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Manuel Bompard : « Sans union aux européennes, la Nupes éclatera »

Manuel Bompard partage le constat dressé par Jean-Luc Mélenchon dans un entretien à 20 Minutes : la fin de la Nupes est « possible ». Le fragile édifice érigé en un temps record au lendemain de l'élection présidentielle menace de s'effondrer. Afin de le sauver, Bompard ne ménage pas ses efforts. Il propose de créer des structures locales de la Nupes, de lancer une agora, de bâtir des alliances électorales aux sénatoriales et aux européennes pour pouvoir peser davantage aux municipales et à la présidentielle de 2027…

« Aucun point que je mets sur la table n'avance », s'agace-t-il, allant jusqu'à interroger la sincérité de « l'attachement » de ses partenaires à l'alliance. L'élu des Bouches-du-Rhône revient également sur la poussée du RN, les provocations de Mélenchon, l'avenir de la contestation de la réforme des retraites, le phénomène François Ruffin, les remous internes, la stratégie que la gauche doit adopter pour devenir majoritaire, le « quatrième bloc » qu'il faudra rassembler, etc. Manuel Bompard est ce samedi l'invité de l'entretien politique du Point.

Le Point : Comment qualifier l'effroyable attaque d'Annecy ? Est-ce une manifestation supplémentaire du processus de « décivilisation » qu'évoquait Jérôme Fourquet dans une note pour Le Point ?

Manuel Bompard : Glaçante. Comment imaginer que l'on puisse attaquer au couteau des bébés dans des poussettes ? Cela nous serre le cœur à tous. Cela nous donne aussi un devoir de dignité. Aujourd'hui, l'heure est à la compassion avec les victimes et leurs familles et aux remerciements à l'égard de tous ceux qui ont permis que le bilan ne soit pas encore plus lourd. L'heure des analyses viendra plus tard.

Il n'y a pas eu de vote en séance à l'Assemblée nationale sur la proposition de loi visant à abroger une partie de la réforme des retraites. Diriez-vous, à l'instar de Jean-Luc Mélenchon, que « nous ne sommes plus vraiment en République », que « nous sommes en train de sortir du cadre de la démocratie » ?

Le macronisme a un problème avec la démocratie. Aujourd'hui, nous ne sommes clairement plus en République. Quand le président décide seul contre tout le monde – contre au moins 70 % des Français, plus de neuf actifs sur dix, l'ensemble des organisations syndicales et manifestement contre une majorité de députés à l'Assemblée nationale puisqu'ils ont craint d'aller au vote –, nous sommes dans une monarchie présidentielle absolue.

À LIRE AUSSIComment Manuel Bompard tient la maison LFI d'une main de ferEst-on encore en démocratie ? Il est légitime de se poser la question. Qu'est-ce qu'un pays dans lequel on empêche les représentants du peuple souverain de s'exprimer sur une réforme aussi importante que celle-ci ? Nombre d'organismes internationaux et d'organismes indépendants ont exprimé leur inquiétude sur cette dérive et sur la répression du mouvement social. On ne peut balayer ces remarques d'un revers de main : nous allons saisir le Conseil d'État et la Cour européenne des droits de l'homme.

La présidente de l'Assemblée nationale, Yaël Braun-Pivet, a-t-elle vraiment agi en « petite télégraphiste de l'Élysée », comme l'a affirmé votre collègue Insoumis Hadrien Clouet ?

Qu'elle ait cédé à la pression de l'Élysée est une évidence. Il y a seulement un mois, le bureau de l'Assemblée nationale, qu'elle préside, acceptait le dépôt de ce texte. Le président de la commission des Finances, Éric Coquerel (LFI), a été interrogé à ce sujet et il a dit qu'il était recevable. Yaël Braun-Pivet n'est pas cohérente. Si le texte était recevable, les amendements qui proposent de rétablir l'article premier relatif à l'abrogation du report de l'âge légal auraient dû, en toute logique, être jugés recevables. Elle a donc abusé de ses pouvoirs de présidente de l'Assemblée pour satisfaire la volonté du chef de l'État et n'a pas respecté le principe essentiel de la séparation des pouvoirs. Elle n'a pas joué son rôle de présidente de l'Assemblée nationale et n'est plus qu'une télégraphiste de l'Élysée, une cheffe de bande macroniste.

Le match des retraites n'est-il pas plié ? La loi a été promulguée, les premiers décrets d'application ont été publiés et les syndicats ont déclaré que la journée de mobilisation du 6 juin était probablement la dernière… Vous avez une nouvelle fois déposé une motion de censure, qui a peu de chances d'être adoptée. N'êtes-vous pas à court d'idées ?

Nous n'accepterons jamais que le Parlement soit piétiné. J'appelle tous ceux qui partagent notre colère, qu'ils aient soutenu ou non cette réforme, à voter cette motion de censure. Ce qui vient de se passer est extrêmement grave. On a franchi une ligne rouge du point de vue de la dérive antidémocratique de la pratique du pouvoir. Cela devrait faire réagir tout le monde, y compris dans le camp macroniste.

À LIRE AUSSIManuel Bompard, ce « matheux qui s'est perdu en politique » Personne ne peut se satisfaire de cette situation. C'est une victoire à la Pyrrhus pour Macron. Il voulait faire passer cette réforme en un temps record ; c'est passé au forceps en six mois. Il pensait que les Français resteraient chez eux ; il a fait face au plus grand mouvement social de ces cinquante dernières années et doit savoir que la colère qui s'est exprimée ne disparaîtra pas du jour au lendemain. Il entendait conforter son alliance avec Les Républicains ; ils lui ont pété entre les doigts.

J’appelle tous ceux qui partagent notre colère, qu’ils aient soutenu ou non cette réforme, à voter cette motion de censure.

Ensuite, je veux faire passer un message clair : sur la question des retraites, nous ne lâcherons jamais le morceau. À chaque fois que l'occasion se présentera, nous mènerons la bataille pour abroger cette réforme. Tôt ou tard, elle sera abrogée. Dans cette séquence, nous avons remporté la bataille culturelle. La retraite à 60 ans est une forte aspiration populaire et tout le monde s'est rendu compte de la brutalité des institutions de la Ve République, qui excluent le peuple de la décision politique. Or, Gramsci disait toujours que les victoires culturelles précèdent les victoires politiques.

Avez-vous des regrets ? Auriez-vous pu mieux gérer la contestation de la réforme des retraites ?

Mon principal regret, c'est que l'on n'ait pas réussi à mettre en place avec les organisations syndicales un cadre commun pour piloter la mobilisation. Nous l'avons proposé dès le début. Les organisations syndicales, en mettant de côté les organisations politiques, ont commis une erreur.

À LIRE AUSSILa folle semaine « féministe » de LFI

LFI a classé sans suite l'enquête visant Taha Bouhafs, accusé de violences sexuelles. Il a refusé de réintégrer le mouvement. Comprenez-vous sa décision ?

Je ne la commente pas.

Que répondez-vous à ceux qui, en interne, répètent depuis des mois qu'il y a un problème de démocratie au sein de LFI ?

Ce n'est pas parce que La France insoumise ne s'organise pas comme les partis politiques traditionnels qu'elle n'est pas une démocratie. LFI est un mouvement construit autour de principes que l'ensemble des Insoumis ont adoptés par un vote à la fin de l'année 2017. Parmi ses principes, il y a, par exemple, la volonté de consacrer l'essentiel de notre énergie à la transformation de la société plutôt qu'à des batailles de courants ou d'écuries présidentielles. Nous privilégions également les décisions au consensus plutôt que la construction de clivages indépassables entre une majorité et une minorité. C'est dans le respect de ces principes que nous avançons et que nous délibérons collectivement.

Vous n'avez rien à vous reprocher ?

Non, le mouvement que je représente a été exemplaire dans la lutte contre la réforme des retraites, à l'Assemblée et dans la rue. LFI, c'est une caisse de grève qui a récolté plus de 1 million d'euros, qui ont été intégralement reversés aux salariés en grève, c'est 18 millions de tracts distribués depuis janvier, c'est 30 000 nouveaux adhérents depuis le début de la contestation de la réforme.

Vous n'avez pas contribué à faire émerger le Rassemblement national, par votre attitude dans l'hémicycle, votre stratégie d'obstruction ?

La « progression » du Rassemblement national n'est pas confirmée par les chiffres : ils ont perdu tous les scrutins partiels depuis juin dernier et les sondages disent que la Nupes, si elle est unie, les battrait largement aux élections européennes.

C'est un grand « si » ! Pour l'instant, cela semble très mal parti. Personne ne veut d'une liste commune. La Nupes peut-elle éclater ?

Sans union aux européennes, la Nupes éclatera. Cette alliance n'est pas qu'un accord électoral, c'est une coalition et nous devons en faire un mouvement politique d'ampleur. Il nous faut pour cela de la cohérence, de la stabilité et de la lisibilité. Le seul moyen d'y parvenir, c'est d'avoir une liste commune à l'ensemble des prochaines échéances électorales. Pas seulement aux européennes mais également aux sénatoriales, aux municipales et à la présidentielle. Sans cela, nous ne représenterons pas une alternative crédible. C'est pour cela qu'on a proposé de créer des structures locales de la Nupes et une agora avec des intellectuels et des syndicalistes.

Certains voudraient fermer les yeux, oublier que Jean-Luc Mélenchon est arrivé largement en tête à gauche au premier tour. Ils rêvent de revenir à la gauche d’avant, mais c’est impossible !

Pour l'instant, j'observe qu'aucun des points que l'on met sur la table n'avance. Par conséquent, on est en droit de s'interroger sur l'attachement de nos partenaires à la Nupes. Que veulent-ils ? S'il n'y a pas de liste commune aux européennes, considérer que l'on puisse avoir un seul candidat à la présidentielle est une vue de l'esprit. Il faut que chacun clarifie sa position. Veut-on prolonger la Nupes ou y mettre un terme ? Il faut sortir des faux-semblants.

Vos partenaires semblent pourtant avoir l'impression que vous leur forcez la main… « Ni chantage ni injonction mais du respect et de la fraternité », dit par exemple Olivier Faure, pourtant plutôt favorable à une liste commune. « Arrêtez de faire les forceurs », répète depuis des semaines la secrétaire nationale d'EELV, Marine Tondelier.

Olivier Faure dit aussi que la Nupes n'appartient à personne, car elle appartient à ses électrices et à ses électeurs. Je suis d'accord avec lui et je note que 70 % d'entre eux sont favorables à cette liste commune. La Nupes n'appartient certainement pas à ceux qui veulent faire primer leurs intérêts boutiquiers.

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Vous martelez ces arguments mais les écologistes, les socialistes et les communistes vous répondent systématiquement « non ». On a l'impression que ça dépasse le sujet des européennes, que vous ne vous comprenez tout simplement plus…

Il est vrai que l'on peut se poser la question. Nous rappelons que la création de la Nupes répond à une question : où le centre de gravité autour duquel nous devons nous rassembler se situe-t-il ? Elle a été tranchée à deux reprises, à l'élection présidentielle et aux élections législatives. Certains voudraient fermer les yeux, oublier que Jean-Luc Mélenchon est arrivé largement en tête à gauche au premier tour. Ils rêvent de revenir à la gauche d'avant, mais c'est impossible !

Les organisations syndicales, en mettant de côté les organisations politiques, ont commis une erreur.

La Nupes est un fait politique. Je ne sais pas si on se comprend, mais les électeurs ont parfaitement saisi l'enjeu des européennes. On me dit qu'on n'est d'accord sur certains points alors qu'on vote ensemble sur 80 % des textes discutés au Parlement européen. Personne ne peut sérieusement défendre l'idée de listes séparées aux européennes, ce qui conduirait à la destruction de la Nupes. Je ne veux forcer personne mais j'essaierai de convaincre.

Sur le Parlement européen, l'eurodéputé écologiste David Cormand argue que si vous votez ensemble sur de nombreux textes, c'est surtout parce qu'il est plus simple d'y bâtir des consensus qu'à l'Assemblée nationale…

Le sujet n'est pas de savoir si on est d'accord sur tout. Le sujet, c'est de voir si on mène suffisamment de batailles communes pour y aller ensemble. Soyons sérieux. Sur la lutte pour une autre politique agricole commune, sur la question de la lutte contre la fraude et l'évasion fiscale, sur la nécessité de faire avancer les droits sociaux, sur la lutte contre le dumping social, sur les droits des femmes, nous sommes d'accord ! À un moment, il faut de la cohérence.

Jean-Luc Mélenchon ne remet-il pas de l'huile sur le feu lorsqu'il cite Adrien Quatennens comme un potentiel successeur  ? Ne cristallise-t-il pas les tensions ?

Certains ont tendance à revenir à leurs mauvaises habitudes. Je mets en garde tous ceux qui participent à cette campagne de dénigration de Jean-Luc Mélenchon : faire l'impasse sur son score à la présidentielle serait une folie. Et il faut prendre au sérieux Jean-Luc Mélenchon lorsqu'il dit qu'il souhaite être remplacé.

À LIRE AUSSIGauche anti-Nupes : combien de divisions au total ? Est-ce à dire qu'il faut que la Nupes se restructure autour d'autres figures ? Jadot affirme dans un entretien à Regards que « l'union de la gauche et des écologistes pour 2027 ne peut pas être soumise aux oukases, aux envies, aux déclarations du seul Mélenchon ». Que lui répondez-vous ?

Je lui dis qu'avec Anne Hidalgo ils ont passé l'ensemble de leur campagne à s'en prendre à Mélenchon. Pour quel résultat ? 4,6 % et 1,7 %. En politique, en général, on essaie de ne pas reproduire les erreurs du passé.

Les cadres de Refondations, un courant interne au PS mené par Nicolas Mayer-Rossignol, se sont réunis à Montpellier le week-end dernier. Bernard Cazeneuve réunit les adhérents de son mouvement, La Convention, ce samedi à Créteil. Quel regard portez-vous sur ces initiatives ?

(Sourire). Ça ne m'empêche pas de dormir. Ils peuvent essayer de rallumer la flamme éteinte du hollandisme mais je ne suis pas certain que le peuple de gauche en ait gardé un bon souvenir.

Il n'y a vraiment aucun espace à gauche, en dehors de la Nupes ? Tous ceux qui se préparent – Cazeneuve, Delga, Hollande – n'ont aucune chance ?

Chez les anti-Nupes, il doit y avoir autant de présidentiables de candidatures pour 2027 que d'électeurs prêts à voter pour eux. Il faudrait déjà qu'ils sortent de leur panier de crabes. Bon courage !

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François Ruffin s'est pris une volée de bois vert en déclarant qu'une possible proposition de loi sur le changement de genre à 16 ans ne devait pas être « au cœur du projet de la gauche ». Le vrai clivage à gauche se situe-t-il entre ceux qui, comme Ruffin, font du social une priorité et ceux qui attachent davantage d'importance au sociétal ?

Je ne le pense pas. Opposer les questions dites « sociales » aux questions dites « sociétales », cela va à l'encontre de la vision même de la gauche. Les questions sociétales sont éminemment sociales. Quand vous êtes discriminé en raison de votre couleur de peau ou en raison de votre genre, cela a des conséquences sociales directes : l'accès à l'emploi, au logement, etc. La gauche s'inscrit par ailleurs dans une vision humaniste de la société et l'un des premiers principes de l'humanisme, c'est que chacun choisit la personne qu'il a envie d'être. Une partie de la gauche a abandonné le social mais c'est plutôt la gauche pro-Hollande. C'est une maladresse de la part de François Ruffin mais il s'en est excusé. Désormais, il faut avancer.

Il y a aujourd'hui trois grands blocs politiques : l'extrême droite, le bloc central et le bloc d'extrême gauche. Vous avez quelques fois évoqué un « quatrième bloc ». Qui pourrait-il rassembler ?

C'est la question stratégique majeure pour la Nupes. Chaque bloc a recueilli environ 11 millions de suffrages au premier tour de l'élection présidentielle mais il y a un quatrième bloc numériquement supérieur à ces trois blocs qui est composé d'abstentionnistes, de jeunes, de gens qui ne sont pas inscrits sur les listes électorales et de gens qui votent blanc ou nul. Ils étaient 13 millions en 2022. On ne gagnera pas, comme le pensent certains, en cherchant les voix des blocs macroniste ou lepéniste mais en mettant en mouvement ce quatrième bloc. C'est là que se joue la victoire. Il faut aller chercher tous ceux qui ont l'impression que voter ne sert à rien.

Le candidat de la gauche en 2027 sera forcément un Insoumis ?

Il ne faut pas raisonner en termes d'étiquettes ou de personnes, mais j'ai dit que la question du centre de gravité de la gauche avait été traitée en 2022. Il ne faudra pas se placer au centre gauche mais répondre à une demande de radicalité, de rupture avec le système.