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Mathieu Lindon, enfin fils

Après maints détours, l’écrivain et journaliste dit tout ce qu’il doit à son père, Jérôme Lindon, longtemps patron des Editions de Minuit. « Une archive » inaugure ainsi une liberté nouvelle.

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C’est à cet instant, c’est-à-dire deux bonnes heures après le début de notre discussion, que Mathieu Lindon redresse la tête pour proférer cette menace amusée, d’autant plus vaine qu’elle se conjugue au conditionnel passé : « Ah non, alors là, si vous aviez dit ça au début de notre entretien, je serais parti depuis longtemps ! » Ça quoi ? Quelle est la cause de ce soudain agacement ? Depuis dix minutes, je lui cite des passages de son nouveau livre qui me paraissent à la limite du compréhensible. On les relit ensemble, mot à mot, trébuchant de concert sur tel pronom fantôme, tel adverbe casse-pieds.

« Cela m’amuse de jouer avec la grammaire »

Ainsi, à la page 149 d’Une archive, Lindon évoque l’unique fois de sa vie où il a vu son père pleurer, au volant de sa voiture, un jour de l’été 2000. Il écrit : « Il n’y avait plus rien à dire. La faiblesse et l’aveu dont se préserver plus que tout étaient là et personne ne pouvait plus rien y faire, que comme si de rien n’était, le soir, au dîner ». Voilà donc un exemple de phrase, fais-je valoir, dont la construction, un brin tordue, fait vaciller les lecteurs. Est-ce volontaire ? « C’est absolument comme ça que j’écris, jamais je ne changerai ces mots, répond l’écrivain. Oui, il est possible qu’il faille s’y reprendre à deux fois, mais cela m’amuse de jouer avec la grammaire. Elle a la réputation d’être figée, moi j’aime sa souplesse, son élasticité. Jean Dubuffet, que j’admire presque autant comme écrivain que comme peintre et sculpteur, disait qu’il n’y avait qu’une seule manière de bien écrire, mais mille façons d’écrire mal. Je suis l’ennemi de la solennité, mon écriture est une exagération du langage parlé, j’aime que mes phrases suivent mes raisonnements, et c’est parce que je viens de là d’où je viens que je n’ai pas voulu écrire classique, écrire comme on attendait que j’écrive. »

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A cet instant, je réalise que non seulement Mathieu Lindon est resté, lui qui donc aurait pu partir, mais qu’il est entièrement à sa place, désormais. Pleinement fils du père. Dans son beau livre consacré à Michel Foucault, Ce qu’aimer veut dire (P.O.L, 2011), il affirmait que le philosophe lui avait donné la vie : à ses côtés, parmi les amis qui l’entouraient, avec lesquels il lisait, parlait, se droguait, le jeune homme aurait trouvé « cette famille fictive qui est devenue la vraie ». Douze ans ont passé, et la fiction a cédé devant la filiation – les détours devant la ligne directe. Maintenant, Mathieu Lindon, écrivain de talent et journaliste à Libération, veut proclamer tout ce qu’il doit à Jérôme Lindon (1925-2001), célèbre patron des Editions de Minuit, éditeur de Samuel Beckett, Marguerite Duras ou Claude Simon. A commencer par cette répugnance vis-à-vis de la solennité. Mais aussi : la peur de voir un silence s’immiscer dans la conversation ; une forme arrogante d’humilité ; cet « accablement rieur » qui lui tient lieu d’indignation ; l’évidence que la vraie gentillesse exige le goût des saillies vachardes, la méchanceté comme art de braver l’ennemi : « Méchant, je le suis moins qu’avant, confie le fils. Je peux avoir des répliques amusantes, c’est tout. » Ou encore l’obsession de la ponctualité (de fait, il était à l’heure). Et surtout, donc, cette manière de tenir bon sur son désir, ­d’assumer le texte qu’on n’attendait pas de lui.

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