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«On nous empêche de travailler» : à Paris, les agriculteurs mobilisés contre la fin des néonicotinoïdes

Les manifestants contre la réforme des retraites ont laissé place aux tracteurs. A l’appel conjoint de la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA), des Jeunes agriculteurs du grand bassin parisien et de la Confédération générale des planteurs de betteraves (CGB), environ 600 producteurs – selon le premier syndicat agricole – ont défilé ce mercredi matin à bord de leurs engins dans les rues de la capitale pour dénoncer la «liquidation de l’agriculture». Vers 9 h 30, le site Sytadin, cité par l’AFP, enregistrait 304 kilomètres de bouchons en Île-de-France, après un pic à près de 425 km. L’élément qui a mis le feu aux poudres : l’annonce le 23 janvier – conformément au droit européen – de la fin des dérogations pour l’usage des néonicotinoïdes sur les semences de betteraves, jusqu’ici accordées par le gouvernement aux professionnels de la filière le temps de trouver des alternatives pérennes. Ces insecticides sont notamment accusés d’accélérer le déclin mondial des abeilles.

«On supprime nos moyens de production, on nous empêche de faire notre travail», lance Elisa Thomas, déléguée régionale Ile-de-France des Jeunes agriculteurs. Inquiets, les représentants des filières endives, pommes de terre ou encore cerises ont aussi fait le déplacement. «On enchaîne les mésaventures, glisse Philippe Bréon, producteur d’endives à Béthune, dans le Pas-de-Calais. Nos coûts énergétiques ont explosé et on vient d’apprendre la fin de l’autorisation – au plus tard le 12 mai 2024 – de l’herbicide benfluraline, dont on a pourtant encore besoin pour désherber nos champs.» «On se bat contre une mouche qu’on a du mal à maîtriser, explique quant à elle Françoise Roch, productrice de cerises dans le Tarn-et-Garonne et membre de la Fédération nationale des producteurs de fruits (FNPF). On a déjà perdu le diméthoate [un insecticide et acaricide, ndlr] et maintenant l’Europe nous interdit l’insecticide phosmet. On possède deux ou trois autres molécules moins efficaces, et si la pression est trop forte on peut perdre toute notre production.» Préoccupation aussi chez les producteurs de pommes de terre : «La crise du Covid a provoqué l’effondrement des cours et on subit de plein fouet les aléas climatiques, explique de son côté Geoffroy d’Evry, président de l’Union nationale des producteurs de pommes de terre (UNPT). Il nous faut une aide conjoncturelle forte.»

«Pas d’interdiction sans solution»

En cette froide matinée de février, le cortège de centaines de tracteurs qui s’est formé depuis la Porte de Versailles, dans le sud de Paris, converge lentement mais sûrement vers le centre de la capitale pour rejoindre les Invalides, dans le très chic VIIe arrondissement. La FNSEA y a comptabilisé 3 000 manifestants. Cela n’a rien d’un hasard : «C’est un symbole car Napoléon – qui y est enterré – a importé la betterave sucrière en France et en a développé des hectares afin de rendre notre pays indépendant en sucre, relate Carine Meier, de la CGB. Vous imaginez, la filière a plus de deux cents ans ! On va au plus près de son créateur qui se retournera peut-être d’ailleurs dans sa tombe…»

Sur l’esplanade, à proximité de l’Assemblée nationale et du ministère de l’Agriculture, une tribune – agrémentée de bottes de paille et de cageots de pommes – a été improvisée. Les prises de parole s’enchaînent, entrecoupées de musiques tonitruantes. En contrebas, des écharpes tricolores fendent la foule d’agriculteurs. Les députés des Pyrénées-Orientales, du Pas-de-Calais ou encore de la Somme sont en pleine discussion. «L’Allemagne continue de pulvériser des néonicotinoïdes sur ses cultures et ça ne gêne personne, pointe Yaël Ménache, députée du Rassemblement national. Nous, on est sans réponse et le chèque ne sera jamais à la hauteur des pertes.»

Dans chaque filière la rengaine est la même : «Pas d’interdiction sans solution», comme il est écrit sur une banderole plantée sur la pelouse des Invalides. Tous à l’unisson estiment qu’il faut «laisser le temps de la recherche». Initialement, la loi biodiversité de 2016 prévoyait pourtant l’interdiction des néonicotinoïdes pour fin 2018. Pour les agriculteurs, le problème n’est pas tant de supprimer ces substances que de trouver des solutions efficaces de remplacement pour conserver une «production acceptable». «En 2020, à cause d’une attaque de pucerons je suis passée de 90 tonnes à 14 tonnes de betteraves, se remémore Christophe Hillairet, agriculteur et président de la Chambre d’agriculture d’Ile-de-France. Avec la fin des néonicotinoïdes, on se demande si on aura assez de production de sucre. Car, derrière les betteraves, il y a non seulement la production de sucre mais la pulpe sert aussi à nourrir les vaches pour la fabrication du brie de Meaux et de Melun, ou encore à la confection de gels hydroalcooliques.» Autre point de crispation souligné par notre interlocuteur : «De grâce, arrêtons d’importer une agriculture dont on ne veut pas avec des cerises provenant de Turquie, des pommes de Pologne, du colza du Canada et du sucre brésilien qui ne respectent pas nos normes.»

«Peur de prendre une gamelle»

En 2020, un plan national de recherches et innovations (PNRI) – coprésidé par l’Institut technique de la betterave (ITB) et l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (Inrae) – a été lancé pour «identifier d’ici 2023 des solutions alternatives […] opérationnelles». A ce jour, seules quatre d’entre elles ont montré des résultats probants.

Face à la mobilisation de ce mercredi, Marc Fesneau, ministre de l’Agriculture et de la Souveraineté alimentaire, a reçu dans son bureau une délégation de manifestants agricoles, et a également annoncé «réunir jeudi la filière betteraves pour présenter un plan d’action et de soutien». Le temps presse puisque les premières semences doivent être plantées fin février. Certains agriculteurs ont peur de prendre ce risque et de voir leur production réduite de moitié : «J’ai commandé des semences non traitées, assure Christophe Hillairet, mais si je me prends une gamelle et qu’il n’y a pas de nouvelle solution technique, j’arrête.»