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Philippe Olivier : « L’Union européenne est un empire qui vacille »

À plus d'un an de l'échéance, le Rassemblement national a déjà les yeux rivés sur les prochaines – et seules – élections nationales du quinquennat : les européennes. Pour les préparer, le parti nationaliste intensifie ses réflexions idéologiques et aiguise la vision qui sous-tendra le futur projet porté par la liste, probablement conduite par le président du RN, Jordan Bardella.

Lors d'un colloque le 9 décembre prochain à la Maison de l'Amérique Latine, l'eurodéputé et conseiller spécial de Marine Le Pen, Philippe Olivier, présentera sa grille de lecture opposant nations et empires. Un clivage qui, selon lui, est susceptible de nourrir l'affrontement électoral européen prochain et qu'il accepte en exclusivité de détailler au Point.

Le Point : Vous avez été chargé par le nouveau président du Rassemblement national, Jordan Bardella, de réfléchir au débat idéologique qui animera le prochain grand rendez-vous électoral, à savoir les européennes. Où en êtes-vous ?

Philippe Olivier : Il est une constante dans l'histoire du monde : la confrontation entre les empires et les nations. Cette grille de lecture permet de comprendre aujourd'hui l'état du monde et plus particulièrement l'état de l'Europe. En Europe, rivalisent deux traditions. La culture française, nationale, celle de Philippe Le Bel. Et la culture allemande, qui a toujours été une vision impériale. Après le Saint Empire romain germanique, il y a eu la réunification allemande avec Bismarck et la vision impériale de Guillaume II qui a conduit à la guerre. Comme, plus tard, le IIIe Reich. Ce sont, chaque fois, les empires qui causent la guerre et les nations qui rétablissent la paix.

Je ne dis pas que l'Union européenne, qui est d'inspiration allemande, est le successeur du IIIe Reich. Mais elle coche toutes les cases de l'empire : une autorité supérieure, centralisée, qui supplante les nations qui la composent avec un pouvoir vertical, descendant. Les empires ne tiennent que par la soumission ou la pression. L'Union soviétique envoyait ses chars, l'Union européenne utilise l'arme budgétaire des sanctions économiques, contre l'Italie ou la Hongrie notamment.

Autre caractère, la propension à l'extension permanente. Quand un empire arrête de grandir, il meurt. L'Union européenne cherche perpétuellement à s'étendre par deux biais : les adhésions et les traités de libre-échange. Son avantage est qu'il n'a pas de limite géographique, c'est un empire marchand. Mais il n'y a pas d'affection impériale. Il n'y a pas de peuple européen, pas de demos, donc pas de démocratie.

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Vous contredisez l'axiome cher à François Mitterrand, selon lequel « le nationalisme, c'est la guerre », et l'Union européenne, la paix ?

Les nationalistes sont les promoteurs de la nation. Or, les nations ne sont pas les causes des guerres mais au contraire celles qui rétablissent la paix. C'était le cas lors de la guerre de 1870, celle de 1914-1918 ou celle de 1939-1945. Derrière cette fausse accusation, l'idée des pères fondateurs de l'Europe était de démanteler les nations. C'est d'ailleurs ce qu'a écrit très clairement l'un d'eux, Richard Coudenhove, dans son livre de 1923, Pan-Europa. Il faut que les gens comprennent que l'Union européenne n'est pas un espace de coopération mais de soumission. Elle se rêve en un état fédéraliste hors sol et centralisé. Elle a d'ailleurs déjà tout d'un état : un hymne, un drapeau, un gouvernement, une monnaie… Ne lui reste qu'à se doter d'une politique étrangère et d'une armée.

Le risque, pour la France, est que l'Union européenne s'empare de l'arme nucléaire française. Ce qui emporterait un certain nombre de conséquences pratiques, vu la volonté impérialiste de l'Union et les discours bellicistes hallucinants de la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen. La sortie de la Grande-Bretagne n'était pas « un accident ». Historiquement, elle n'a jamais accepté qu'existe un empire continental. C'est dans son ADN. Les élections européennes vont avoir lieu dans un an. Les Français doivent comprendre le choix qui se présente à eux : se soumettre à une autorité supranationale centralisée ou rester une nation souveraine.

Une sortie de l’Union européenne serait inutile aujourd’hui. Son changement de l’intérieur est à portée de main.

Le projet d'un fédéralisme européen semble pourtant loin de faire l'unanimité au sein de l'Union. Est-ce vraiment encore d'actualité ?

Détrompez-vous ! Les velléités, d'Emmanuel Macron notamment, d'abandonner la règle de l'unanimité au Conseil européen pour adopter des décisions à la majorité en est la preuve. C'est ni plus ni moins un renoncement à la souveraineté nationale. Demain nous sera proposé un président d'Europe. Emmanuel Macron sera peut-être candidat pour devenir cette incarnation d'un pouvoir dominant, d'une superstructure, qui écrase tout ce qui existe en dessous d'elle.

Aujourd'hui, le véritable pouvoir est entre les mains de la Commission européenne. Nous découvrons tous les jours des accaparements de sa part de compétences des États, un grignotage des traités, grâce à un système de petit pas. Ursula von der Leyen n'avait, par exemple, aucun mandat pour prendre la parole sur l'Ukraine. Ni la Commission pour s'intéresser aux forêts comme elle l'a fait récemment.

Évidemment, lutter contre 2 000 ans d'histoire nationale est difficile. Cette Europe fédérale ne peut s'instituer que de façon progressive. Mais, en soixante-dix ans, beaucoup de dégâts ont déjà été faits. En tant que nation, nous avons d'ores et déjà moins de pouvoir que les États américains. La volonté des peuples est contrariée par une idée supérieure : l'empire doit se faire avec ou sans leur consentement. Cette idée d'empire a d'ailleurs été utilisée en premier par les européistes. Bruno Le Maire a publié un livre en 2019, Le nouvel empire : L'Europe du vingt et unième siècle. Le mot empire peut paraître valorisant pour un Français. Cela évoque Napoléon. Le bilan du premier Empire, c'est tout de même la consommation de 100 000 hommes par an et une histoire qui finit mal.

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Quitte à rejouer le village d'irréductibles Gaulois contre les armées de Jules César, pourquoi ne plus défendre, comme par le passé, une sortie de « l'empire » plutôt que d'y rester ?

Une sortie de l'Union européenne serait inutile aujourd'hui. Son changement de l'intérieur est à portée de main. Mais l'analogie avec les Gaulois est intéressante. Ils formaient un peuple extrêmement solide et guerrier. Ils se font battre, puis sont absorbés par l'Empire romain. Une fois dans l'Empire, ils s'avilissent. Au point que lorsque les barbares arrivent, ils ne parviennent pas à leur résister. La vitalité est dans la nation. L'empire assèche la créativité du peuple.

J'ai un exemple tout à fait précis : l'invention par un Français du Minitel à la fin des années 1970. Nous avions senti la révolution numérique venir. Aujourd'hui, nous l'avons ratée, à un point difficilement rattrapable. Nous n'avons même pas réussi à protéger nos données et assistons au pillage de ce qui est la matière première du XXIe siècle. L'Union européenne portait une promesse de paix et de progrès. Aucune n'a été tenue. Les Américains ont créé les Gafam, les Chinois les BATX, et il n'existe aucun équivalent européen. Il n'y a même pas de GPS européen. Nous travaillons depuis vingt-trois ans sur le projet Galileo qui n'est toujours pas opérationnel. L'Union européenne est un effondrement économique et technologique, parce qu'elle est portée par une vision impériale, lointaine et désincarnée.
 

Pour changer les institutions européennes de l'intérieur, il vous faut des alliés puissants et une majorité au Parlement européen. Or, les négociations pour y constituer un grand groupe souverainiste ont échoué…

Aux côtés de la Pologne et de la Hongrie, 14 pays sont déjà en sécession et refusent la vision impériale de l'Union européenne. Si la France la refuse à son tour, nous prendrons la tête de cette contestation. D'autres pays nous rejoindront. Les peuples ont envie de rester des peuples. L'Union européenne se pense immortelle, comme l'Union soviétique en son temps. L'URSS a duré soixante-dix ans. Elle a sombré parce qu'elle n'a pas réussi à apporter de la prospérité. L'Union européenne existe, elle, depuis soixante-douze ans.

Au Parlement européen, nous travaillons très bien avec le parti espagnol Vox. Nous avons également de très bons rapports avec les Hongrois du Fidesz. Évidemment, il n'est pas évident d'asseoir au sein d'un même groupe les Italiens Giorgia Meloni et Matteo Salvini, comme de pousser les Polonais du PIS à surmonter leurs ressentiments historiques. Mais c'est en bonne voie. Ce grand groupe viendra dans la dynamique des élections européennes.

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Après ses premiers mois au pouvoir en Italie, la nationaliste Giorgia Meloni se révèle davantage proeuropéenne que vous ne l'êtes, jusqu'à montrer quelques convergences sur le sujet avec Emmanuel Macron…

L'Italie est écrabouillée par sa dette, elle ne peut rien faire sans l'argent européen. Giorgia Meloni est obligée de tenir compte de la situation économique de son pays et de la nécessité de certaines subventions européennes. Nous le comprenons. Elle défend l'intérêt national de l'Italie. La France est dans une autre situation. Nous sommes contributeurs nets au budget de l'Union européenne. Nous payons, donc nous devons peser dans les décisions. Les électeurs français ne se rendent pas compte à quel point tous les peuples européens attendent qu'ils les libèrent du joug. Ce combat, c'est nous qui le menons.

L'un des enjeux pour le Rassemblement national lors de ces européennes risque d'être un nombre inédit de listes souverainistes : Michel Onfray, Nicolas Dupont-Aignan, Florian Philippot, François-Xavier Bellamy, sans oublier la candidature de Reconquête !. Ne craignez-vous pas une dilution des voix ?

Nous allons en fédérer un certain nombre. Florian Philippot, c'est incompatible, puisqu'il est en faveur d'un « Frexit ». Reconquête !, il y a un problème de méthode. On ne peut pas nouer d'alliance avec une formation qui fait de la polémique son principal mode de fonctionnement. En revanche, nous partageons nombre d'analyses avec Nicolas Dupont-Aignan, François-Xavier Bellamy ou Michel Onfray. Nous avons tout intérêt à grouper nos forces.

Cela créerait une grande dynamique contre une Union européenne qui ne peut plus faire croire [que] la mondialisation [est] heureuse ni que l'immigration est une chance. On ne peut pas dire que les trois anniversaires de l'Union, celui de la déclaration de Schuman, de la création du Parlement européen ou de celle de l'euro, ont été célébrés tambour battant. Leur bilan est mauvais. L'empire vacille mais il ne le sait pas encore. Comme l'Union soviétique dans les années 1980.