France
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Nicolas Duvoux: « Le visage de la pauvreté a beaucoup changé »

Quel est votre regard sur l’évolution de la pauvreté en France ces dernières années….

Si on prend en compte l’indicateur principal qui est celui du revenu inférieur à 60 % du niveau de vie médian, celui-ci se stabilise à un niveau élevé : 15 %. C’est-à-dire qu’un Français sur sept vit sous le seuil de pauvreté. Et encore, toutes les populations ne sont pas comptabilisées : on ne prend pas en compte les SDF, les personnes qui vivent en CHRS, soit toute une population qui est très exposée. Ce taux donne un ordre de grandeur pour une réalité très diverse et sous-estimée. Ceci nous invite donc à considérer que la pauvreté est, en France, un problème massif et structurel. Le noyau dur de la population concernée est de deux millions de personnes et tout autour, on a un halo qui englobe des personnes fragiles, vulnérables, exposées à la précarité et à des situations sociales difficiles. La question n’est pas tant de savoir si la pauvreté augmente mais si on en appréhende bien toutes les facettes.

Le visage de la pauvreté évolue-t-il ?

Elle a beaucoup changé. Elle touche plus de jeunes, de familles monoparentales, dans un contexte urbain, même si la pauvreté rurale existe. Ce sont les grandes lignes.

On a aussi l’apparition du concept de travailleur pauvre qui a marqué ces dernières années.

Le travailleur pauvre, c’est une réalité qui nous dit que le travail ne protège plus vraiment, n’est plus aussi intégrateur. Le travailleur pauvre est un concept précis et limité en France, marqué par une précarité dans l’emploi, une situation qui se développe très fortement.

Vous avez évoqué, pour la pauvreté, une dominante urbaine. Mais lors de la crise des gilets jaunes, et notamment en Charente, c’est une population rurale, de la France périphérique, qui s’est exprimée et a crié sa colère.

C’est exact. Mais on ne peut pas la penser comme une pauvreté monétaire ou d’absence de ressources. Sur les travaux menés en enquête subjective, ceux qui indiquent ne pas s’en sortir sont différents des pauvres de l’indicateur statistique. Tout un continent de la population, fait de jeunes, de petits entrepreneurs, d’artisans, d’agriculteurs, de retraités, exprime cette colère sociale, faite de difficultés matérielles, sans horizon matériel positif. Le gilet jaune est le révélateur de cette crise structurelle. Mais je n’y plaque pas strictement la pauvreté. Ce n’est ni moins grave, ni plus grave, c’est différent. Il faut essayer de caractériser ce qui se joue dans cette épreuve, l’abandon des services publics, l’abandon de la richesse, les tensions très fortes.

Peut-on encore, aujourd’hui, sortir de la pauvreté ou les freins sont ils si forts que l’atavisme prime : mon père était pauvre, je suis pauvre, mon fils sera pauvre.

Il y a beaucoup de reproductions de la pauvreté. C’est réel et structurel. Mais les mécanismes sont plus complexes, ce n’est pas aussi systématique qu’on le dit parfois. Il y a une évolution sociale, sur temps long, qui fait que le lien se desserre un peu. Mais ça ne va pas assez vite. Et si on élargit la vision, ça ne va pas aussi mal qu’on ne le pense, que ce soit par rapport au passé ou par rapport aux autres pays.

Le département est le pilier de l’action sociale. Mais pour le grand public, le social, c’est l’état. Pensez-vous que cette répartition des rôles est cohérente ?

.Pour le public, celui qui protège, c’est l’État. Il y a effectivement un décalage, même si pour les retraites, la sécurité sociale, les partenaires sociaux, c’est bien l’État à la manœuvre. Mais la solidarité au sens large est organisée à deux étages. Et la politique de solidarités, celles du RSA, de l’allocation handicapés, la vieillesse, la dépendance, est gérée au niveau des territoires. Il y a une forme de dualité et c’est très important. La crise de 2008/2009 a par exemple eu des conséquences sur les départements. Ça crée des inégalités entre les territoires, engendrant des tensions très fortes autour des solidarités. Le département a été fragilisé au sein du mille feuilles administratifs et il s’est recentré sur la question sociale, qui représente 60 à 70 % de son budget. Et cet échelon est plutôt pertinent : même si l’État protège, quand les Français ont des difficultés, il se tourne d’abord vers le CCAS, qui est à l’échelon municipal, puis vers le Département. La proximité est une valeur qui a du sens.

Pour vous, quels sont les piliers de l’action sociale ?

La solidarité, et là c’est mon opinion, a besoin de deux jambes pour marcher : le revenu et l’accompagnement. Sans revenu, impossible de se projeter. Et sans projet, la vie est désespérante. L’accompagnement se doit d’être le plus global possible, passe par la mobilité, la santé, la santé mentale…

Pensez-vous que le revenu universel soit une bonne idée…

C’est une idée intéressante dans le sens où elle assure la sécurité que j’évoquais juste avant. Mais je crains que ce soit mis en œuvre pour des raisons généreuses puis que ça serve ensuite à restreindre les droits des bénéficiaires, comme l’accès à certaines prestations sociales.

Une dérive actuelle lie immédiatement social et assistanat, social et cas social. Pour vous, le social, c’est quoi ?

Le social n’est pourtant pas péjoratif. Mais l’utilisation du mot « assistanat » révèle une tension croissante autour des prestations sociales, non pas appréhendées pour ce qu’elles sont mais comme un repoussoir pour rassurer des classes populaires, elles-mêmes fragilisées et qui peuvent nourrir du ressentiment. Les prestations sociales sont ainsi vues comme de marqueurs sociaux, une fracture.

Votre intervention sera centrée sur les nouvelles solidarités… Pour vous, en quoi la solidarité a-t-elle évolué ces dernières années ?

Mon but est de ne pas rester dans un discours désespéré et désespérant. Il y a des difficultés, personnelles ou institutionnelles, une tendance à soumettre les bénéficiaires à des injonctions déconnectées du réel. Mais il y a aussi des choses qui émergent dans le cadre associatif, sur les territoires, que ce soit sur la santé ou la transition écologique. ces nouvelles solidarités, c’est aussi recoudre ce qui a été sectorisé, divisé. La crise du covid a rendu visible l’importance de ces solidarités de proximité. Mais ces solidarités sont d’autant plus utiles et efficaces qu’elles sont complétées et accompagnées par des politiques publiques. On ne peut pas être binaire et opposer les deux.

Samedi 1er octobre. 9h30, conférence les « Métamorphoses de la solidarité » par Nicolas Duvoux, professeur de sociologie à l’Université de Paris 8 Vincennes-Saint-Denis