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Marseille : « Pourquoi des clans s’entretuent ? Parce qu’il y a beaucoup de consommateurs », estime la préfète de police

Trois tués par balles en près de 48 heures. A Marseille, le week-end a été particulièrement sanglant, avec plusieurs homicides concentrés dans le seul troisième arrondissement de la cité phocéenne dans des probables règlements de comptes. Au lendemain de ces meurtres, la préfète de police des Bouches-du-Rhône Frédérique Camilleri revient pour 20 Minutes Marseille sur ces faits, et sa stratégie en matière de lutte contre les règlements de comptes liés au trafic de stupéfiants.

Trois personnes ont été tuées ce week-end dans le troisième arrondissement de Marseille. Que savez-vous à ce stade de l’enquête ?

Il y a deux faits séparés. Dans les deux cas, il y a des victimes qui sont connues pour stup’, et connues de la justice en général. Ce qui est sûr, c’est qu’il y a manifestement, depuis quelques semaines, de fortes tensions autour de cités du troisième arrondissement. Et on pense qu’il y a une tentative de prise en main du point de deal de Moulin de Mai par Félix-Pyat, qui est aussi dans le troisième. Ça fait beaucoup de choses qui se tournent autour de sujets très locaux. Je serais assez surprise que les faits de ce week-end ne soient pas liés à tout ça. On n’a pas d’éléments tangibles à ce stade. La PJ est très prudente. On l’a senti venir. On voit quand c’est tendu. Pas forcément des fusillades. Il y a eu aussi des rixes, des coups de couteau… Depuis quelques semaines, on a donc renforcé la présence des CRS à Moulin de Mai et au Gyptis.

Ces nouveaux homicides laissent présager une nouvelle année noire…

(Elle coupe). Mais non. En fait, non. Je ne suis pas journaliste. Je ne sais pas faire des gros titres et ce serait peut-être mieux. Aujourd’hui, si je compte, en nombre de morts liés au trafic de stup dans les Bouches-du-Rhône, j’en ai 25 depuis le début de l’année. Je ne vous parle pas de la classification en règlement de comptes, qui était cette espèce de Graal pour tout le monde, jusqu’à l’année dernière où j’ai dit qu’on arrêtait ça car c’était quand même très subjectif. Et j’ai eu 52 fusillades depuis le début de l’année. Si je compare à l’année dernière, à la même période, on a plus de fusillades : on en avait 43. Mais on avait autant de morts au même moment. Je ne veux pas minimiser, mais on est sur une tendance, je dirais, qui est le haut de la moyenne de ces dernières années. Vous avez sur les points de deal des gens jeunes, qui sont les petites mains du trafic. Ils sont parfois des mineurs, d’ailleurs. Ils viennent d’ailleurs que Marseille. Ils sont recrutés sur les réseaux sociaux et ils sont ramenés ici pour charbonner. Ce sont des gens assez vulnérables car souvent en rupture familiale, installés dans des squats. Ce qui est sûr aussi, c’est que la nature des fusillades a un peu changé. On est passé de fusillades, il y a vingt ans, durant lesquelles les têtes de réseau essayaient de s’éliminer les unes les autres. Là, on est plutôt sur un rafalage de points de deals. L’année dernière était une année dans la « moyenne plus ». Et là, on suit la même tendance que l’an dernier. Et si on continue sur cette tendance-là, ça ne sera pas une très bonne année.

N’est-ce pas un constat d’échec ?

Chaque fois qu’il y a un mort, c’est un constat d’échec. Qu’est-ce que vous voulez que je vous dise… La police est là pour prévenir les crimes, les élucider et remettre les auteurs à la justice. Je ne peux pas me réjouir que 25 personnes soient mortes cette année sous les balles sur fonds de trafic de drogue. Après, ce qui pour le coup, me réjouit plus, c’est de voir l’activité des services de police. On a jamais interpellé autant de trafiquants à Marseille depuis qu’on compte. On est encore en augmentation de 30 % cette année par rapport à l’année dernière où on a augmenté de 30 %. Et c’était la meilleure année depuis qu’on fait des stats. Ça, ce sont des résultats tangibles. On a jamais autant mis d’amendes aux consommateurs. On en fait plus de 1.000 par mois à Marseille. On est champions de France, malheureusement, dans ce domaine-là. On a jamais autant saisi d’armes. Ce nombre a doublé par rapport à l’année dernière. Et on est très au-dessus de la moyenne des années précédentes. Ça veut dire que les policiers sous mon autorité travaillent de façon inédite. Ils ont des résultats inédits.

On s’attaque à toute la chaîne de trafic, avec le bas du spectre : le pilonnage, la voie publique, le bas d’immeuble, les dealers, les complices… On a aussi bien travaillé sur le haut du spectre. On a eu de belles arrestations l’an dernier. Et simplement, malheureusement, la vie n’est pas assez parfaite. Et le fait de travailler à la fois sur le haut du spectre et le bas du spectre ne fait pas que mécaniquement, vous arrivez à empêcher ces assassinats. C’est un travail de beaucoup plus longue haleine, parce que pour arrêter ça, il faut qu’on continue à faire ce qu’on fait. Mais il faut, en plus, faire des enquêtes qui vont identifier les tueurs, les mettre hors d’état de nuire, en les faisant condamner, tarir le nombre de tueurs et faire perdre l’envie à de nouveaux d’entrer le métier. Et ce, alors qu’il y a beaucoup d’argent.

Un récent article du Monde évoque la somme de 10.000 euros versés pour tuer des concurrents…

10.000 euros, je crois que c’est peu. Ça peut arriver, mais c’est quand même pas la moyenne, pour des équipes de tueurs. Je pense qu’on est plus autour de 40.000 à 50.000 euros. Et je rappellerai que tant qu’il y aura de l’argent dans les trafics de drogue, on fera face à des gens qui sont prêts, grâce à l’argent, à faire n’importe quoi, et prêt à payer très cher des gens qui vont éliminer des concurrents. Et cet argent-là, il vient d’où ? De la poche des consommateurs. Tant qu’on ne met pas les consommateurs devant leurs responsabilités dans cette chaîne-là, on va aussi avoir du mal à avoir des effets de long terme. C’est la demande qui crée l’offre. Pourquoi des clans s’entretuent ? Parce qu’il y a beaucoup d’argent à faire. Pourquoi est-ce qu’il y a beaucoup d’argent à faire ? Parce qu’il y a beaucoup de consommateurs qui sont prêts à payer pour s’acheter leurs doses. Tout se tient.

Vous sentez-vous du coup impuissante ?

Pas du tout. Je ne compte pas changer la stratégie, si c’est ça la question. Elle a apporté des résultats. Mais je dis que pour arrêter les cycles de violence qui sont liés au trafic de stup, il y a un travail de fond, qui va prendre beaucoup de temps, qui consiste à tarir le flux de consommateurs. Il faut aussi tarir le flux de gens qui sont prêts à travailler dans le trafic de drogue. Ce sont des phénomènes de société. Quand vous allez dans les quartiers nord, regardez l’environnement autour de vous. Regardez les copro dégradées. Regardez le taux de chômage. Regardez le manque de service public dans certains endroits. Et dites-vous bien que s’il y a des gens qui restent dans le trafic de stup, ce n’est pas pour leur chercher des excuses, mais c’est aussi parce qu’il y a un ensemble de facteurs sociaux, économiques, de développement, d’environnement, qui font que c’est le choix qu’ils ont. Moi, préfète de police, je prends ma part au combat. Si je ne le faisais pas, ce serait choquant. On fait notre part et on ne se dit pas tous les matins : « Ça ne sert à rien de le faire ». On est quand même assez convaincu que si on ne faisait rien, ce serait pire. Mais croire qu’il n’y a que la police qui va régler ce problème, c’est évidemment faux.