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« Mercredi » : pourquoi la série de Tim Burton cartonne sur Netflix

En dix jours, la série centrée sur l’ado taciturne de « La Famille Addams » a battu le record de visionnage que détenait « Stranger Things ». Décryptage.

Par Florence Colombani
Jenna Ortega interprete Mercredi Addams.
Jenna Ortega interprète Mercredi Addams. © PP_VC_108_032322_0220 / VLAD CIOPLEA/NETFLIX

Temps de lecture : 4 min

Alors qu'au mois d'octobre dernier le Festival de Lyon lui décernait son prestigieux Prix Lumière, Tim Burton nous parlait de la série de Netflix : « On m'a toujours associé à La Famille Addams et on m'a souvent proposé d'en réaliser une adaptation, mais il n'y a qu'avec ce personnage de Mercredi que je me sente en synchronie. Son état émotionnel, son regard sur ses parents, l'école, la société… Je m'identifie complètement à elle. »

Manifestement, il n'est pas le seul. Depuis que Netflix a mis la série en ligne, le 23 novembre dernier, Mercredi bat en effet les records de visionnage déjà impressionnants d'une autre série gothique capable de réunir ados et parents dans une même transe addictive, Stranger Things. Un succès qui fait presque aussi peur que la fameuse famille tout de noir vêtue.

Un regard pénétrant sur l'adolescence

Bien sûr, Mercredi Addams (Jenna Ortega) n'est pas une ado banale. Qu'on lui présente un dahlia noir et elle s'enthousiasme : « La fleur qui a donné son nom à mon affaire préférée de meurtre non résolu ! » Qu'elle s'enflamme pour une célébrité, et ce n'est pas Billie Eilish ni même Marilyn Manson… mais Mary Shelley, l'autrice de Frankenstein. « J'ai deux ans et 364 jours pour faire mieux qu'elle », lance-t-elle donc, affichant son ambition d'écrire elle aussi un chef-d'œuvre gothique avant ses 19 ans. Avec sa pâleur de morte et ses vêtements exclusivement noirs (« comme un filtre Instagram vivant ! », s'exclame un condisciple), Mercredi se sent isolée, solitaire, incomprise… y compris dans sa nouvelle école, la Nevermore Academy, qui accueille pourtant des ados sacrément bizarres – loups-garous et vampires confondus.

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Mais qu'importe à Mercredi si elle est entourée de gens qui se sentent différents : c'est elle la plus différente, elle en est persuadée, qui vit le regard des autres sur sa personne comme une violence. Sans compter que ses parents – les irrésistibles Gomez et Morticia (Luis Guzman et Catherine Zeta-Jones) – lui paraissent terriblement envahissants, voire embarrassants. Malgré toutes ses excentricités, Mercredi Addams est donc une ado exactement comme les autres. C'est bien ce portrait finement écrit par le tandem de créateurs, Miles Millar et Alfred Gough, qui fait toute la réussite de Mercredi, une série qui touche juste qu'on la regarde à l'âge de la protagoniste ou plusieurs décennies après. D'ailleurs, la série ne se passe pas dans un passé rétro mais à l'heure des réseaux sociaux, dont Mercredi, originale jusqu'au bout, refuse de se servir : « C'est un vortex destructeur qui n'a d'autre enjeu qu'une exaltation absurde de soi. » On ne saurait mieux dire.

La griffe Burton

« Il fait enfin une journée magnifique », s'exclame Morticia Addams dans le premier épisode alors que le soleil a disparu et qu'une pluie torrentielle s'abat sur la Nevermore Academy. Pas de doute, Mercredi se déroule dans l'univers gothique de Tim Burton. On y retrouve l'architecture victorienne chère au cinéaste, un délicieux humour noir (notamment grâce à la Chose, la main douée d'autonomie qui appartient à la famille Addams et qui accompagne Mercredi dans sa scolarité), et la musique lyrique de Danny Elfman… Burton s'offre même quelques clins d'œil à sa propre filmographie : dans la cour, un arbre tordu semble échappé de Sleepy Hollow (1999), tandis qu'au café de la ville voisine, une silhouette en métal évoque le Willy Wonka de Charlie et la chocolaterie (2005). Plus largement, la série s'inscrit à la perfection dans la réflexion de longue date de l'auteur d'Edward aux mains d'argent (1990) sur le monstre et cette société qui le rejette.

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On y retrouve en outre ce plaisir du « cousu main » qui est une part essentielle de la mythologie Burton. Lui qui fabriqua lui-même la marionnette de Mr. Jack (L'Étrange Noël de Mr Jack, 1993) se débarrasse ici de tout gadget technologique, réduit la part des effets spéciaux et exalte chez Mercredi, fine escrimeuse et artiste en devenir, un goût de la culture terriblement XIXe siècle. Alors bien sûr Burton n'a réalisé lui-même que quatre épisodes sur les huit que compte la série… ce qui signifie qu'en termes de pure mise en scène, la première moitié est très supérieure à la suite. Mais vu le succès de Mercredi, une saison 2 et un investissement accru du maître sont envisageables.

La découverte d'une actrice surdouée

Dans le pilote de Mercredi, la jeune héroïne découvre qu'elle a un superpouvoir – des visions qui se déclenchent quand elle touche certains objets. Les huit épisodes de la série racontent comment Mercredi apprivoise ces nouvelles capacités, et en tire un savoir nouveau sur le passé de sa famille, ces mystérieux Gomez et Morticia Addams qui ont jadis étudié et vécu leurs premiers émois amoureux à Nevermore… Il y a là un effet de miroir très satisfaisant pour le spectateur car, à mesure que Mercredi approfondit sa connaissance de ses racines et donc d'elle-même, le portrait psychologique du personnage prend du relief. Or, l'actrice qui incarne Mercredi Addams, Jenna Ortega, est largement à la hauteur du défi.

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À peine plus âgée que son personnage (elle a 20 ans), la jeune fille – repérée dans la série Jane the Virgin et vue cette année dans le cinquième épisode de Scream au cinéma – n'a pas seulement de la présence et un vrai talent pour asséner des répliques qui font mouche. Elle exprime, dans les moments clefs de l'histoire, une sensibilité et une vulnérabilité qui permettent à Mercredi d'échapper à l'autocaricature. Entourée par d'excellents seconds rôles (notamment Gwendoline Christie, la Brienne de Game of Thrones, et Christina Ricci, la première Mercredi des films de La Famille Addams), Jenna Ortega participe largement à la réussite de la série.