France
This article was added by the user . TheWorldNews is not responsible for the content of the platform.

« Nous avons besoin de bras et d'une politique agricole qui se donne les moyens » (Christiane Lambert, FNSEA)

LA TRIBUNE - Pourquoi consacrer ce rapport d'orientation, baptisé « Entreprendre en Agriculture : notre projet, notre futur ! », à l'enjeu démographique auquel est, d'ores et déjà, consacré le monde agricole en France ?

Christiane LAMBERT - Dans les dix années à venir, 30 à 40% des agriculteurs vont quitter la profession. Autrement dit, ils sont 150.000 à pouvoir faire valoir leur droit à la retraite. Il y a donc une nécessité de renforcer l'ouverture et l'attractivité de la profession afin d'attirer des jeunes pour devenir chefs d'exploitation ou salariés. Il n'y a, aujourd'hui, plus assez de filles et de fils d'agriculteurs pour reprendre la suite de leurs parents, mais de plus en plus de personnes, avec de nouveaux profils venus d'ailleurs, sont intéressées. Ils ont l'envie d'exercer un métier de création et de sens dans une entreprise qui a du sens.

Accaparement des terres agricoles : vers une agriculture sans agriculteurs ?

Nous avons donc besoin de bras, de projets économiques, mais aussi d'une politique agricole qui se donne les moyens. Or, nous dressons le triste constat que l'agriculture française dévie. On perd en moyens de production, on produit moins et les réglementations sont de plus en plus compliquées. Quand d'autres pays foncent, nous faisons du sur place, dans certains domaines, nous régressons même. Nous l'avons dit aux pouvoirs publics : « la France est partie sur une mauvaise pente. Vous avez la responsabilité de redonner de la confiance et des perspectives au secteur agricole ».

C'est, de nouveau, ce que l'on va dénoncer auprès du ministre de l'Agriculture, Marc Fesneau, aujourd'hui. Il y a un amoncellement de normes qui ont plombé l'agriculture. Elles ne sont pas toutes de son fait, bien sûr, mais c'est à lui de mettre le pied dans la porte. Le ministre de l'Economie, Bruno Le Maire, a dit : « On a perdu l'industrie, on ne peut pas perdre l'agriculture ». Or, la filière est souvent prise en otage. On peut notamment citer l'exemple de l'interdiction des néonicotinoïdes en 2016. La ministre (Barbara Pompili, à l'époque secrétaire d'Etat chargée de la Biodiversité auprès de Ségolène Royal, ministre de l'Ecologie sous François Hollande, ndlr) s'est réveillée un matin en prenant cette décision qui a planté la filière de la betterave.

L'agriculture est souvent perçue comme une profession pénible et peu rémunératrice. Comment faire évoluer cette image pour susciter davantage de candidatures à l'installation ?

Il y a des travaux pénibles, mais pas seulement. C'est une profession qui a connu une très forte évolution grâce à la mécanisation et à la robotisation qui permettent d'alléger les tâches répétitives et d'éviter aux agriculteurs de porter des charges lourdes. Nous avons désormais des tracteurs avec direction assistée ou encore des outils de numérisation pour l'administratif... autant d'équipements qui permettent de gagner du temps et de rendre le travail moins pénible.

Agriculture : 72% des exploitants bretons ont du mal à recruter, et la moitié partira en retraite dans les dix ans

En outre, il y a eu une amélioration des revenus grâce à la loi EGAlim 2 ces deux dernières années. Pendant dix ans, nous avons connu des baisses de prix, et, pour la première fois, en 2022, nous avons enregistré +3,1% de hausse avec, donc, de meilleurs revenus pour les agriculteurs.

Si les prix des agriculteurs ont grimpé, c'est en partie dû à la loi EGAlim 2 ainsi qu'au contexte international qui a fait grimper les tarifs de certaines denrées. Mais cela s'explique également par le fait que, pendant des années, les agriculteurs ont moins gagné et se sont donc détournés de certaines activités comme l'élevage, entraînant une baisse de la production de viande, ce qui a fait monter les prix. Pour éviter que cela ne se reproduise, il faut conserver des prix plus rémunérateurs pour la profession.

Enfin, il y aussi la question du financement notamment pour les grandes exploitations, qui sont donc plus chères, et pour lesquelles peut intervenir un partage du foncier. Car il est parfois difficile d'accéder au foncier. Pour y remédier, nous avons mené un partenariat avec les Safer (Société d'aménagement foncier et d'établissement rural).*Il faut également, pour ceux qui s'installent, des contrats avec des prix garantis, et, pour ceux qui transmettent leur exploitation, instaurer une fiscalité adaptée.

*Ce partenariat consiste en un fonds de portage capitalistique qui laisse la possibilité à de jeunes agriculteurs de s'installer sans investir tout de suite dans le foncier, et de le faire plus tard.

La loi Descrozaille, qui a rebattu les cartes dans les négociations entre distributeurs et producteurs en faveur de ces derniers, a été adoptée par le Parlement le 22 mars dernier. Marque-t-elle un tournant pour la profession ?

Oui, il y a un changement qui a été amorcé. Ce texte vise à poursuivre certains dispositifs de la loi EGAlim 2 qui étaient expérimentaux comme l'encadrement des promotions et le seuil de revente à perte (SRP+10)*. Malgré le lobbying féroce des distributeurs pour y mettre fin, nous avons connu pour la première fois des hausses des prix de vente. Cela va donc dans le bon sens.

Néanmoins, il y a toujours à Bercy (ministère de l'Economie, ndlr) des gens qui tiennent un double discours et font tout pour que le système persiste en appelant les distributeurs à baisser les prix, car il y a trop d'inflation. Or, pendant vingt ans, les gens ont mangé mieux, pour moins cher. Résultat : on a perdu 100.000 exploitations agricoles. Il faut donc aussi expliquer aux Français qu'on ne peut pas avoir de l'agriculture partout sur le territoire français et des agriculteurs qui ne gagnent pas leur vie.

Fournisseurs, distributeurs, agriculteurs : les aménagements de la proposition de loi Descrozaille ne calment pas le jeu

*La loi Descrozaille prévoit de prolonger jusqu'au 15 avril 2026 sur les produits alimentaires dans les grandes surfaces l'encadrement des promotions à 34% de leur valeur et à 25% en volume. Elle prolonge également le seuil de revente à perte jusqu'au 15 avril 2025, qui oblige les distributeurs à vendre les produits alimentaires au minimum au prix où ils les ont achetés, majoré de 10%.

De nombreux pays connaissent une crise alimentaire mondiale depuis, notamment, le déclenchement de la guerre en Ukraine par la Russie, deux importants producteurs de céréales. La France, qui doit déjà répondre à des enjeux de souveraineté alimentaire sur son territoire, a-t-elle un rôle à jouer ?

Quand on voit les grands enjeux alimentaires devant nous du fait du contexte international provoqué par la guerre en Ukraine et le grand nombre de pays qui souffrent de famines, notamment en Afrique, il faut produire plus pour alimenter ceux qui ont un climat plus sec et ont d'importants besoins d'importation. La France peut contribuer à l'alimentation mondiale et aux équilibres mondiaux. Mais, pour cela, il faut produire plus.

Or, sur les dix dernières années, la France a moins produit, moins exporté, mais importé davantage, surtout en provenance d'Europe où certains pays n'ont pas la même réglementation que dans l'Hexagone qui bride la possibilité de produire plus.

Le poulet ukrainien inonde le marché français : les volaillers tricolores tirent la sonnette d'alarme