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Open d’Australie : « Les tennismans français sont aujourd’hui à leur place »

La Croix : Pourquoi les joueurs français échouent-ils à atteindre le dernier carré d’un tournoi du Grand Chelem ?

Patrice Hagelaeur : Chez les hommes, depuis quelques années, nous n’avons tout simplement pas de joueurs qui sont au niveau pour gagner des Grands Chelems. Depuis la génération Tsonga-Gasquet-Monfils, le réservoir français oscille autour de la 40e place du classement ATP, ce qui explique qu’on ne retrouve pas de joueurs français dans le dernier carré d’un Grand Chelem, voire dès les huitièmes de finale.

Certains joueurs comme Lucas Pouille ou Ugo Humbert ont dû faire faire à certaines blessures, alors même qu’ils affichaient de belles promesses. Ils sont loin de rivaliser avec le top 10 mondial. La France est dans un creux, mais il sera intéressant de scruter la prochaine génération. De très jeunes joueurs comme Luca Van Assche (18 ans) ou Gabriel Debru (17 ans) ont un vrai potentiel.

Chez les femmes, le problème est un peu différent. Caroline Garcia est numéro quatre mondiale, et on sent que le problème est ailleurs.

Dans la préparation mentale notamment ?

P. H. : Tous les entraîneurs vous diront la même chose : on joue avec son corps, sa technique et son physique. Ce sont les bases nécessaires. Mais tout ça est insuffisant si on n’a pas le mental et le « cœur ». Si vous êtes incapables de maîtriser vos émotions, vous ne pouvez pas gagner. On joue pour gagner, pas pour ne pas perdre. Quand on commence à se crisper, à se sentir frustré, le doute s’installe, la confiance disparaît. Ça fait la différence.

Lors de sa conférence de presse après sa défaite à l’Open d’Australie (en 16e de finale, lundi 23 janvier, NDLR), Caroline Garcia a admis elle-même ne pas bien maîtriser ses sentiments. Pourtant, elle a le tennis pour gagner un Grand Chelem. Tout cela se travaille. Encore faut-il que les joueurs choisissent les bonnes personnes pour les accompagner. Cette question n’est pas nouvelle. Yannick Noah avait déjà une préparatrice mentale en plus d’un soutien précieux d’Arthur Ashe, qui l’a vraiment aidé à prendre conscience des enjeux.

On a souvent parlé de « génération dorée » dans le tennis français, mais aucun n’a converti les espoirs. A-t-on tendance à se voir « trop beau » en France ?

P. H. : Je crois qu’on a surtout eu tendance à être trop sévère avec cette génération de joueurs que sont Jo-Wilfried Tsonga, Richard Gasquet, Gaël Monfils ou Gilles Simon. En vingt ans, soit 80 tournois du Grand Chelem, plus des trois quarts ont été gagnés par trois hommes : Federer, Djokovic et Nadal. Les Français sont arrivés au pic de leur carrière à une période où dominaient des indétrônables. Pareil chez les femmes avec Serena Williams. Ce qui n’a pas empêché Marion Bartoli, ou avant elle Amélie Mauresmo et Mary Pierce, de gagner.

Je crois que le public français aimait énormément cette génération, au point d’être trop exigeant. En 2014, quand la France perd la Coupe Davis contre la Suisse, les joueurs se font descendre et le jugement médiatique et populaire est vraiment sévère. C’est vite oublier qu’ils se sont inclinés face à Roger Federer, qui est alors numéro deux mondial, et Stanislas Wawrinka, qui est numéro quatre. Il n’y a pas de quoi rougir.

Quand la France perd la Coupe du monde de football contre l’Argentine, les joueurs sont accueillis comme des héros, mais les tennismans, non. C’est un peu dur.

Un pays comme l’Espagne compte moins de licenciés que la France. Pourtant, les Espagnols ont remporté plus de 20 titres du Grand Chelem. La formation française est-elle défaillante ?

P. H. : Au départ, nous avions en France énormément d’académies avec un grand réservoir de joueurs qui mêlaient études, entraînement, suivi médical, et qui chaque semaine partaient en compétition. Mais pour des raisons politiques obscures, cela s’est complètement délité dans les années 2000.

Or, détruire un système qui fonctionne bien se fait beaucoup plus rapidement qu’en reconstruire un. Aujourd’hui, hormis l’Insep (Institut national du sport, de l’expertise et de la performance) et quelques académies dans le sud de la France, il est compliqué pour certains parents de proposer à leurs enfants qui rêvent de devenir des champions des formations adéquates, près de chez eux.

Vous citez l’Espagne. Chez nos voisins, l’apport mental dont nous parlions précédemment se fait via d’anciens grands joueurs qui participent pleinement à l’éclosion de nouveaux talents. L’actuel numéro un mondial, Carlos Alcaraz, joue sous la houlette de l’ancien champion Juan Carlos Ferrero. Cette transmission doit aussi exister en France.

C’est un paradoxe car le tennis est un sport individuel, mais je suis convaincu que la victoire d’un joueur français en Grand Chelem passera par une cohésion collective.