropriations décidées par des autorités locales.

Mais le principal épisode de contestation politique qu'a connu la Chine moderne a eu lieu en 1989, à Pékin, avec l'occupation par des étudiants de la place Tiananmen. Une différence fondamentale avec la période actuelle est qu'à l'époque, la direction du Parti communiste était divisée.

Le souvenir de Tiananmen

Une partie des dirigeants chinois considérait que la pérestroïka soviétique était une source d'inspiration. Parmi eux, Zhao Ziyang, alors Premier ministre, estimait que réformer le système politique chinois en le démocratisant était ce qu'il y avait de mieux à faire. Et pour commencer, qu'il fallait accorder aux étudiants les libertés publiques qu'ils réclamaient.

Une courte majorité des membres du Bureau politique a choisi de suivre une tout autre voie, qui consistait à ne surtout pas s'inspirer des réformes politiques entamées en URSS par Mikhaïl Gorbatchev. Au contraire, sous l'impulsion de Deng Xiaoping, l'homme fort du régime, une reprise en main vigoureuse de la population a été décidée. Elle a été immédiatement illustrée par l'entrée de l'armée et de ses chars sur la place Tiananmen. Il s'agissait d'écraser les revendications de libertés qui s'exprimaient depuis deux mois.

Les téléspectateurs chinois ont pu voir dans les stades qataris que non seulement les joueurs étaient sans masque, mais que l'ensemble des spectateurs n'en portait pas non plus.

Des centaines d'étudiants qui se trouvaient dans les rues à proximité de la place ont été écrasés ou mitraillés, leur nombre exact reste encore un secret d'État en Chine. Le pouvoir a interdit à la presse et aux écoles de faire la moindre allusion à cette répression. Aujourd'hui, peu de jeunes Chinois sont au courant de cet événement.

Mais à partir de 1992, Deng Xiaoping a décidé d'offrir aux Chinois une perspective non pas politique mais pleinement économique. La Chine devait se développer et ses habitants s'enrichir. Cet objectif a été parfaitement compris, et en moins de vingt ans, en matière de PIB, le pays est passé de la douzième à la deuxième place mondiale. La situation de la Chine en 2022 n'a donc rien à voir avec ce qu'elle était il y a une trentaine d'années.

Un pouvoir très discret

Aujourd'hui, à la direction du Parti communiste, les opposants à Xi Jinping ont été mis à l'écart, et la consigne est visiblement de rester discret sur les événements actuels.

Le 30 novembre, à un journaliste anglophone qui lui a demandé si la Chine envisageait de mettre un terme à la politique anti-Covid, Zhao Lijian, l'un des porte-paroles du ministère des Affaires étrangères, est d'abord resté longuement silencieux, puis a demandé que la question soit répétée, et a fini par dire: «Ce que vous mentionnez ne reflète pas ce qui se passe réellement.»

Le 28 novembre, à Paris, Lu Shaye, l'ambassadeur de Chine en France, est apparu nettement moins embarrassé en affirmant au journal Challenges que «des forces étrangères anti-chinoises ont utilisé des éléments intérieurs en Chine pour semer la discorde dans le pays».

Xi Jinping, quant à lui, évite d'enclencher le moindre dialogue avec le peuple en colère. Depuis une semaine, il préfère mettre en valeur des déclarations de la Chine envers des pays amis. Ainsi, le 25 novembre, il a, lors du journal télévisé de la Télévision centrale, exprimé ses condoléances au peuple des Îles Salomon, cet archipel de l'océan Pacifique endommagé par un puissant séisme. La Chine a passé, en mars 2022, un accord sécuritaire avec l'archipel sur lequel elle veut installer une base navale. Ce n'est qu'au lendemain de ce message de condoléances que l'on a su que ce tremblement de terre n'avait fait aucune victime aux Îles Salomon...

Ensuite, le 27 novembre, les médias officiels chinois ont largement rendu compte de la visite à Pékin du président cubain, Miguel Díaz-Canel Bermúdez. Il a rencontré Xi Jinping puis a reçu de la Chine un don de 100 millions de dollars. Cette somme est destinée à aider Cuba, qui cherche à surmonter la crise économique envenimée par le renforcement de l'embargo américain. La Chine est devenue le second partenaire commercial de Cuba, après le Venezuela. Et le gouvernement de La Havane est un important allié politique de la Chine dans les instances internationales.

La stratégie «zéro Covid» mise à mal

Tels sont les exemples de dossiers dont Xi Jinping veut montrer qu'ils occupent prioritairement son emploi du temps. La question des vaccins Sinopharm et Sinovac, que la Chine a créés en 2020, n'est guère abordée au sommet de l'État chinois. Ces vaccins sont loin d'avoir été injectés à l'ensemble de la population.

Les habitants de certaines villes et en âge de travailler ont été vaccinés en priorité, tandis que les retraités l'ont moins été. De plus, les laboratoires médicaux occidentaux émettent des doutes sur l'efficacité de ces vaccins. Mais pour Pékin, il n'est pas question d'importer d'autres types de vaccin des États-Unis ou d'Europe. Aussi, à la différence des pays occidentaux où l'on cohabite avec le virus, l'épidémie resurgit régulièrement dans telle ou telle région de Chine.

Les précautions imposées à la population sont donc toujours considérables. Le port du masque reste généralisé et le test nasal est imposé à répétition dans chaque quartier. Au-delà, en cas d'apparition du virus, l'objectif officiel de «zéro Covid» est géré avec un maximum de rudesse. Tout immeuble où apparaît un cas suspect est aussitôt barricadé et ses habitants envoyés à l'hôpital.

Le cas d'un jeune Chinois, revenu en octobre dernier d'un pays d'Europe où il avait travaillé pendant cinq ans, via l'aéroport de Chongqing dans la province du Sichuan, est à ce titre symptomatique. Après un confinement obligatoire de près de trois semaines dans un hôtel, il a été autorisé à rejoindre le bourg où vivent ses parents. Mais trois jours plus tard, un cas de Covid-19 a été signalé. Aussitôt, tous les habitants alentour ont été autoritairement invités par les forces de l'ordre à déposer sur une place l'ensemble de leurs meubles et vêtements. Une heure après, ces affaires ont été brûlées.

Gestes d'apaisement

Ce genre d'exemple est courant à travers la Chine et la population paraissait s'y résigner. Les mouvements de protestation actuels semblent montrer qu'après trois années de contrôle strict, de nombreux Chinois sont à bout et n'hésitent plus à le faire savoir. La population s'attendait-elle à un assouplissement des contrôles sanitaires après la tenue en octobre du congrès du Parti communiste? Rien de tel n'a été annoncé et le pouvoir se retrouve actuellement face à cette flambée de protestations.

Traditionnellement, les dirigeants du Parti réagissent avec prudence en cas de troubles sociaux. Ils considèrent qu'une répression trop dure ne ferait qu'enflammer encore plus le mouvement. En même temps, ils craignent, s'ils le laissent monter en puissance, que cela finisse par déstabiliser le fonctionnement tout-puissant du Parti. D'où, actuellement, l'apparition ici ou là de toutes sortes de mesures qui visent à apaiser la situation.

Les mouvements de protestation actuels semblent montrer qu'après trois années de contrôle strict, de nombreux Chinois sont à bout et n'hésitent plus à le faire savoir.

À Ürümqi, où s'est produit l'incendie qui a servi de prétexte à la mobilisation, le confinement a été subitement allégé. À Chongqing, dans le centre de la Chine, il est désormais permis aux cas contacts d'effectuer leur quarantaine à domicile. Ils ne sont donc plus obligés d'aller dans des centres d'isolement. Dans d'autres villes, dont Pékin ou Shanghai, des cars ont été affrétés par les municipalités pour permettre aux étudiants de rentrer dans leurs familles.

De son côté, la Commission nationale de la santé, un organisme dépendant du gouvernement, a annoncé que la campagne de vaccination allait être accélérée pour les personnes de plus de 60 ans. Si la couverture vaccinale était améliorée en Chine, cela pourrait sans doute permettre de sortir de la seule politique «zéro Covid».

Le ras-le-bol évident exprimé par les manifestations de Chinois contre les restrictions liées au Covid-19 pourrait amener les autorités de Pékin à assouplir leur politique. Il n'est pas sûr que les forces de sécurité, dont les employés sont entièrement vêtus de combinaisons blanches, soient d'accord avec le moindre relâchement de ces contrôles.

Mais la décision d'aménager la politique anti-Covid ne peut être prise que par les plus hautes instances du Parti communiste chinois. Si bien que c'est au numéro 1 du Parti, Xi Jinping, que revient la tâche de mettre fin aux remous actuels que connaît la Chine... Des remous sur lesquels il évite jusqu'ici de s'exprimer.