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Mort de Mahsa Amini : l'Iran a-t-il ruiné ses chances de signer un accord sur le nucléaire ?

La répression brutale par le pouvoir iranien des manifestations contre la mort de Mahsa Amini place les parties prenantes des négociations sur le nucléaire iranien dans une position délicate. La France, mais aussi le président américain Joe Biden, sont pris en tenailles. Et ce, alors que plusieurs points de discorde persistent. France 24 fait le point.

Tirs à balles réelles, ciblage des étudiants, arrestations des journalistes…  Les autorités iraniennes ne lésinent pas sur la répression des manifestants pour faire taire les révoltes qui secouent l'Iran depuis la mort de Mahsa Amini le 16 septembre.

Une attitude qui pourrait venir compliquer davantage les tractations diplomatiques entre l’Iran et les grandes puissances (Russie, Chine, France, Royaume-Uni, Allemagne, et les États-Unis de façon informelle), afin de sauver l’accord le nucléaire iranien, alors même que les négociations piétinent après un an et demi d’échanges.

Depuis plusieurs jours, le ton est monté. Plusieurs pays européens ont appelé Téhéran au respect des droits de l’Homme. La France notamment a demandé, mardi 4 octobre, des sanctions européennes contre les responsables de ces répressions qui ont fait plus d’une centaine de morts, d’après un bilan de l'ONG Iran Human Rights (IHR) basée en Norvège.

"Vu ce qui se passe en Iran, les parties prenantes des négociations sur le nucléaire présentent moins d’entrain à chercher à finaliser à tout prix l’accord", observe David Rigoulet-Roze, chercheur associé à l'Iris, spécialiste de l'Iran. "Pour sa part, le régime se durcit en réaction aux manifestations et il est encore moins enclin à faire le moindre compromis qui lui donnerait l’impression d’être en situation de faiblesse. Donc il paraît peu probable que l’Iran infléchisse sa position par rapport aux Occidentaux dans les négociations sur le nucléaire".

"On danse sur un volcan"

Par ailleurs, décrypte David Rigoulet-Roze, "les droits de l’Homme ne constituent pas une variable technique de l’accord. Ce qui n’empêche pas les parties prenantes – notamment les Occidentaux – d’afficher leurs positions en dehors des négociations. C'est le cas avec les nouvelles sanctions évoquées par les Européens et les Américains par rapport à la répression en cours de ces manifestations".

"La question des droits de l’Homme est extrêmement importante mais si les négociateurs l’ajoutent aux discussions, il n’y aura pas d’accord. Et la République islamique va juger que c’est de l’ingérence et l’utiliser comme preuve que ces manifestations sont un complot de l’étranger", analyse Thierry Coville, chercheur à l’Iris et spécialiste de l’Iran.

C’est déjà chose faite, le Guide suprême iranien ayant déclaré lundi que les "émeutes" étaient fomentées par les États-Unis et Israël et non organisées par les "Iraniens ordinaires".

La France, elle, a vu son chargé d'affaires convoqué à Téhéran la semaine dernière après la condamnation par le Quai d'Orsay de la "répression brutale" des manifestations. "L'Iran a considéré qu'il s'agissait d'une ingérence que de rappeler les principes fondamentaux des droits de l'Homme et a cru bon de le faire savoir à notre ambassade sur place", a fait savoir mardi la ministre des Affaires étrangères Catherine Colonna, après avoir annoncé à son tour la convocation du chargé d’affaires iranien à Paris.

Dans ce contexte, la position de la France, qui a tardé à demander des sanctions contre les responsables de la répression iranienne, a été "perçue comme une forme de mutisme même si cela relève sans doute plus spécifiquement d'une logique prudentielle... On danse sur un volcan et c’est la vie des gens en Iran qui est en jeu. Paris ne veut pas envenimer une situation qui est déjà tragique. La France ne veut pas en rajouter et donner à Téhéran le prétexte pour justifier des accusations à caractère complotiste avec une supposée ingérence internationale", décrypte David Rigoulet-Roze.

Joe Biden pris entre deux feux

La réponse brutale de la République islamique aux révoltes de la rue iranienne, place surtout le président américain Joe Biden dans l’embarras. À l’approche des élections de mi-mandat, qui auront lieu le 8 novembre aux États-Unis, "difficile pour lui de s’engager dans un accord sur le nucléaire avec un pays non respectueux des droits de l’Homme", souligne Thierry Coville.

Une gêne qui se traduit par un double discours. Joe Biden a fait savoir lundi dans un communiqué que "cette semaine, les États-Unis infligeront de nouvelles sanctions aux auteurs de violences contre des manifestants pacifiques" en Iran. Ce à quoi, la porte-parole de la Maison Blanche Karine Jean-Pierre s’est empressée d’ajouter que Washington pouvait d'une part condamner cette répression, et de l'autre poursuivre les négociations pour tenter de ressusciter l'accord international de 2015 sur le nucléaire iranien. "Au plus fort de la Guerre froide, quand le président Reagan appelait l'Union soviétique 'l'empire du mal', il menait également des négociations de contrôle des armements" avec les Russes, a-t-elle justifié.

Au mois d'août, l'Iran avait accepté de renoncer à demander aux États-Unis de retirer le corps de Gardiens de la révolution de la liste noire des organisations terroristes, laissant entrevoir un point de discorde en moins. 

En début de semaine, les dernières déclarations du porte-parole du ministère iranien des Affaires étrangères ont laissé croire à un rapprochement avec les États-Unis. Nasser Kanani a affirmé lundi 3 octobre que "des messages entre l'Iran et l'Amérique ont été échangés à New York", en marge de l’Assemblée générale de l’ONU à la mi-septembre, par l'intermédiaire du coordinateur européen Enrique Mora et d'autres hauts responsables. Il est "encore possible" de relancer l'accord sur le nucléaire, a-t-il ajouté, affirmant que "des efforts sont en cours par l'intermédiaire du coordinateur européen et de certains médiateurs, dont les ministres des Affaires étrangères des pays voisins, pour échanger des messages afin de parvenir à un accord". "Si l'autre partie, en particulier le gouvernement américain, fait preuve de volonté politique, il est possible de conclure un accord en peu de temps", a-t-il conclu.

Dans le même temps, Téhéran a libéré un Irano-américain détenu en Iran depuis 2016, Baquer Namazi, et son fils Siamak Namazi, arrêté en 2015. Une décision motivée par une "exigence médicale" a fait savoir le département d’État américain, tandis que l’Iran a lié ce geste au dégel d’environ 7 milliards de dollars de fonds bloqués à l’étranger selon l’Agence de presse de la République islamique d’Iran (IRNA).

Par ce geste, "la République islamique opère un recul prudent", estime Thierry Coville pour qui "les évènements actuels poussent Téhéran à la flexibilité sur le plan diplomatique pour obtenir un accord". "Il peut y avoir à la marge dans la diplomatie des otages des ajustements pour débloquer une partie des fonds sous séquestre. Mais ce n’est pas cela qui permettra la signature d’un accord. Un accord c'est d’abord un compromis intégrant un ensemble de contraintes et on n’en est pas encore là", tempère David Rigoulet-Roze. Et le chercheur de rappeler qu’avant même les manifestations, "la partie iranienne était dans une logique d’obstruction".

Gérer l'après "non-accord"

Ces troublantes concessions peuvent-elles tempérer la bascule qui s’est opérée à la mi-septembre ? Paris, Berlin et Londres qui espéraient encore arracher un accord après l’été ont perdu patience devant l’accélération du programme nucléaire iranien.

Selon le dernier rapport trimestriel de l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA), la République islamique a encore augmenté son stock d'uranium enrichi jusqu'à 60 %, proche de la qualité militaire, et il en a désormais plus qu'il n'en faut pour se lancer dans la fabrication d'une bombe atomique s'il l'enrichissait un peu plus. Une inquiétude de plus alors que "l’Iran ne veut pas donner de réponse à l’AIEA concernant la présence d’uranium anthropique relevé sur trois sites sensibles non déclarés renvoyant à la possible dimension militaire du programme nucléaire iranien : Marivan, Varamin et Turquzabad", explique David Rigoulet-Roze, estimant un accord impossible dans les conditions actuelles. Dans un rapport paru en mai, le gendarme onusien du nucléaire avait pointé l’absence de "réponses satisfaisantes" de l’Iran sur la question de ces trois sites non déclarés.

Reste un autre point de tension : les négociateurs iraniens exigent que Joe Biden garantisse le respect d’un futur accord, même en cas de changement de président aux États-Unis en 2025. Or pour le chef d’État américain, cela est tout simplement impossible, "car le fonctionnement des institutions américaines ne le permet pas", relève David Rigoulet-Roze. "Juridiquement Joe Biden ne peut pas s’engager en cas de changement de majorité pour une raison simple, c’est que le JCPOA [accord sur le nucléaire iranien] n’est pas un traité international, mais un accord. Les traités internationaux signés par les États-Unis doivent être entérinés par le Congrès américain. Or il n’y aura jamais une majorité suffisante pour valider un éventuel traité iranien".

Aussi, pour ce spécialiste de l’Iran, après un an et demi d’intenses échanges diplomatiques, le sauvetage de l’accord de 2015 sur le nucléaire iranien n’est plus d’actualité. "C’est la gestion de l’après 'non-accord' qui est aujourd’hui envisagé en creux par les Occidentaux en général et les Américains en particulier", estime-t-il. Et ce, face à un Iran "qui est devenu un pays du seuil [nucléaire] ... sachant qu’ils ont désormais suffisamment d'uranium enrichi à haut niveau, associé à un savoir-faire sur lequel on ne reviendra pas, pour fabriquer une bombe nucléaire si une décision politique était prise pour le faire. Ce qui ne semble pas être encore le cas pour l’instant".