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Philippe Tesson est mort

Le journaliste, toute sa vie, mû par sa passion pour le théâtre, s'est éteint mercredi soir à l’âge de 94 ans.

Par Violaine de Montclos
Philippe Tesson en 2016.
Philippe Tesson en 2016. © Nicolas Kovarik / MAXPPP / IP3 PRESS/MAXPPP

Temps de lecture : 3 min

Fumeur, buveur, sédentaire et petit dormeur, Philippe Tesson ne devait sans doute sa spectaculaire vivacité physique et intellectuelle qu'au seul régime qu'il ait jamais accepté de suivre : aller au théâtre, et le plus souvent possible. Il se vantait d'avoir vu, au cours de sa vie, plus de 12 000 pièces. Et jusqu'au bout, jusqu'à ces derniers mois, on l'a aperçu dans l'obscurité des salles de théâtre parisiennes, souvent accompagné de l'un de ses enfants, son profil aigu tendu vers la scène, avide, jamais rassasié de ce qui fut sans doute le plus grand bonheur de son existence.

On dit que le grand âge nous ramène étrangement aux rivages de notre jeunesse, que ce qui tient encore vivant, quand tout est en train de s'éteindre, ce sont les passions écloses dans l'enfance. Inspiré par une mère cultivée, lettrée et curieuse, Philippe Tesson n'avait pas vingt ans lorsqu'il commença à fréquenter et aimer passionnément le monde du théâtre. Mais il attendit d'en avoir 83 pour réaliser le rêve un peu fou de posséder sa propre salle et d'inventer sa programmation : en 2012, il acquérait le théâtre de Poche. Et à 88 ans, il montait pour la première fois sur scène…

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Le journalisme lui était tombé dessus un peu par hasard. Propulsé à la tête de Combat à l'âge de trente ans, créateur avec son épouse du Quotidien du médecin, fondateur et directeur du mythique Quotidien de Paris, l'homme a marqué des générations de journalistes par sa fantaisie, sa liberté de ton et son goût de la provocation : sa croisade antigauche, lorsque François Mitterrand est élu, frise une hystérie qu'il assume en riant. Pour lui, toutes les saillies, tous les excès sont possibles, pourvu qu'ils soient commis avec élégance et talent. On dit qu'au Quotidien de Paris il grimpe parfois sur les tables, en conférence de rédaction, pour haranguer ses troupes de rédacteurs qu'il veut libres de tout écrire…

À la fin des années 1990, le petit écran le happe et lui offre une scène à sa mesure. Lunettes vissées sur son grand front, air goguenard, il promène sur tous les plateaux de télévision son personnage de faux réac un peu bavard qui dézingue, hérisse et séduit en même temps. Il joue au polémiste et s'assume narcissique, mais tout ce cirque ne l'éloigne jamais complètement du théâtre. Il y passe encore quasiment toutes ses soirées, en critique dramaturge du Canard enchaîné puis du Figaro magazine. « Je ne me suis jamais lassé de ce milieu. J'aime le théâtre, et j'aime aussi passionnément les gens qui le font, parce que nous nous nourrissons des mêmes choses, de cette poésie sans laquelle nous ne pouvons pas vivre », nous confiait-il lors d'un entretien donné après le lockdown pandémique.

Il avait fait du théâtre de Poche une affaire de famille : sa fille Stéphanie, dramaturge et metteure en scène, à la direction, son fils Sylvain montant aussi sur scène. Quant à son autre fille, l'écrivaine et dramaturge Daphné, elle n'était, elle non plus, jamais loin de ce petit phalanstère théâtral. Et lui ? On le voyait bien souvent à l'heure du spectacle, accoudé au charmant bar qu'il avait tenu à installer dès l'entrée du théâtre, saluant son monde, ses amis parmi lesquels l'actrice Judith Magre ou le dramaturge René de Obaldia, ses copains journalistes, ses voisins du quartier Montparnasse pour lesquels ce théâtre était devenu, au fil des années, un lieu de vie intellectuelle incroyablement chaleureux. « Le principe du Poche, c'est la priorité au texte », nous rappelait encore l'heureux propriétaire des lieux. « Et la poésie. Je déteste le réalisme. Le théâtre, pour moi, c'est d'abord l'illusion, le rêve. »

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Il avait raison : depuis dix ans, se produisent dans ce théâtre mouchoir de poche de petits miracles d'intelligence, mises en scène humbles de textes qui continuent de vous hanter longtemps, tant les comédiens choisis sont presque toujours formidables. On lui avait pourtant prédit l'échec. « On m'avait par exemple déconseillé d'ouvrir un bar, parce que le théâtre, c'est sacré, n'est-ce pas, on n'y entre pas en traversant un bistrot », nous avait-il raconté en riant. « Mais moi j'aime que les gens boivent, avant, après le spectacle. » Le théâtre vécu comme une fête…

Et lors de cet entretien accordé alors que rouvraient enfin, à son grand bonheur, les salles de spectacle, l'histrion de la presse qui ne se complaisait guère dans la nostalgie s'était, pour une fois, un peu retourné sur propre destin : « Je crois que, sans le théâtre, jamais je n'aurais eu une vie aussi heureuse. »