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« Pourquoi le mal frappe les gens bien ? », de Frédérique Leichter-Flack : le feuilleton littéraire de Tiphaine Samoyault

Tiphaine Samoyault

Ecrivaine et essayiste

Notre feuilletoniste a lu cette réflexion sur le pouvoir de la littérature. Là où les fictions sont les plus ­fortes, c’est lorsqu’elles affirment que le malheur n’a aucun sens.

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« Pourquoi le mal frappe les gens bien ? La littérature face au scandale du mal », de Frédérique Leichter-Flack, Flammarion, 256 p., 21 €, numérique 14 €.

LA ROUE DE L’INFORTUNE

La littérature est une zone à défendre pour sa capacité à donner du sens à ce qui semble totalement dépourvu d’explication. Réserves de cas pratiques, les fictions nous aident à nous repérer dans le noir. Elles plongent dans des dilemmes affreux, dans des situations de malheur insoutenables. Elles sont une école de la réflexion morale sans pour autant offrir de solutions toutes faites ni de consolation.

Un précédent livre de Frédérique ­Leichter-Flack, Le Laboratoire des cas de conscience (Alma, 2012), montrait comment les récits prenaient en charge des problèmes posés à la théorie de la justice. Comment porter secours à quelqu’un qui ne vous est rien, demande Melville dans Bartleby (1853) ? A-t-on le droit de sacrifier une vie pour en sauver cent, demande Dostoïevski dans Crime et Châtiment (1866) ? Ces questions inquiètent et la littérature, en nous y confrontant, nous aide à en débattre. Dans Qui vivra, qui mourra (Albin Michel, 2015), elle affrontait le problème du tri des vies, qui est devenu une vraie question publique cinq ans plus tard, au début de l’épidémie de Covid-19, où son livre est apparu comme particulièrement crucial. Elle y faisait aussi intervenir la littérature pour nous mettre face au conflit tragique. Dans ce cas, le problème moral ne revient pas à choisir ­entre le bien et le mal, mais entre un mal et un plus grand mal. C’est ce qui l’a ­conduite à la question qu’elle pose de ­façon volontairement naïve, titre de son nouveau livre, Pourquoi le mal frappe les gens bien ?, que l’on retrouve sous d’autres formes dans de nombreux textes et qui s’inscrit dans une tradition philosophique pour le moins ancienne.

Le problème du mal confronte à une sorte d’urgence métaphysique : pourquoi tout ça sur lui, pourquoi tout ça sur moi ? Les réponses classiques des religions ont mis en avant une doctrine de la justice de la rétribution et du châtiment, qui heurte aujourd’hui notre sensibilité morale, mais que l’on continue à suivre parfois inconsciemment quand on explique telle maladie par un comportement déviant ou qu’on donne à tel drame une raison souterraine.

Frédérique Leichter-Flack nous passionne et nous touche comme une conteuse au coin d’un hypothétique feu

Le livre s’ouvre par l’histoire exemplaire de Job, sur lequel s’abattent les ­pires malheurs : il perd ses dix enfants, tués le même jour par l’effondrement du toit de sa maison ; il est privé de tous ses biens matériels et atteint d’une maladie de peau lancinante. Incapables de supporter le poids de ses malheurs, ses amis ne peuvent croire à l’aléa de l’injustice. Si Job est à ce point frappé, c’est qu’il l’a mérité. Mais Job refuse cette culpabilité qu’il n’a pas, et c’est là que son histoire est marquante pour la réflexion de Frédé­rique Leichter-Flack : « La thèse de la rétribution ne peut pas faire sens : son malheur est si disproportionné que rien ne peut valoir un tel excès de malheur. » Il faut donc opposer l’injustice au châtiment et les lectures politiques aux interprétations fatalistes : on peut ainsi se ­révolter, s’indigner et même parfois agir contre ou contribuer à réparer.

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