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« On est en train de gagner la bataille de la réindustrialisation » : scénario crédible … ou profond déni de réalité ?

Emmanuel Macron, président de la République.

© SEBASTIEN BOZON / AFP

Réindustrialisation de la France

C’est ce qu’a affirmé Emmanuel Macron lors de son interview de 13h sur le conflit autour de la réforme des retraites.

Olivier Lluansi est spécialiste de l’industrie, Senior fellow ESCP Business School, et ex- Conseiller industrie énergie à la Présidence de la République, premier Délégué aux Territoires d’industrie. 

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Atlantico : Emmanuel Macron, lors de son interview de 13 heures consacrée à la crise de la réforme des retraites a affiché deux grands objectifs économiques pour le pays : le plein emploi d’une part et la réindustrialisation de la France d’autre part, tout en ajoutant que cette dernière bataille était en train d’être gagnée, le tout d’ici 2030. Ce constat comme cet objectif concernant l’industrie, vous paraissent-ils crédibles ?

Olivier Lluansi : Il y a un vrai potentiel de réindustrialisation porté par France 2030. Ce projet prévoit d’investir 54 milliards d'euros, dont 34 mds € « nouveaux ». Sur ces 34 mds€  17 milliards seront dédiés à l’innovation et à la recherche et 17 mds le sont à l’investissement productif. Ce sont des sommes considérables.

Dans une étude de PwC France [PricewaterhouseCoopers] sur le potentiel de France 2030, nous avons estimé que cela peut correspondre à  430.000 emplois industriels additionnels.

Ce chiffre-là permettrait d’augmenter la part industrielle du PIB de 10%, notre niveau actuel, qui est celui de la Grèce, jusqu’à 12%qui est celui de l’Espagne ou du Portugal. Loin de la moyenne européenne qui est à 16%, de l’Italie à 17%. Très loin de l’Allemagne qui est entre 20 et 21%.

Ainsi France 2030, nous permettrait de rattraper en partie notre retard. Mais cela ne suffira pas à compléter une réindustrialisation.

Nous sommes actuellement parmi les derniers de la classe en activités industrielles. Si l’on regarde le PIB de l’Union européenne, les trois seuls pays qui sont derrière nous  : Chypre, Malte et le Luxembourg ! C’est dire d’où on vient.

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Nous avons mis en évidence dans une note publiée par la Fabrique de l’industrie (un think tank sur les sujets industriels) qu’il existe un autre potentiel de réindustrialisation qui se situe, lui, dans les territoires.

Tandis que France 2030 privilégie la rupture technologique et l’innovation fondamentale, la « deep tech », dans les territoires, il y a un potentiel caché de nombreux projets industriels qui permettent de répondre aux attentes des marchés, qui permettent de sécuriser un approvisionnement…

A l’examen de notre expérience dans 20 territoires pilotes, ce potentiel caché de création d’emplois industriels est au moins équivalent à celui de France 2030, soit encore 450.000 emplois !.

Pour être en mesure de mener à bien une réindustrialisation complète, il nous faut marcher sur deux jambes : à la fois poursuivre France 2030 et lancer de nouvelles filières innovantes comme les semi-conducteurs, l’hydrogène, l’ordinateur quantique. Il faudra aussi des projets certes innovants mais pas nécessairement de rupture, qui se situeraient  dans les territoires.

La somme de ces deux potentiels nous ramènerait au milieu du peloton européen. Cela conduirait à créer 1 million d’emplois industriels supplémentaires, de 3,2 millions à 4,2 millions. Cela correspondrait approximativement à 15% du PIB industriel alors que la moyenne européenne est à 16% rappelons-le.

Nous avons donc ce potentiel qui nous tend les bras.

Il est activé sur sa partie rupture technologique, excellence, nouvelles filières grâce à France 2030. Et il y a cet autre potentiel, caché dans les territoires, qui est moins exploité pour le moment et qui ne demande qu’à être activé. Il est important de nous  en saisir pour permettre cette pleine réindustrialisation souhaitée par le Président de la République et en fait par le pays et pour recoller au milieu du peloton européen. 

Que nous indiquent les chiffres et statistiques officielles sur l’état de l’industrie en France ?

Olivier Lluansi : Il y a plusieurs façons pertinentes de mesurer l’état de l’industrie d’un pays en termes économiques.

L’une d’elle est la part manufacturière du PIB, de la valeur ajoutée. Si on prend les chiffres de l’OCDE et comme référence la situation d’avant crise-Covid ou même celle de 2017, il y a eu une décroissance de la part manufacturée du PIB de 11% à 10%.

Le deuxième critère majeur est l’emploi industriel qui est globalement à peu près stable autour de 3,1 à 3,2 millions d’emplois entre fin 2017 et fin 2022.

Un autre critère pertinent et qui mesure bien la force et la compétitivité d’une industrie est le commerce extérieur. Entre 2019 et 2020, il y a une chute fantastique à -163 mds € !

L’industrie a un rôle pour le développement des territoires. Une usine se met difficilement au centre-ville d’une métropole, l’activité industrielle préfère les villes moyennes. L’étalement urbain y est plus lent, le foncier y est moins cher. Un bassin d’emplois à disposition permet de recruter.  

L’objectif fixé par le président de la République était de 100 usines en plus par an. Cet objectif a été dépassé en 2021 : +120 usines. Cependant nous étions en-dessous en 2022 seulement +80 usines, selon les chiffres de Trendeo. Sur les 80 en 2022, 60 étaient créées au 1er semestre et ce chiffre a brutalement décliné au deuxième semestre 2022. Le solde du 4e trimestre 2022 était simplement de 5 usines entre celles qui avaient fermé et celles qui s’étaient créées. C’est l’effet de la crise des marchés de l’énergie, et peut-être de Inflation Reduction Act américain.

Au regard de tous ces éléments, on peut dire la décroissance très rapide de notre industrie depuis quatre décennies, et particulièrement sur la décennie 2000-2010 a été jugulée. Mais nous n’avons pas néanmoins pas encore de signes manifestes d’une réindustrialisation mature et puissante. Cela concerne l’emploi, la part de valeur ajoutée de l’industrie dans le PIB, le commerce extérieur, le nombre d’usines.

Sur l’emploi industriel par exemple, sur les 3,2 millions d’emplois, il n'y a eu que 40.000 créations nettes en 2022.  C’est bien, c’est positif, mais c’est +1% environ.

Au-delà du secteur industriel pris comme un tout, quels sont les secteurs industriels plus spécifiques [automobile, chimie, plastique etc…] qui se distinguent par leurs forces ou par leurs faiblesses ?

Olivier Lluansi : Il suffit de regarder la balance commerciale. Deux secteurs se distinguent : l’aéronautique et le luxe. Un troisième secteur aussi celui des boissons, on pense naturellement aux vins.

D’autres se distinguent négativement comme l’automobile. Dans les années 2000, le secteur de l’automobile était à un solde positif de 10 milliards dans le commerce extérieur. Aujourd’hui, il est à moins 20 milliards. La chimie était un secteur très exportateur. En 2022 ce secteur a beaucoup souffert. La crise de l’énergie l’a fortement impactée. 

La balance commerciale est sans doute l’un des paramètres macroéconomiques les plus pertinents pour mesurer la santé et la force d’une industrie. Il manifeste d’où l’on part et tout l’effort que nous avons à accomplir. Encore une fois des solutions existent ! Elles prendront 10 ans peut-être 20 ans à se mettre en place. Il faudra de l’effort et de la permanence. Mais c’est possible !

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