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Pénuries de médicaments : Hausses de prix, relocalisations et prévention, les clés pour lutter ?

Des tiroirs vides dans les officines et des médicaments qui manquent chroniquement à l’appel, ce n’est pas une nouveauté. Depuis plusieurs années, la France fait régulièrement face à des tensions d’approvisionnement, voire de véritables pénuries. Un phénomène qui s’est amplifié davantage sous l’effet de la crise sanitaire, puis de la triple épidémie virale de Covid-19, grippe et bronchiolite de cet hiver et de l’inflation.

La situation interroge sur la sécurité de l’accès des Françaises et des Français aux médicaments et traitements dont ils ont besoin. Comment écarter durablement et efficacement ces risques de pénuries ? C’est ce à quoi tente de s’atteler le gouvernement, qui vient de lancer un comité de pilotage du médicament prévoyant notamment des hausses de prix et un renforcement de la souveraineté industrielle de la France.

Des hausses de prix actées

Première mesure annoncée par les ministres de la Santé et de l’Industrie : un moratoire sur les baisses de prix des génériques considérés comme stratégiques sur le plan industriel et sanitaire. Alors que la France connaît cet hiver une pénurie d’antibiotiques largement prescrits en cette période épidémique, notamment la forme pédiatrique de l’amoxicilline, le gouvernement a annoncé qu’il allait autoriser des hausses de prix pour certains génériques essentiels, afin d’inciter les fabricants à poursuivre leur production. Des hausses de prix consenties « en contrepartie d’engagements des industriels sur une sécurisation de l’approvisionnement du marché français », ont-ils indiqué.

« Il était indispensable de prendre des mesures fortes (…) pour protéger le prix et revaloriser les médicaments "anciens" indispensables, se réjouit Thierry Hulot, président du Leem, le syndicat des entreprises du médicament. Plus que jamais il est urgent de revoir l’enveloppe budgétaire du médicament. » Le syndicat pointe « des coûts de revient industriel de ces médicaments qui n’ont cessé d’augmenter au fil des années, avec une accélération notable en 2022 due à l’inflation galopante, tandis que leur prix d’achat par l’Assurance maladie n’a cessé, lui, de baisser, avec pour conséquence d’accentuer les différentiels de prix avec nos voisins européens. »

La décision d’augmenter les prix a été saluée sans surprise par le secteur du médicament, mais a déclenché la colère de l’Observatoire de la Transparence dans les politiques du médicament (OTMeds), qui dénonce « l’amateurisme de l’exécutif ». Et qui déplore que soient ignorés « des travaux essentiels sur les pénuries de médicament, sur la concentration de la production pharmaceutique en Asie, sur l’accès aux produits de santé compromis par la dynamique d’augmentation des prix », estimant que « le débat s’enlise dans une complaisance de plus en plus problématique vis-à-vis des institutions publiques pourtant en charge de trouver des solutions pour garantir notre sécurité sanitaire ».

Des relocalisations pour renforcer la souveraineté

Il est vrai que produire moins cher, l’industrie pharmaceutique a ces dernières années largement délocalisé la fabrication de ses médicaments. Chine et Inde sont ainsi devenues les plus gros fabricants de médicaments et de principes actifs au monde. Des mastodontes dont la France est devenue dépendante pour assurer ses approvisionnements, qui peuvent être en tension voire en rupture, notamment quand les pays producteurs décident, à la faveur de la crise sanitaire, de réduire leurs exportations pour soigner leur population, ou de vendre aux pays prêts à offrir un meilleur prix.

Une problématique a laquelle le chef de l’Etat Emmanuel Macron s’est attaquée à l’été 2020, promettant alors une enveloppe de 15 milliards d’euros pour l’innovation et les relocalisations pharmaceutiques. « La vision française a beaucoup évolué et aujourd’hui, l’importance de relocaliser l’industrie pharmaceutique fait l’unanimité, observe le Pr Isabelle Durand-Zaleski, professeure en santé publique et cheffe de service à l’AP-HP. C’est évidemment l’un des leviers à activer pour lutter efficacement contre les pénuries de médicaments, qui a en outre l’avantage de réduire l’empreinte carbone des produits de santé. »

Mais les relocalisations sont-elles économiquement viables pour constituer une solution pérenne aux pénuries ? « Pour éviter ces ruptures qui se multiplient, il nous faut en passer par là et être prêts à payer plus cher les médicaments, répond le Pr Durand-Zaleski. Mais ces coûts de production plus élevés pourraient être atténués en relocalisant prioritairement les génériques dans un premier temps. Mais aussi en continuant la politique de déremboursement des médicaments qui ont un service médical rendu insuffisant. »

Prévention et pédagogie pour mieux consommer les médicaments

Pour la spécialiste en santé publique, il s’agit de « ne pas raisonner qu’en termes de coûts, mais en termes d’emploi global : un médicament unique peut être plus cher, mais il y a toute une réflexion à mener sur son conditionnement, sa juste prescription et son gaspillage ». Car dans les faits, « sur le plan sociologique, de nombreuses études ont montré que les Français étaient parmi les plus gros consommateurs de médicaments au monde derrière les Etats-Unis, et parmi les plus gros d’Europe », souligne Jocelyn Raude, enseignant-chercheur en psychologie sociale de la santé et des maladies infectieuses à l’Ecole des hautes études en santé publique (EHESP).

Parmi les médicaments en tension figurent les antibiotiques, pour lesquels la demande a explosé cet hiver. « Légitimement, les besoins ont augmenté avec les épidémies virales, admet Jocelyn Raude. Mais cela fait partie des médicaments pour lesquels un travail de pédagogie doit être poursuivi : il y a encore aujourd’hui un effet de plateau, et les médecins indiquent qu’ils ont de fortes demandes de leurs patients pour les antibiotiques, notamment les plus âgés, pour qui un traitement efficace nécessite des antibiotiques. Mais les choses évoluent, et les plus jeunes, eux, ont bien intégré l’information sur la nécessité d’avoir une consommation raisonnée des antibiotiques. »

De vieux réflexes qui sont « l’effet direct du "tout curatif", estime Jocelyn Raude. Le système de santé français est bâti sur la prise en charge des maladies, en particulier par le traitement pharmacologique. En revanche, la culture de la prévention et de la médecine comportementale est très peu développée en France. Nous accusons un gros retard sur les alternatives aux médicaments, dont l’efficacité – souvent supérieure aux médicaments – a été démontrée tant en matière de santé mentale que physique. Le problème en France est que ces approches complémentaires sont récupérées par les médecines alternatives versant parfois dans le charlatanisme, et c’est dommageable. »

Pourtant, agir en amont, promouvoir l’activité physique, une alimentation équilibrée et lutter contre les addictions sont autant de leviers permettant de maintenir une population en bonne santé, qui a donc moins besoin de médicaments. « C’est ce qu’essaie de faire le gouvernement, reconnaît Jocelyn Raude. On parle désormais de ministère de la Santé et de la Prévention. Il s’agit maintenant de sortir du symbolique et de la vision curative et pharmacocentrée et qui est difficile à faire évoluer. »