France
This article was added by the user . TheWorldNews is not responsible for the content of the platform.

Pourquoi la covid-19 n’inspire plus la peur ?

Comment expliquez-vous le relâchement actuel des Français vis-à-vis de la covid alors que le nombre de cas remonte depuis la rentrée ?

En fait, on observe un relâchement depuis la deuxième vague. Il s’agit d’un processus lent mais qui s’accélère avec le temps. Pour la covid-19, comme pour d’autres maladies infectieuses (zika, chikungunya), on constate, en début d’épidémie, une réaction très forte des populations qui peut confiner à la panique. Puis, rapidement, au fur et à mesure que l’incertitude décroît, cette réaction s’atténue. Les gens ont davantage peur de l’incertitude que du risque : on peut citer en exemple les fumeurs, qui, pour moitié, mourront d’une pathologie liée à leur tabagisme. Ils n’en sont pourtant pas fondamentalement inquiets puisque le risque est connu et ancien.
Ce risque familier, ce qu’on appelle « l’éléphant dans le salon », mobilise assez peu la population tandis que des risques incertains, nouveaux, dont on ignore la cause, l’origine, la nature, et les moyens pour s’en prémunir, sont extrêmement anxiogènes. Avec la covid, on réunissait tous ces facteurs. Heureusement, quand un agent pathogène émergent arrive, des recherches épidémiologiques, cliniques, microbiologiques, se mettent en place très vite et on bénéficie assez rapidement d’une amélioration de la connaissance sur sa transmission, ses effets sur l’homme, les moyens de le contrôler et de traiter la maladie. L’augmentation de la connaissance rend la maladie moins anxiogène et conduit à sa banalisation.

Le confinement préfigure ce que pourrait être une crise climatique, estime Jocelyn Raude, enseignant-chercheur en psychologie sociale à l’École des hautes études en santé publique de Rennes. 
Jocelyn Raude est enseignant-chercheur en psychologie sociale à l’École des hautes études en santé publique de Rennes. (DR)

Depuis le début de l’épidémie, le comportement des gens se modifie à chaque nouvelle vague. Sera-ce de moins en moins le cas au fil du temps ?

Effectivement, les comportements des gens suivent les vagues épidémiques, quand le nombre de cas augmente, ils font plus attention, mettent des masques, se lavent davantage les mains, etc. Inversement, dès que le pic est passé, que les choses commencent à s’améliorer, on constate un relâchement très rapide dans les comportements. Grâce aux enquêtes Coviprev réalisées pendant deux ans, on a bien réussi à modéliser le fait qu’à chaque vague, la réponse est de moins en moins forte : il y a une normalisation de cette maladie qui mobilise de moins de moins. Lors de la première vague on comptait juste une toute petite minorité de Français qui n’avaient pas adopté de mesures de précaution. Avec la vague actuelle, on assiste à un renversement total, seule une minorité de gens se protègent et remettent le masque.

Comment la vaccination a-t-elle joué un rôle dans cette banalisation de la maladie ?

Elle fait partie de cette connaissance de la maladie qui a progressé très vite, à tel point qu’on a réussi à développer un vaccin en seulement un an. La réduction du risque substantiel grâce à la vaccination, qui divise le risque de forme grave par dix, a un effet important.

L’expérience que l’on a eue, soi-même, avec la maladie, en étant contaminé ou pas, influe-t-elle beaucoup sur notre perception du risque ?

De moins en moins de Français n’ont pas contracté la covid. Une familiarité intellectuelle mais aussi expérientielle de la maladie s’est installée chez beaucoup d’entre nous. Cette familiarité participe à la banalisation de la maladie. Pour de plus en plus de gens, elle va devenir l’équivalent d’une nouvelle grippe. Il existe quand même des syndromes de covid long assez handicapants chez de nombreux sujets qui restent essoufflés très longtemps après la maladie. Pour ceux qui vivent cette expérience-là, la perception de la maladie est sans doute très différente.

Une trentaine de personnes décèdent de la covid chaque jour actuellement dans le pays. Ce chiffre a-t-il fini par être accepté par les Français, bien qu’il soit non négligeable ?

Quand les gens ont compris que l’essentiel de la mortalité concernait des personnes en mauvaise santé ou en fin de vie, cela a transformé leur manière de voir la maladie. La grippe génère entre 5 000 et 10 000 morts par an, on va peut-être vers des ratios assez proches avec la covid.

Le gouvernement ne prodigue plus que des conseils et des recommandations, sur le port du masque et la vaccination, notamment. La coercition est-elle aujourd’hui un tabou ?

La justification épidémiologique à la coercition est difficile, on va peut-être arriver à des taux de létalité pas très différents de ceux des maladies saisonnières, gastro-entérite, grippe. À un moment donné, on ne peut pas complètement rebasculer vers quelque chose de trop autoritaire, d’une part parce qu’il y a une moindre acceptabilité de ces mesures avec le temps et, d’autre part, en raison de la banalisation de la maladie. Des questionnements de proportionnalité entre différentes causes de mortalité pourraient également naître comme : qu’est ce qui justifie des mesures coercitives contre la covid, mais pas contre la pollution atmosphérique qui fait aussi beaucoup de morts chaque année ?

Quel changement dans l’épidémie de covid-19 pourrait modifier le comportement des Français vers plus de prudence ?

Il existe deux scénarios, très noirs : le premier, une augmentation de la mortalité liée à l’arrivée d’un nouveau variant beaucoup plus létal. Le deuxième : un échappement immunitaire du virus qui deviendrait résistant aux vaccins existants et occasionnerait un retour à des taux de mortalité similaires aux premières vagues. On espère qu’ils ne se produiront pas, car ils généreraient de nouveau un choc de santé publique, avec des hôpitaux saturés et une société sous stress. Ces scénarios ne sont pas exclus mais il ne s’agit pas de l’évolution naturelle généralement observée.