France
This article was added by the user . TheWorldNews is not responsible for the content of the platform.

Nouveaux militants : pas de cause sans casse

Cet article est tiré du Libé spécial auteur·es jeunesse. Pour la quatrième année, Libération se met aux couleurs et textes de la jeunesse pour le Salon du livre de Montreuil qui ouvre ses portes le 30 novembre. Retrouvez tous les articles ici.

La désobéissance civile était le thème d’un débat mardi soir organisé par Maison commune, le club récemment créé par Yannick Jadot, qui a réuni autour de lui des militants comme José Bové ou Brigitte Gothière, de L214. Une initiative qui montre l’importance aujourd’hui de ces nouvelles stratégies de combat politique, sur lesquelles quatre militants (autonomes, écologistes, etc.) témoignent.

Sandrine, 48 ans, est fonctionnaire près de la frontière espagnole. Elle dit ne pas être politisée mais, il y a quelques semaines, elle a fait partie des centaines de militants qui se sont déplacés jusqu’à Sainte-Soline, en Nouvelle Aquitaine, pour protester contre l’installation d’une «méga-bassine», ces gigantesques réservoirs d’eau que les grandes exploitations agricoles construisent dans un flou légal savamment entretenu, quitte à produire des effets désastreux sur l’écologie. «J’ai dû prendre des jours de congé, pour venir ici», raconte-t-elle. «Ça ne m’amuse pas, mais je le fais pour mes filles, qui ont une vingtaine d’années… Je ne peux pas me résigner à leur laisser un monde dans cet état.» Sur place, elle a rencontré une majorité de militants qui ont justement à peine la vingtaine. «Je les trouve incroyablement beaux», sourit Sandrine, avant d’ajouter : «Mais d’une certaine façon, c’est triste, également, de les voir ici… De sentir que la réalité les pousse, malgré leur âge, à déjà devoir prendre des risques, s’organiser, s’engager.»

«Mettre les mains dans le cambouis»

Sixtine Dano a l’âge d’être la fille de Sandrine. Autrice de bandes dessinées, elle se sert de son art pour mettre en scène un militantisme qui l’a menée, au sein du mouvement Alternatiba, à la désobéissance civile : un mode d’opération interpellant l’opinion publique en contrevenant à des lois jugées illégitimes. Vols de portraits présidentiels dans les mairies ou occupation du tarmac de Roissy-Charles-de-Gaulle, les actions auxquelles elle a participé alertaient sur l’urgence des réponses à apporter à la crise climatique. «Quand j’étais étudiante, c’était principalement de la tristesse que je ressentais face à l’état du monde. J’ai réussi à combattre ça grâce à l’action militante, en me rendant compte que le dérèglement climatique n’était pas tant une menace globale qu’un agrégat de petites batailles qu’on pouvait parfois gagner. Ça m’a permis, dans une certaine mesure, de reprendre espoir.»

Même son de cloche pour Jacques qui, dans le sud de la France, participe aux luttes des Faucheurs volontaires, incarnées dans l’œil du public par José Bové. «Je suis devenu militant lors de mon adolescence, passée non loin de l’une des premières centrales nucléaires françaises. C’est dans les années 2000 que je me suis intéressé aux Faucheurs. Un mouvement sans structure juridique, avec un fonctionnement horizontal. La décision de les rejoindre répondait à ma certitude qu’à un moment, si on veut que les choses changent, il faut mettre les mains dans le cambouis.»

Dans la région Grand Est, Léonard, militant anarchiste impliqué dans des black blocs, vient d’une famille syndiquée qui a participé aux émeutes de Longwy, en 1984. «Ça m’a sensibilisé, et mené à la lecture de Marx ou Debord dès l’adolescence. Mon militantisme n’est que la suite logique de ça…» Il décrit aussi l’éveil d’une conscience politique qui précède les actions illégales auxquelles il a pris part, notamment la dégradation de supports publicitaires ou le dégonflage des pneus de 4x4. Elles ont également représenté «une réaction au durcissement d’en face». «On l’a senti depuis la loi travail, en 2016 : la police devient de plus en plus violente envers les manifestants, avec notamment l’apparition de la technique dite de la «nasse». Les black blocs sont une réponse à cela. Une façon de continuer à pouvoir manifester.»

«Le pouvoir légal se range toujours du côté des puissants»

Le risque légal, tous en ont conscience, mais le relativisent : «On a principalement peur des conséquences financières, surtout quand on a une famille à nourrir», nous dit Jacques. «Mais même si les Faucheurs sont jugés à titre individuel, le mouvement a mis en place un système de défense juridique collective. Ça aide à mettre le danger de côté au moment de passer à l’action… Et puis, beaucoup d’industriels ont peur de la lumière médiatique que pourrait braquer sur eux un procès. C’est pour ça que parfois, on est moins embêtés qu’on pourrait le penser.» «Le fait que nos actions soient interdites, ajoute Sandrine, ça me motive encore plus à me battre. J’y vois une injustice flagrante, une prise de position du pouvoir légal, qui se range toujours du côté des puissants.»

Peut-être plus compliqué encore à négocier que celui de la loi, un second obstacle de taille se trouve sur le chemin de ce militantisme : le regard des proches et de l’opinion publique. «J’ai souvent saoulé ma famille, avoue Sixtine, et beaucoup de mes amis peinent à comprendre mes combats. C’est un débat à avoir, parce que nos actions visent la sensibilisation… Il faut qu’on parvienne à toucher les gens. Ils sont souvent d’accord sur le fond, mais les méthodes d’alerte polarisent.» Sandrine évoque également l’incompréhension de ses proches par rapport aux actions auxquelles elle participe : «Ils utilisent très vite le mot d’écoterrorisme, et réagissent comme si je m’en prenais directement à eux, ou aux valeurs qu’on leur a appris à respecter depuis toujours… Dans la région où je vis, il y a beaucoup de chasseurs, d’agriculteurs courant FNSEA…» L’activiste se dit contre la violence envers les personnes et croit «qu’il y a un spectre énorme d’actions possibles entre s’en prendre physiquement à un millionnaire et la manifestation inoffensive».

«J’ai de temps en temps besoin de déconnecter»

Prudent, Léonard est lui aussi lucide du jugement et du danger que peut représenter son militantisme : «J’évite d’en parler. Tu ne sais pas qui peut être cousin avec un gendarme. Même si je ne me suis jamais senti illégitime dans mes combats. Qu’est-ce qu’on en a à faire qu’un panneau de pub soit détruit ? Les causes qu’on défend passent avant ce genre de biens matériels.» La cause justifie la casse. «On a été dépeints comme des anti-tout, des rétrogrades», ajoute Jacques. «Mais il faut se souvenir qu’on fait face à d’énormes groupes industriels, qui ont un accès aux médias bien plus fort que le nôtre. Les promesses qu’ils font concernant l’évolution de l’agriculture sont fausses depuis vingt ans, mais c’est nous qu’ils présentent en méchants. C’est aussi pour ça qu’on est attentifs à ne pas faucher les champs d’un paysan lambda : on n’en a pas après lui, mais après un système.»

Si aucun ne doute de la légitimité de leurs actions, Sixtine et Léonard, pourtant les plus jeunes, en pointent aussi les limites : «Il y a un romantisme révolutionnaire qui peut faire surévaluer leur portée», confesse Léonard. «Et puis, il y a une dynamique de groupe, là-dedans, et parfois, il suffit d’un déménagement pour y mettre fin. Les liens d’amitié sont au cœur de beaucoup de militantismes, et en sont aussi la limite, transformant des conflits personnels en oppositions politiques.» Sixtine évoque de grands moments de fatigue. «Au quotidien, c’est énormément de réunions, d’énergie, de temps… C’est dur à tenir sur la longueur. Je me suis fait beaucoup d’amis, dans ce milieu, mais j’ai de temps en temps besoin de déconnecter… Même si, dès que je m’éloigne du combat, la tristesse revient, me rappelant à l’action pour repousser le désespoir.»

«La lutte redevient collective, massive»

Alors que la planète brûle et que le libéralisme durcit le ton pour s’assurer quelques dernières heures de profits, il s’agit, pour les militants interrogés et leurs semblables, de gagner assez de batailles pour éviter la guerre. De se rapprocher de camarades de lutte, et de se sentir moins seul face à la menace que représente l’avenir. Au-delà de l’opinion publique ou de la légalité, le monde de demain dépendra des actions entreprises aujourd’hui. Des actions qui, peut-être, permettent aussi de repousser le désespoir et la peur.

«Depuis quelques mois, j’ai l’impression d’être témoin du tissage d’un réseau impressionnant, qui réunit plein de combats différents mais alliés… Ça bouge. Peut-être trop tard, mais ça bouge», conclut Sandrine. «La lutte redevient collective, massive. Je ne sais pas si ça suffira, mais pour le moment, se battre ensemble, ça permet d’encore y croire. De garder espoir.»