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Nasrin Sotoudeh : «La société iranienne ne se résout plus au silence»

Infatigable défenseuse des droits humains, l’avocate et militante Nasrin Sotoudeh se bat depuis plus de vingt-cinq ans pour le droit des femmes, des prisonniers politiques, et pour abolir la peine de mort en Iran. Elle a notamment défendu, en 2018, des jeunes Iraniennes qui avaient enlevé leur hijab en public pour protester contre le port du voile obligatoire. Pour ses activités pacifiques, elle a été condamnée au total à 38 ans de détention et 128 coups de fouets, et a fait plusieurs séjours en prison. Depuis quinze mois, l’exécution de sa peine est suspendue pour des raisons de santé, mais elle est empêchée d’exercer. Elle a reçu en novembre le prix Badinter à Berlin.

Quel regard portez-vous sur le mouvement de contestation «Femme, vie, liberté» ?

Le peuple a exprimé une souffrance liée au manque de respect du régime envers les vies humaines, et tout particulièrement envers celles des femmes. Je ne désespère pas que l’engagement et les revendications portées par le mouvement depuis plus de six mois puissent aboutir à un résultat satisfaisant. Ce mouvement est porteur d’espoir, notamment en ce qu’il s’érige contre la tradition de la société iranienne et rejette les humiliations subies par les femmes. La société iranienne ne se résout plus au silence et crie, haut et fort, son refus de toute forme d’oppression, notamment contre les femmes. Cette voix qui est portée dans la rue, malgré les attaques et incidents que vous connaissez, ne faiblit pas. Au contraire, elle s’amplifie face à l’oppression généralisée et tous azimuts à l’encontre de toutes les couches de la société.

Vous avez fait de nombreux séjours en prison, où trouvez-vous la force de lutter encore ?

En réalité, la question qui se pose à moi, ainsi qu’à toutes celles et ceux de ma génération, est de savoir pourquoi, dans les conditions d’oppression que nous connaissons, nos actions n’ont-elles pas abouti ? Pourquoi le régime parvient-il toujours à opprimer les femmes, et comment peut-il, malgré tout ce que nous avons fait, décider au gré de ses envies de saisir tel jour leur voiture ou tel jour leur compte bancaire ? Je me demande sans cesse comment le gouvernement s’est arrogé le droit de traiter les femmes avec autant d’arrogance et sans aucun scrupule.

Face à des dirigeants qui placent le corps de la femme au centre d’une arène et l’attaque de manière brutale, traînent au sol le corps de nos filles devant les yeux du monde, fouettent le corps des femmes, la notion de vie a perdu tout sens et s’est effondrée. Nos vies sont désormais émiettées et nous cherchons à en recoller les morceaux en invoquant ces mots «Femme, vie, liberté». Et je dois enfin vous avouer que, face à cette grande souffrance, aucune autre ne m’est insupportable. Cette souffrance que j’ai subie aux côtés de toutes les autres femmes, c’est en l’apprivoisant que j’ai supporté la prison.

Les Iraniens viennent de célébrer leur nouvel an, quel est votre souhait pour cette nouvelle année ?

Une lueur d’espoir semble s’être allumée en septembre. Pour cette nouvelle année, mon souhait serait d’enfin voir, après des décennies de combativité, la concrétisation des rêves de liberté et de dignité en Iran. Cela nécessite, avant toute chose, que dans le cœur de chacun, existe et s’impose le respect de l’être humain et surtout celui de la femme, alors le respect des lois, des droits humains, de la justice suivront, ce qui conduira enfin au progrès.