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Pages jeunes : peur de rien, pas des «Monstres»

Rares sont ceux à avoir arpenté ce village situé aux pieds des montagnes. Où, précisément, on ne pourrait vous le dire. Les seules indications : emprunter «une route poussiéreuse», zigzaguer entre les roches et passer sous un tunnel pour y arriver. Beaucoup sont découragés ou apeurés et font demi-tour. Si ce n’est pas déjà votre cas, tendez l’oreille. Un bruit assourdissant comme une «cascade de cailloux» détonne quand se réveille un enfant du village. Il s’appelle Otto. Campé debout sur son lit, le nez collé à la vitre, il ne détourne pas son regard des roulottes colorées tractées par des yacks. Une seule indication ici aussi : Cirque d’Erêves. «Mesdames et Messieurs, chers et tendres enfants», voici le numéro de Stéphane Servant et Nicolas Zouliamis : Monstres.

Ça a quelle tête un monstre ? Les contes nous ont toujours dit qu’un monstre avait les dents pointues, des cornes et un nombre incalculable de jambes et d’yeux. L’histoire, elle, nous a prouvé qu’un monstre pouvait avoir une apparence humaine. Ce sont les actes qui sont effrayants. Dans ce roman illustré, «le clou du spectacle» n’a pas la tête du monstre des contes ni les actions affreuses de l’histoire. C’est un petit garçon, enfermé dans une cage, à la peau lisse et blanche, aux yeux tout ronds et avec «quelques poils qui lui faisaient comme une couronne sur la tête». Sympathique ce petit gars qui chante avec douceur. Insignifiant pour le lecteur, épouvantable pour les villageois. Eux ont des cornes, des canines et des joues flasques disproportionnées. Le monstrueux, c’est bien plus qu’une histoire d’apparence ou d’action, c’est avant tout une question d’acceptation des différences.

C’est d’ailleurs cette différence qui va lier ces deux garçons qui s’appellent Otto. A bien y regarder, ils se ressemblent. Certes, l’un est poilu avec des moustaches de chat, l’autre non, mais tous deux sont rejetés par leurs pairs. «Vous êtes frères, tous les deux ! Deux moches ! Deux monstres !» Se pencher sur cette amitié naissante, c’est oublier que la laideur et la cruauté sont banalisées au Cirque d’Erêves. C’est également regarder de plus près le crayonné de Zouliamis. Un stylo-bille noir. Quoi de plus simple et pourtant, les illustrations se suffisent à elles-mêmes pour raconter cette histoire. Un peu à la manière de Emil Ferris. Ici, l’ombre des barreaux de la cage se reflète sur le visage de Otto donnant l’impression qu’il pleure. Les hachures capturent les couleurs et la lumière – un peu comme les cauchemars nous coincent face à nos peurs.

Dans Monstres, Otto, le petit monstre, fugue. Ses parents se sont encore disputés. Tout part de ce mauvais accord entre eux. Alors c’est décidé : il va partir. Il ne sait pas encore où, il verra bien. Il attrape un pantalon large et son sac à dos avec des yeux globuleux et des dents crochues. «A ce moment-là, ses yeux se sont arrondis. Lak […] J’ai compris que c’est de là qu’il venait.» Avant d’être recueilli par Monsieur Loyal puis par Otto, le narrateur à l’allure de chat. Leur but ? Traverser la violence des habitants pour regagner le lac. Leur défense ? «Une chanson qui disait que les monstres nous ressemblent parfois. Et que les cages sont faites pour être brisées.»

Monstres de Stéphane Servant et Nicolas Zouliamis, éditions Thierry Magnier, 112 pp., 15,90€. A partir de 8 ans.