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Paradis fiscaux : "Quand une affaire aboutit, mille autres passent sous les radars", dénonce le juge Renaud Van Ruymbeke

Le juge d’instruction Renaud Van Ruymbeke rappelle dans son deuxième ouvrage "Offshore, dans les coulisses édifiantes des paradis fiscaux", le chiffre de Gabriel Zucman qui évalue à 8 600 milliards de dollars les avoirs cachés via les sociétés offshore. Saisissant et passionnant. 

Dans votre ouvrage "Offshore", vous décryptez les coulisses "édifiantes des paradis fiscaux", mais c'est quoi un paradis fiscal ?

À la base, c'est un pays où vous ne payez pas d'impôt. Mais c'est devenu un pays où vous cachez votre agent au bénéfice du secret bancaire. On y trouve de tout : des fraudeurs fiscaux mais aussi l'argent de la corruption. Un paradis fiscal est devenu un pays qui abrite les plus grands fraudeurs de la planète. 

Comment se porte la fraude ?  

Elle est florissante. Elle se porte même de mieux en mieux. J'ai repris le chiffre de l’économiste Gabriel Zucman qui évalue à 8 600 milliards de dollars les avoirs cachés via les sociétés offshore. C’est délirant et scandaleux.

Mais que s'est-il passé depuis les déclarations de Sarkozy au G20 de 2009 où il avait assuré : "Les paradis fiscaux, c'est terminé" ? 

Il avait décidé de créer des listes blanches, grises et noires de pays. De belles intentions mais cette initiative n'était pas accompagnée de moyens suffisants. Cela s'est révélé inefficace, car ces pays inscrits sur listes noires, ont signé des conventions internationales où ils s'engageaient moralement. Mais pas du tout dans la pratique.  

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Vous dites que les montages sont devenus de plus en plus complexes, votre travail est-il devenu impossible ? 

Impossible non, mais le travail pour remonter les chaînes est considérable. Il est long et fastidieux. Une fiduciaire, un cabinet conseil, installé à Dubaï ou en Suisse fait un montage extrêmement sophistiqué en créant une multitude de sociétés écrans et fait circuler de l'argent sur toute la planète est très difficilement traçable. Il faudra pour le juge ou l'enquêteur 5 ou 6 ans pour remonter cette ingénierie durant laquelle nous allons nous heurter à la non-coopération des Etats où sont implantés les paradis fiscaux. Quand une affaire aboutit, car on y arrive, mille autres passent sous les radars. 

La finance et la fraude se sont internationalisées, pourquoi ne peut-on pas avoir un consortium de juges internationaux pour lutter à l'échelle mondiale contre l'argent sale ? 

Outre la montée des nationalismes, ces pays ne veulent pas voir des juges internationaux mettre leur nez dans leurs affaires. On sait aussi que les dictatures engendrent de la corruption à très haut niveau. Pourquoi voulez-vous que les dictateurs luttent contre les paradis fiscaux où ils cachent leur argent ? 

Vous dites qu'aujourd'hui la place forte pour les fraudeurs, c'est DubaÏ ? 

Absolument vous pouvez arriver avec beaucoup d'argent et personne ne vous demandera son origine. Et même sans la nationalité dubaïote, vous avez l'assurance de ne pas être extradé. Et les états spoliés comme la France, l'Allemagne ou l'Espagne n'ont aucun intérêt à aller les chatouiller Dubaï qui fait partie des Émirats arabes unis et qui nous approvisionnent en pétrole. C'est d'autant plus tendu que nous ne disposons plus de pétrole russe.  

En quoi la Suisse ou la City à Lonfres ont un rôle ambivalent ?

L'argent n'est plus en Suisse mais il reste un savoir-faire. Quant à la City, elle a sa propre police, sa propre législation. C'est très compliqué d'avoir des informations. En Grande-Bretagne, vous n'avez pas de juge d'instruction et les procureurs n'ont pas les mêmes pouvoirs qu'en France. C'est toujours complexe avec les pays anglo-saxons où la coopération se fait au compte-gouttes. Ils ne refusent pas formellement de coopérer mais c'est rapidement le parcours du combattant.  

Vous évoquez les Gafam (Google, Amazon, Facebook...) comme les nouveaux fraudeurs ? 

On entre dans le registre de l'évasion fiscale. Deux des Gafam ont accepté de transiger avec Bercy, ce qui est bien la preuve que le ministère des finances ne considère plus cela comme de l'évasion mais de la fraude fiscale. Sous couvert d'une apparente légalité, le principe est de faire transiter les bénéfices réalisés en France vers des pays où l'on paye moins d'impôts ce qui génère un préjudice énorme. La frontière entre l'optimisation fiscale et la fraude fiscale est ténue. Vous, si vous omettez de déclarer 1000 €, on dira que c'est de la fraude. Une multinationale qui dispose d'une armée de conseillers fiscaux va faire des montages très complexes pour y échapper et va dire c'est de l'optimisation. Mais le fossé est en train de se combler. 

Par rapport à vos débuts qu'est ce qui a changé ? 

Sans hésiter l'indépendance des procureurs. Qui reste fragile. Si demain vous avez un pouvoir autoritaire qui arrive aux affaires, il pourrait remettre les procureurs à leur botte. Dans les affaires Boulin ou Urba dont je parle dans le livre, j'ai connu des procureurs aux ordres. Comme mon collègue Eric Alphen en a connu avec le pouvoir chiraquien. Enquêter sur le pouvoir politique en place reste difficile mais on s'est battu. Regardez l'affaire Cahuzac ou Fillon, la justice va sur ces terrains-là et les procureurs ne reculent plus. Et s'ils reculaient ils seraient cloués au pilori par la presse. Le rapport de force a changé. 

Ce qui a changé aussi ce sont les lanceurs d'alerte ? 

Oui, qui sont rapidement menacés de poursuites quand ils sont identifiés. Dans l'affaire HSBC, la justice suisse a pris le parti des banques. Désormais, les lanceurs d'alerte ont pris un autre chemin : celui de la presse car les journalistes bénéficient du secret des sources. Ils ont créé un consortium international et vont faire des révélations sur la base de fichiers obtenus à l'intérieur du système ou par des hackers. Comme avec les "Panama papers" ou les "Dubaï papers". C'est précieux mais ce qui est publié est une photo. Or c'est un film complet qu'il faudrait reconstituer. Le drame c'est qu'il n'est pas interdit d'avoir de l'argent dans un paradis fiscal, d'avoir des trusts, de faire appel à des fiduciaires, d'avoir des sociétés offshore... D'où l'intérêt d'une politique internationale qui fait aujourd’hui défaut. 

Êtes-vous optimiste pour le travail de vos successeurs ? 

Bien sûr. Ils n'auront pas les mêmes freins que ceux que j'ai pu connaître. Le passage est fait. Les jeunes générations iront même plus loin que nous. Même si les fraudeurs ont souvent un coup d'avance.