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Métropoles régionales : qui va payer la facture des « RER Macron » ?

C'était il y a trois ans et demi jour pour jour. Peu après la crise des Gilets jaunes qui avait mis en lumière les fractures territoriales entre les citadins bien desservis en transports en commun et les péri-urbains contraints par la flambée des prix immobiliers de s'éloigner chaque jour davantage des centres-villes et d'être dépendants de la voiture individuelle. Lors d'un colloque organisé à Bordeaux le 28 mai 2019 par SNCF Réseau en partenariat avec Bordeaux Métropole et le conseil régional de Nouvelle Aquitaine, la ministre des Transports - une certaine Elisabeth Borne - appelle le gestionnaire du système ferroviaire français à construire un schéma directeur national des RER métropolitains.

Chose promise, chose due : le 9 octobre 2020, le directeur général délégué de SNCF Réseau, Matthieu Chabanel (PDG depuis octobre 2022, Ndlr) remet son rapport sur le développement de « services express métropolitains » à un autre ministre des Transports, Jean-Baptiste Djebbari. A cette occasion, ce dernier a annoncé, dans le cadre du plan de France Relance de 100 milliards d'euros, une enveloppe de 30 millions d'euros « pour étudier ces nouveaux services », et fixe, « l'horizon 2023-2024 la mise en œuvre des premiers travaux ».

« Un super objectif pour l'écologie, l'économie, la qualité de vie »

Sauf que sans attendre l'échéance 2023-2024, le président de la République, en personne, vient de donner un coup d'accélérateur. Ce dimanche, dans une vidéo postée sur Youtube et relayée sur Twitter dans laquelle il répond aux questions des internautes, Emmanuel Macron a annoncé un objectif de dix villes métropolitaines équipées RER.

« C'est un super objectif pour l'écologie, l'économie, la qualité de vie », s'enthousiasme le chef de l'Etat, faisant savoir, au passage, qu'il est petit-fils de cheminot et rappelant que « le RER, ce n'est pas que sur Paris ».

Il ne croit pas si bien dire : dès le 12 décembre prochain, Strasbourg déploiera son réseau express métropolitain européen (REME). Grâce à une quatrième voie ferrée à 117 millions d'euros cofinancée par l'Etat, la région, l'Union européenne et les collectivités territoriales, au moins 120 trains supplémentaires circuleront chaque jour. Tout cela a un coût évidemment : 15 millions d'euros par an en dépenses de fonctionnement, supportés à moitié par la région et à moitié par la métropole, toutes deux autorités organisatrices de mobilité aux yeux de la loi.

« C'est 5 à 6 ans de travail avec l'Etat, le département, l'Eurométropole et les transporteurs routiers », témoigne, auprès de La Tribune, le président (LR) du conseil régional du Grand-Est, Jean Rottner.

Strasbourg aura le « RER » promis par Macron... dans moins de 15 jours

Patron de la commission Transports au sein de l'association des Régions de France, il recevra, ce mercredi 30, le ministre Clément Beaune et l'interrogera sur trois points : la concrétisation de cette promesse dans le contrat de plan Etat-région, la capacité économique, humaine et technique de SNCF de relever le défi et la contribution des métropoles. « C'est un sujet intelligent, seulement il faut le financer. Pour le moment, il n'est pas financé », a déclaré à l'AFP Bruno Gazeau, président de la Fédération nationale des usagers des transports (Fnaut). L'enveloppe est conséquente. En juillet dernier, le président de la SNCF, Jean-Pierre Farandou évaluait l'investissement nécessaire à la création de RER métropolitains dans, non pas 10 mais 13 grandes villes, à 13 milliards d'euros.

Le risque de raviver une guerre de tranchée métropoles-régions

Dans un communiqué envoyé ce 28 novembre, les métropoles, via leur association France urbaine, « appellent à ce que les régions, compétentes en matière de ferroviaire aient des moyens supplémentaires pour l'investissement dans les infrastructures, le matériel roulant et la signalisation ». Les élus des grandes villes, agglomérations et métropoles se déclarent en outre « prêts à engager un travail commun dans les plus brefs délais » et se disent « attentifs à ce que cette annonce soit suivie d'actes ambitieux et concrets et à ce que les concernés soient pleinement parties prenantes ».

Sauf que cela risque de raviver une guerre de tranchées entre les deux collectivités territoriales, toutes deux autorités organisatrices. Lors du dernier congrès des Régions de France, la présidente (PS) Carole Delga avait fait savoir qu'elle aimerait récupérer une partie des versement mobilité, acquittée par les entreprises, mais dont bénéficient aujourd'hui les métropoles et les intercommunalités. Le patron (LR) du Grand-Est Jean Rottner va aujourd'hui plus loin et demande à ce que les recettes de péage des concessions autoroutières leur reviennent.

Les propositions de Patrick Jeantet, l'ex-PDG de SNCF Réseau

Fin connaisseur de l'écosystème, pour avoir été le PDG de SNCF Réseau entre 2016 et 2020, Patrick Jeantet propose, lui, de « démonter la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE) » avec « une taxe carbone nationale » et « une taxe carbone locale ».

« C'est de la bonne dette et cela permettra à l'Etat de partager les investissements avec les collectivités concernées », estime cet administrateur indépendant de Spie, également consultant chez Vauban Infrastructure.

Plus polémique, l'ex-cadre dirigeant de la SNCF recommande d'instaurer une fiscalité différenciée selon la résidence : une fiscalité « alourdie » dans les aires métropolitaines où les transports en commun sont déjà pléthoriques et une fiscalité « abaissée » dans le monde rural où le véhicule individuel est une nécessité pour se déplacer. La Fédération nationale des usagers des transports (FNAUT) plaide, elle, pour un 5ème appel à projet de transports collectifs en site propre (TCSP) pour encourager les métropoles et les régions à « concevoir et présenter des projets conjoints ».

Autant d'idées qui seront à l'ordre du jour du prochain Conseil d'orientation des infrastructures. Cet objet politico-administratif méconnu du grand public composé d'élus locaux, de hauts fonctionnaires, de personnalités qualifiées et de parlementaires « remettra un avis sur la maturité des projets » d'ici à la fin de l'année, affirme à La Tribune son président David Valence, députée Renaissance de la 2ème circonscription des Vosges. Dès lors, le sujet pourra être repris en main par la Première ministre Elisabeth Borne.

Un serpent de mer à Lyon

A Lyon, la question du RER métropolitain est déjà celle d'un grand serpent de mer : un projet est dans les cartons depuis plusieurs années. Il vise ainsi à s'appuyer sur les lignes TER existantes, en renforçant la fréquence des dessertes, mais également à intégrer des infrastructures comme le tram-train de l'ouest lyonnais ou la ligne de bus à haut niveau de service (BHNS) de Trévoux. Objectif affiché : passer dans une première couronne (entre Lyon et les villes voisines de Tarare, Villefranche sur Saône, Bourgoin/Jallieu ou encore Brignais) à des dessertes au quart d'heure. Et sur le reste du réseau, à une fréquence de deux trains par heure. Mais un tel projet n'est pas attendu avant 2035 : si la Région, contactée plusieurs fois à ce sujet au cours des derniers mois, n'a toujours pas répondu à nos sollicitations à ce sujet, c'est parce que le dossier patine jusqu'ici.

Budgété au sein d'une fourchette d'investissement large allant « de 1,4 à 7 milliards d'euros », ce projet nécessite non seulement de nouveaux investissements sur le réseau, mais soulève également des enjeux propres au réseau lyonnais : à savoir la gestion du Nœud ferroviaire lyonnais, point de passage le plus fréquenté en dehors de la région Île-de-France, mais il nécessitera aussi de pouvoir mettre en place une unification des systèmes d'informations entre les services de la Métropole de Lyon et de la Région (avec la proposition notamment faite par la Région de développer la carte Ourà sur le réseau TCL), ainsi qu'une unification des tarifs (qui devra elle-même passer par une entente financière entre les deux collectivités). Et on peut dire qu'à ce sujet, le climat n'est toujours pas au beau fixe entre l'exécutif EELV du Grand Lyon, qui a exhorté en mars dernier le président LR de la Région Auvergne Rhône-Alpes à avancer « plus vite ». De son côté, Laurent Wauquiez s'est déjà positionné, sur le principe, sur un accord de financement concernant le « premier tiers » nécessaire à l'enveloppe du projet. Reste à savoir comment et sous quelle modalité sera financé le reste; la balle étant ainsi renvoyée à la Métropole et à l'Etat. Etat qui est justement attendu au tournant début 2023, dans le cadre des discussions du volet infrastructures du contrat de plan Etat-Région, qui devrait intégrer justement le dossier du RER métropolitain. A noter qu'à l'échelle d'Auvergne Rhône-Alpes, il existe également d'autres projets de RER métropolitains comme celui de Grenoble, Clermont-Ferrand mais également Saint-Etienne.

Une demande du monde économique à Aix-Marseille

Un RER métropolitain, « cela fait longtemps que le monde économique le demande », souligne le président de la Chambre de commerce et d'industrie Aix-Marseille Provence. Jean-Luc Chauvin, qui en avait fait la suggestion dans son document Tous acteurs, à destination des candidats aux élections municipales de 2020, évoquant alors l'idée qu'un tel outil constituerait « un saut qualitatif majeur ».

Pour Jean-Luc Chauvin, il faut graver la chose dans le marbre et dans le « Plan Marseille en Grand » afin qu'il devienne une priorité. Pour lui, ce RER doit réaliser « une boucle passant par différentes villes du territoire, allant de Salon à Martigues » mais aussi par l'aéroport Marseille Provence, mal desservi. Un tel RER pourrait ainsi devenir une sorte de troisième ligne de métro. Le RER métropolitain est aussi déjà un sujet pour la métropole Aix-Marseille Provence que préside Martine Vassal, qui réfléchit et travaille sur le sujet. Renaud Muselier, le président (ex-LR) de la Région Sud - qui a été précurseur en matière de transport en ouvrant les lignes TER à la concurrence - estime de son côté que « la création de ces RER métropolitains est une très bonne nouvelle et sera effective grâce à l'ouverture à la concurrence et à la Ligne Nouvelle Provence Côte d'Azur dans les prochaines années. Nous aiderons bien évidemment à mettre ce projet en œuvre conformément à nos compétences ». Car évidemment se pose la question de la gouvernance : qui de la Région ou de la Métropole aura la main ?

A Montpellier, le maire veut accélérer sur la LGV jusqu'à Perpignan

A Montpellier, le maire et président (PS) de la Métropole, Michaël Delafosse, se montre, lui, enthousiaste mais s'empresse de transposer l'ambition présidentielle à la mode montpelliéraine, en proposant une adaptation à l'intermodalité existante ou déjà dans les tuyaux.

« Il faut que chaque territoire ait sa propre stratégie, déclare-t-il. La Métropole de Montpellier consacre 1 milliard d'euros d'investissements en faveur des mobilités décarbonées, avec l'extension de la ligne 1 de tramway et la création de la ligne 5 (respectivement attendues pour fin 2024 et septembre 2025, NDLR), la création d'un réseau de cinq lignes de bus-tram (d'ici à 2025, permettant de relier Montpellier à dix communes de la Métropole, NDLR) et d'un réseau de vélos-lignes. »

 Mais l'édile montpelliérain voit surtout, dans les annonces présidentielles, l'opportunité d'accélérer sur les projets en cours, notamment la ligne à grande vitesse entre Montpellier et Perpignan (LNMP) : « Je propose à Emmanuel Macron, comme première mesure, de passer en procédure accélérée sur la réalisation du tronçon de la LGV Montpellier-Béziers qu'on annonce en 2034..2034 pour faire 40 km ! La LGV permettra de libérer des sillons et de cadencer le TER du littoral - que nous appelons le "RER du littoral" - pour faire demain, par exemple, Sète-Montpellier en 15 minutes ! La priorité, c'est le littoral : aujourd'hui, les gens n'ont pas confiance dans le TER car il n'y en a pas assez. »

Et l'élu de conclure : « Le maître-mot, c'est "temps record", car nous parlons d'urgence climatique et, à 2 euros le prix d'essence, d'urgence sociale ! Si c'est mettre autant de temps que pour construire les infrastructures de transport du Grand Paris, la parole publique de l'Etat sera affaiblie ».

Le maire (ex-LR) de Toulouse estime le métro plus efficace

À Toulouse, le projet d'un RER métropolitain attise également les ambitions de beaucoup d'élus locaux, surtout dans l'opposition municipale et métropolitaine depuis plusieurs années. Pour avancer sur le sujet, cette dernière s'appuie notamment sur les travaux de l'association Rallumons l'Étoile, qui porte un projet de RER à Toulouse, en optimisant tout d'abord l'existant avant d'envisager dans un futur plus lointain la construction de lignes dédiées. Mais le maire (ex-LR) de Toulouse et président de la Métropole est engagé depuis 2014 de toutes ses forces dans son projet de troisième ligne de métro, qui va coûter près de 3 milliards d'euros. Jean-Luc Moudenc a même partagé à plusieurs reprises ses doutes sur l'intérêt d'un tel projet de RER, estimant le métro plus efficace sur le plan écologique notamment.

 Une concertation achevée à Bordeaux le 25 novembre

A Bordeaux, le vice-président (PS) du conseil régional de Nouvelle-Aquitaine chargé des Transports n'est visiblement pas convaincu par les annonces surprises d'Emmanuel Macron. « Heureusement qu'on ne l'a pas attendu pour se mettre au travail », ironise Renaud Lagrave. Il faut dire que dans l'agglomération bordelaise la concertation sur ce projet déjà sur les rails s'est achevée le 25 novembre dernier.

« Nous l'accueillons à bord avec plaisir », ajoute Alain Anziani, le président (PS) de Bordeaux Métropole, espérant un soutien financier supplémentaire pour ce chantier à un milliard d'euros d'ici à 2030. Le projet s'articule autour de trois dessertes en TER transversales sans nouvelles voies ferrées mais avec deux nouvelles gares et des horaires revus et cadencés. Au total, 300 km de lignes et 54 gares sont concernées pour un potentiel de 38.000 voyageurs par jour.

 Une étude lancée dès 2021 à Rouen

A Rouen, Nicolas Mayer Rossignol n'a pas tardé à réagir à l'annonce d'Emmanuel Macron. « Nous avons les infrastructures. Nous sommes prêts. Chiche ! » lance sur Twitter le président (PS) de la Métropole. Voilà belle lurette, en effet, que la collectivité réfléchit à utiliser les rails existants pour désengorger le cœur de la ville traversé quotidiennement par 150.000 véhicules.

En partenariat avec l'Etat, la Région Normandie et SNCF Réseau, elle a lancé en 2021 une étude sur la faisabilité d'un Service Express Métropolitain à l'échelle de son aire urbaine (670.000 habitants). Bien que l'agglomération soit handicapée par l'exiguïté de sa gare actuelle, trois lignes de desserte proche pourraient y être créées assez aisément moyennant l'électrification complète du réseau ferroviaire et le doublement de certains tronçons « mono-voie ».

A Rennes, on se dit "en capacité à partir de 2023" de proposer « des offres ferroviaires cadencées ». « J'ose espérer (...) qu'on est bien dans les dix métropoles », a réagi le vice-président de Rennes Métropole, Matthieu Theurier (EELV).