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« Mère de lait et de miel », de Najat El Hachimi, une ode de celle qui est partie à celles qui sont restées

LE LIVRE DE LA SEMAINE. L’auteure hispano-marocaine livre un magnifique roman qui retrace l’exil d’une jeune partie du Rif en Espagne, où elle connaîtra malheurs et libération.

« Je le dirai pour vous, mes sœurs, je dirai ce que vous me demandez. Cette voix, ma voix, vous racontera les faits vécus par celle qui est sortie du même ventre que vous. Donnez-moi du thé pour me réchauffer la langue, fermez la porte pour que mes paroles ne sortent pas d’ici. Elles ne sont que pour vous, vous qui pouvez les comprendre et les garder. » C’est une femme éprouvée mais droite et forte qui s’exprime au début de Mère de lait et de miel, magnifique roman nouvellement traduit en France de l’écrivaine hispano-marocaine Najat El Hachmi.

Revenue dans son village natal du Rif après de longues années d’exil, Fatima raconte à ses sœurs ce que fut son expérience à l’étranger : une vie de douleurs et de pleurs, mais aussi de courage et d’audace lorsque, face à l’incurie de son époux, elle a dû prendre son destin et celui de sa fille en main.

D’un flot ininterrompu de paroles dont on perçoit les modulations du chuchotement au cri, Fatima retrace son itinéraire depuis son départ du Maroc en bateau à la recherche de l’époux émigré qui l’a abandonnée à sa belle-famille, jusqu’à la ville d’Espagne où, paysanne étrangère et illettrée, elle parvient malgré tout à survivre seule et à s’adapter. « Elle ne voulait pas penser au lieu d’où elle venait, elle ne voulait pas se souvenir de sa mère qui lui manquait, de ses sœurs qui lui manquaient, pas plus que du paysage. La nostalgie qu’elle avait anticipée, pour le moment elle voulait la mettre à l’abri, fermée à double tour. »

A l’ombre des hommes

Des péripéties de cette vie inventée à l’aveugle, Fatima se fait la récitante, décrivant événements et lieux, narrant ses étonnements, voire sa défiance, à l’égard d’une culture et de pratiques socio-religieuses différentes de tout ce qu’elle a connu jusqu’alors.

Parallèlement à cette histoire, la romancière dépeint le parcours d’une enfant marocaine du monde rural, montrant de quelle manière, depuis son plus jeune âge, elle apprend des femmes de sa famille les gestes de la vie quotidienne ainsi que les usages et obligations liés à son genre. Car, dans cette microsociété aux coutumes très ancrées, les femmes n’ont d’autre horizon que la gestion – certes essentielle – du foyer familial.

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A l’ombre des hommes, assignées à des tâches multiples et souvent éreintantes, elles n’ont pas droit à la parole et doivent se contenter d’un rôle de second plan, de surcroît régi par un arsenal de règles morales et de tabous. « Parfois, quand elle se retrouvait avec sa grand-mère Ichata, elle était tentée de lui demander en quoi consistait exactement le fait d’être abîmée, mais la honte et la peur d’être découverte ne lui permettaient pas de lever ce doute et de mettre fin à son angoisse. »

Au fur et à mesure que le roman progresse au rythme de ces trames croisées dont on comprend bientôt le lien, la vie de Fatima apparaît comme une parabole : celle de la conquête de son indépendance par une femme que son parcours délivre malgré elle du patriarcat, la poussant finalement à assumer sa liberté. Celle en quelque sorte d’une revanche sur le destin.

Rejoindre le cercle de thé

Grâce à l’intensité qu’elle parvient à donner au moindre instant de vie de son héroïne, Najat El Hachmi fait du voyage de Fatima une véritable odyssée, l’inscrivant symboliquement dans la longue litanie des départs et distanciations intimes qui jalonnent la vie des femmes – de l’expulsion naturelle de l’accouchement au sevrage du bébé, du silence entourant la jeune fille pubère à celui accablant de la virginité, et jusqu’aux adieux à la complicité filiale lorsque le mariage impose à la jeune fille de partir vers un nouveau foyer.

On se laisse happer par la beauté de l’écriture de l’autrice, musicale, riche d’images poétiques, parcourue d’énigmes et de sagesses, comme une invitation à rejoindre le cercle de thé chaleureux des sœurs de Fatima afin de boire avec elles les paroles de l’héroïne. « Vous étiez toutes ensemble, comme une bande de tissus aux couleurs vives au milieu d’un paysage poussiéreux, au milieu d’une variété de tons ocre, toutes ensemble vous formiez une bien jolie tache de couleur. »

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Née en 1979 à Nador, au Maroc, puis élevée en Catalogne à partir de l’âge de 8 ans, Najat El Hachimi construit une œuvre distinguée par plusieurs prix mais encore peu traduite en France. Elle ne cesse, de livre en livre, de jeter des ponts entre les deux cultures dont elle est issue. Mère de lait et de miel débute par une dédicace à sa mère et fait écho à la destinée que l’écrivaine réserve dans le roman à Sara, la fille de Fatima : « A ma mère qui, sans savoir lire, m’a appris à écrire. »

Mère de lait et de miel, de Najat El-Hachmi, traduit du catalan par Dominique Blanc, éd. Verdier, 384 pages, 24 euros.

Kidi Bebey

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