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Maria Stepanova : « L’histoire russe frôle souvent la répétition »

Contre les manipulations de la mémoire collective, l’écrivaine Maria Stepanova témoigne du besoin impérieux de fixer les souvenirs, à l’occasion de la sortie en France d’« En mémoire de la mémoire ».

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Poète, journaliste, traductrice, essayiste, Maria Stepanova, née à Moscou en 1972, vit actuellement en Allemagne. De passage à Paris pour accompagner la traduction d’En mémoire de la mémoire, elle a rencontré « Le Monde des livres ».

Vous racontez, au début du livre, que l’idée de l’écrire vous est venue très tôt. Avez-vous senti, dans votre jeunesse, une « carence mémorielle » ?

En effet, le travail sur ce livre a été incroyablement long : j’ai commencé à l’écrire quand j’avais 10 ans, mais le projet lui-même devait être encore plus ancien. Comme si j’avais toujours su, d’une façon obscure, qu’un jour j’écrirais l’histoire de ma famille, de mes arrière-grands-parents, de gens que je n’ai même pas ­connus. Cela me semblait déjà très important. L’ambiance était propice : dans ma famille, on parlait souvent du passé, à l’occasion des fêtes, ou quand, petite, je tombais malade et devais rester à la maison. Ma mère sortait alors d’une armoire les gros volumes de photos, de cartes postales françaises datant du début du siècle, de cartes de visite jaunies. Tout cela n’avait rien à voir avec notre quotidien – les défilés du 1er-Mai, la queue pour les produits alimentaires, les camps de pionniers –, c’est-à-dire la réalité soviétique, la seule que je connaissais. Ainsi, le chapeau de mon arrière-grand-mère, orné d’une plume d’autruche, indiquait l’existence d’un autre monde, d’une autre vie, qui n’était pas moins fascinante du fait qu’elle n’existait plus. Au contraire, le passé devenait de plus en plus important.

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Je garde encore un cahier d’écolière où j’ai commencé à rédiger l’histoire familiale. A l’époque, je n’étais pas allée au-delà de quelques pages, le projet est resté en sommeil pendant des années. En grandissant, j’avais de moins en moins le temps de m’en occuper et je me rendais de mieux en mieux compte de l’immensité de cette tâche. Ma mémoire conservait des dizaines de récits, très détaillés, de ma mère ; mais, au cours des années, comme cela arrive souvent, les souvenirs s’entremêlaient, pâlissaient. Je ne me souvenais plus d’où venait le revolver du grand-père Nicolas, ni qui étaient les personnes sur une vieille photo : cette dame, par exemple, dans une robe à manches bouffantes, qui était-ce et qu’était-elle devenue ? Ils étaient tous morts, et ma mère n’était plus là non plus. Il me fallait repartir de zéro.

D’ailleurs, ma mère, notre chroniqueuse attitrée, ne savait pas tout. Les sept décennies du régime soviétique ont appris aux gens à être prudents : avoir des parents à l’étranger ou descendre de la noblesse pouvait vous coûter non seulement l’emploi que vous occupiez, mais aussi la vie. De sorte que les souvenirs du passé, soigneusement remodelés, étaient pleins d’euphémismes, de non-dits, bref, de taches blanches. Quand, des années plus tard, j’ai commencé à mener mon enquête, nombre de découvertes m’attendaient…

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