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Mort de Paco Rabanne, le «métallurgiste» de la mode

DISPARITION - Chantre de la réincarnation, génial créateur et auteur à succès, il n'a cessé de provoquer. Celui qui déclarait n'être tombé dans la mode que pour gagner sa vie est décédé ce vendredi à 88 ans.

L'habit rituellement noir et le collier de barbe taillé au cordeau cachaient un homme haut en couleur. Un illuminé, intarissable sur ses picaresques vies antérieures. Depuis ses insomnies de l'enfance, le chantre de la réincarnation avait eu le loisir de se reconnaître, pêle-mêle, en courtisane du roi Louis XV, en Merlin l'Enchanteur à Brocéliande, en assassin sous le règne de Toutânkhamon... Celui qui affirmait sans sourciller avoir précédé le déluge en Atlantide il y a 75 000 ans, prédisait que sa vie de couturier serait la dernière. Nul doute la plus tangible et la plus prolifique de ses carrières.

Rien ne prédestinait cet architecte, formé aux Beaux-Arts dans l'atelier d'Auguste Perret, l'inventeur du béton armé, à créer des robes, si ce n'est le besoin de financer ses études. Sa mère, qui fut première d'atelier chez Balenciaga, en Espagne, lui ouvre les portes des grandes maisons, parmi lesquelles Givenchy, Dior et Nina Ricci. Au début des années 1960, le jeune Francisco y vend ses dessins et ses accessoires -sacs, bijoux, chapeaux ou barrettes. Féru d'innovation plus que de mode, l'architecte lance en 1965 une ligne de bijoux en Rhodoïd, une matière plastique à base d'acétate de cellulose, légère et rigide, qui se décline dans toutes les couleurs. La collection, signée Paco Rabanne, fait fureur.

L'art du détournement

Coup de folie ou géniale intuition ? L'étudiant du quartier de Saint-Germain-des-Prés, séduit par la révolution des matériaux, imprégné par les mouvements d'avant-garde comme le pop art et le cinetic art, décide de « secouer l'univers archaïque de la mode ». Le provocateur soulève un tollé lors de son premier défilé en 1966. Une collection de douze robes en Rhodoïd, ce matériau inédit, s'affiche sur des mannequins noires – du jamais vu sur un podium à l'époque. Comble de la rupture, les modèles se déhanchent en musique, au rythme du Marteau sans maître de Pierre Boulez ! Les chroniqueurs s'étranglent, Paco Rabanne jubile.

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L'homme ne cessera de cultiver l'art du détournement. Substituant le rivetage à la couture, il crée ses fameuses robes en plaques d'aluminium aux allures de cottes de maille qui dénudent d'audacieuses zones du corps. Il introduit tour à tour dans la mode le papier, la corde, le bois ou le vinyle. Il est le premier à tricoter la fourrure. Le premier aussi à discipliner des matériaux aussi improbables que le verre holographique, les réflecteurs solaires ou la toile alvéolée de la Nasa. Peu lui chaut le confort du vêtement. « La haute couture doit être «importable». C'est un manifeste de rêve », proclame-t-il.

Lui, « le plastiqueur de la mode », « le métallurgiste » raillé par Chanel, habille les vedettes de l'époque yéyé, les Bardot, Fonda , Birkin et Vartan. Vingt-quatre ans après son premier défilé, c'est la consécration : Paco Rabanne reçoit le Dé d'Or, la plus prestigieuse distinction de la haute couture. Rabanne, tout en paradoxes, fascine et déconcerte. La mode, clame-t-il au sommet de son art, « n'est pas vraiment mon centre d'intérêt ». Tout juste un moyen de gagner sa vie. Son empire, revendu au groupe espagnol Puig dès 1986, s'étend sur les cinq continents avec une noria de licences et quelques solides pépites dans le domaine des parfums (Calandre, XS , Paco…).

Prédiction ratée

Au début des années 1990, le mystique s'épanche sur sa quête spirituelle et se révèle un auteur à succès. Depuis Trajectoire jusqu'au Fil d'Ariane, ses livres, publiés chez Michel Lafon, se sont écoulés à plusieurs millions d'exemplaires. Mais l'extralucide aux fantasques augures essuie quelques revers. Il se couvre de honte après sa très médiatique prédiction de la destruction de Paris lors de l'éclipse du 11 août 1999.

Il se hasarde dans la restauration où il récolte une série de casseroles. Le Montana, par exemple, son bar du Quartier Latin ferme ses portes au bout de dix-huit mois.

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« Il faut laisser libre cours à ses intuitions. » Tel était le credo de Paco Rabanne qui s'excusait d'être un illuminé. Son caractère, confessait-il, s'était forgé dans les tumultes de son enfance écartelée entre une mère marxiste militante, qui lui inculque le pragmatisme, et une grand-mère versée dans l'ésotérisme, qui le berce de ses secrets de guérisseuse. Déraciné de son Espagne natale par la guerre civile à l'âge de 5 ans, le Breton d'adoption ne connaîtra pas son père, général républicain fusillé par l'armée de Franco. Un contexte qui très tôt nourrit son fantasme, celui de suspendre le temps. L'homme aux 36 vies antérieures a désormais l'éternité pour se réconcilier avec son passé.

Paco Rabanne en 1994. Il fête alors ses trente ans de création.