France
This article was added by the user . TheWorldNews is not responsible for the content of the platform.

«Mon psy m'écoute-t-il vraiment?»

Temps de lecture: 4 min

​​

Chaque jeudi, dans Ça tourne pas rond, Mardi Noir, psychologue et psychanalyste, répond aux questions que vous lui posez. Quelles que soient vos interrogations, dans votre rapport aux autres, au monde ou à vous-même, écrivez à [email protected], tous vos mails seront lus.

Chère Mardi Noir,

J'ai commencé une psychanalyse en avril dernier, à un moment où beaucoup de choses se bousculaient sur tous les plans de ma vie de jeune trentenaire: emploi, famille, couple… Bref, un sacré bordel.

Depuis, à raison d'une fois par semaine, je consulte ce psychanalyste d'orientation lacanienne (à en juger par les dizaines de bouquins de Lacan sur son étagère). Mais depuis le début j'ai un sentiment étrange après chaque séance, et toujours la même question qui se pose à moi: mon psy m'écoute-t-il vraiment?

Je sais que cette problématique est soulevée par beaucoup de patients en psychanalyse, et j'essaie tant bien que mal de me dire que ce sont mes propres angoisses que je projette sur cette question, qu'il s'agit du tout début de l'analyse et qu'il apprend à me connaître. Toutefois, même s'il prononce rarement un seul mot (frustration extrême), il lui arrive souvent de dire «ah, vous ne m'en aviez pas parlé», ou encore «j'ignorais cela», à la suite de choses que j'évoque pratiquement à chaque séance.

Exemple concret: après six mois d'analyse, il m'a dit: «Ah, je ne savais pas que vous aviez un frère Fait que j'ai pourtant dû évoquer une bonne douzaine de fois… J'en viens donc à lui répéter constamment les mêmes choses. J'ai l'impression de tourner en rond et d'être une vache à lait qui file son argent en échange de quelques «hmm hmm» désintéressés. Je n'ose pas évoquer cela avec lui, et je pense aujourd'hui changer de psychanalyste.

Est-ce une tactique délibérée de sa part pour me faire évoquer certains points? Ou bien est-ce qu'il s'en tamponne carrément et mise tout sur l'association libre sans rien retenir de ce que je dis? Est-il même censé retenir ce que j'évoque?

Alexandre

Cher Alexandre,

Je ne vais évidemment pas pouvoir vous dire quoi faire ou quoi penser de ce psy, d'autant que dans votre questionnement se logent déjà plusieurs réponses. À savoir que vous avez le sentiment de ne pas être écouté et songez à changer de psychanalyste, ce qui, ma foi, me semble légitime après six mois d'essai. Néanmoins, je peux ajouter à vos questions d'autres interrogations qui vous aideront peut-être à y voir plus clair et qui vous guideront dans le choix d'une autre adresse.

Comment avez-vous trouvé votre psy? L'avez-vous choisi par nécessité géographique, près du boulot, près de chez vous? Comme ça, un peu par hasard sur Doctolib? Si c'est le cas, se pourrait-il que la façon dont vous lui racontez vos histoires soit désincarnée puisque ce qui prime dans ce choix est de ne pas perdre de temps, et donc ça rate forcément, ça tourne en rond comme vous dites. Notez que je m'adresse à vous cher Alexandre, mais je ne sais rien de ce qui vous a mené à ce psy, je lance des pistes comme ça à la cantonade!

L'avez-vous choisi parce qu'il vous a été recommandé? Si oui, par qui? Quelle est la nature de la relation que vous entretenez avec cette personne, non pas qu'elle ne soit digne de confiance puisque vous l'avez écoutée, mais peut-être vous met-elle mal à l'aise, peut-être est-ce quelqu'un qui insiste pour que vous fassiez ce travail sur vous depuis longtemps, peut-être qu'inconsciemment vous ne pouvez pas aimer le même psy que cette personne? L'avez-vous choisi pour sa renommée? Peut-être avez-vous lu ses articles, écouté une ou deux conférences et finalement pensé qu'il a mieux à faire que de vous écouter. Bref, vous l'aurez compris, pensez à pourquoi lui et pas un autre, ça vous éclairera sans doute un peu.

Ensuite, comment puis-je savoir si votre psy vous écoute vraiment, il est bien sûr possible qu'il se foute royalement de votre cas. Mais ce n'est pas la question à se poser. La question est plutôt, comme vous le dites, pourquoi continuer de vous infliger des séances qui semblent vous mettre mal à l'aise et vous conduisent à penser que vous payez quelqu'un à ne rien foutre, si je comprends bien votre sous-texte. D'autant que d'après ce que vous me dites, vous êtes volontaire et avez des choses à dire. En effet, c'est mieux d'être entendu.

S'entendre parler, l'entendre écouter

Alors, là aussi sur ce point, j'aimerais ajouter un petit quelque chose, non pas pour que vous continuiez forcément avec lui, mais plutôt pour la suite. Quel est votre rapport au fait d'être écouté? Vous parlez d'angoisse commune, mais c'est la vôtre! Je n'ai jamais douté d'être écoutée et c'est un autre problème, je crois un peu trop que les gens, les psy, le monde m'écoute et réagit en conséquence. Je découvre parfois que non, on ne m'écoute pas.

À l'inverse, un jour, vous découvrirez sûrement qu'on vous écoute plus que vous ne le pensez. Peut-être que ce psy vous entend à défaut de vous écouter. Peut-être que ses remarques sont des impertinences, comme vous l'évoquez aussi, peut-être qu'il vous pique un peu à dessein pour que vous entendiez, vous, ce que vous dites ou ne dites pas. Mais à vrai dire je n'en sais rien, que votre psy soit une tache ou un génie incompris, dans tous les cas, ça ne fonctionne pas pour vous, et ça personne n'y peut grand-chose, si ce n'est vous.

Je finirai ma réponse par une petite anecdote. Un patient, que je connais, un ami quoi, après s'être adressé pendant des années à des pontes de la psychanalyse, qui lâchaient un mot énigmatique une séance sur quatre, a choisi d'aller voir quelqu'un de plus lambda, pas une tête, juste quelqu'un dont on lui avait dit «elle est super». Et ça y est, il s'entend parler, il l'entend l'écouter, bref, il a pu commencer à travailler. Trouvez votre quelqu'un de super.