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Pourquoi les élèves travaillent moins bien quand il pleut

Temps de lecture: 5 min

Il en faut peu pour perturber une heure de cours. En collège comme en lycée, on travaille avec certaines classes dans un état d'équilibre instable: il ne faut pas leur lâcher la grappe deux secondes, sinon leur concentration s'évapore. Les bavardages fusent aux quatre coins de la salle, le travail n'avance plus, et il peut alors être difficile de reprendre totalement le contrôle et de faire travailler tout le monde sereinement.

C'est évidemment plus vrai à certains âges qu'à d'autres –tout dépend de l'enjeu et de la maturité–, et avec certains groupes qu'avec d'autres. Mais lorsqu'on se trouve devant une classe difficile à gérer, on ne cesse de prier intérieurement pour qu'aucun micro-événement ne vienne rompre cet équilibre. Ça peut être l'incursion d'un assistant d'éducation pour donner une information quelconque, le départ d'un ou une élève à l'infirmerie, ou même la présence dans un énoncé d'un élément supposément hilarant (en maths, la lettre «q» ou le nombre «69» peuvent suffire à semer la zizanie).

Parmi les éléments perturbateurs auxquels on ne peut échapper, il y a les bouleversements météorologiques. L'expérience est simple: placez une classe de trente-six élèves devant une feuille d'exercices sur les racines carrées, puis observez ce qui se produit lorsqu'une pluie battante se déclenche soudain à l'extérieur. Trente-six têtes se tournent alors vers la fenêtre, et on peut les entendre s'exclamer, grommeler, se maudire de ne pas avoir mis de vêtements imperméables ou emporté de parapluie.

C'est humain. Les adultes ont les mêmes réactions. La météo est un sujet qui fait toujours beaucoup réagir. C'est même l'un des principaux piliers du «small talk», cet art des petites conversations sans intérêt que maîtrisent pleinement les gens qui n'ont rien à dire –ou qui souhaitent sociabiliser. Mais croyez-moi, le problème quand cela arrive pendant une séance de cours, c'est qu'il devient extrêmement difficile de reprendre le contrôle. Y compris avec des élèves faisant habituellement preuve de sérieux.

Orage, ô désespoir

Il faut les comprendre: ces ados s'imaginent déjà mouillés, voire trempés de la tête aux pieds, perdant tout leur swag et risquant d'attraper une pneumonie. C'est une catastrophe. Si, en sus, la pluie est accompagnée d'éclairs, alors la panique monte: chez ceux qui ont peur de l'orage (c'est humain, une fois encore), la concentration laisse place à l'angoisse. Cela s'appelle la brontophobie.

Nos garçons et nos filles ont un super-pouvoir: ce sont des baromètres en puissance.

«C'est pire quand il a plu avant le début de la demi-journée de cours», intervient Marielle, professeure de lettres. «Là, ils arrivent trempés comme des soupes, et ça devient très compliqué de les faire enchaîner sur une séance productive. Je les comprends, ce n'est pas agréable de travailler en étant mouillé et en ayant froid. Mais je n'ai ni serviettes ni sèche-cheveux à disposition, et j'ai un cours à faire. Dans ces cas-là, il n'y a pas de solution. C'est une pure galère.»

Le fait d'étudier l'impact des phénomènes météorologiques sur les êtres vivants s'appelle la biométéorologie. Le Québécois Gilles Brien est l'un des grands noms de cette science. Dans un livre publié en 2015, Les baromètres humains, il décrypte en détail la façon dont la météo agit sur nos émotions et nos comportements. Sur la base d'études scientifiques très sérieuses, on y apprend par exemple que les investissements boursiers sont plus fructueux s'ils sont effectués un jour de soleil. Et qu'à Londres, les registres de comptes de la Banque d'Angleterre ont longtemps été interdits d'accès les jours de brouillard, car «les caissiers faisaient plus d'erreurs ces journées-là».

Enfants-baromètres

À propos des enfants, des ados et de leurs profs, voici ce que Gilles Brien écrit: «La preuve scientifique absolue n'existe pas encore, mais c'est un fait reconnu dans les milieux pédagogiques que derrière les fluctuations de comportement et le niveau de compréhension des élèves se cache l'influence des conditions atmosphériques.» Pas de preuve scientifique absolue, mais plusieurs études très convaincantes.

Le biométéorologue cite par exemple une étude canadienne datant de 1966, qui montre que les conditions météo (en particulier le froid) ont une influence sur le taux d'absentéisme des élèves. Une autre, venue d'Australie, indique que deux tiers des enfants seraient «météo-sensibles», et qu'une dégradation du temps qu'il fait provoquerait chez certains d'entre eux «une fatigue généralisée, débilitante». «Le corps est sans énergie et le mental n'est pas à son meilleur», écrit Gilles Brien.

Pour résumer, je ne suis pas le seul à avoir l'impression que les élèves sont moins aptes à bien travailler si la pluie leur est tombée dessus sur le chemin du lycée, ou si le temps est en train de tourner au vinaigre de l'autre côté des doubles vitrages. Mais la vérite est peut-être plus complexe que cela. L'une des thèses de Gilles Brien, c'est que nos garçons et nos filles ont un super-pouvoir: ce sont des baromètres en puissance, capables notamment d'annoncer l'arrivée d'une tempête alors qu'aucun signe avant-coureur ne pouvait apparemment les aiguiller.

«Je ne suis pas Évelyne Dhéliat.»
Yaël, professeur d'histoire-géographie

Les baromètres humains relate le déroulement détaillé de plusieurs études, mais celle qui suit est particulièrement intéressante. Parce que plusieurs profs lui avaient exposé leurs observations –aussi sommaires que les miennes– sur le rapport entre météo et concentration des élèves, «un psychologue de Montréal a réalisé sa propre enquête pour en avoir le cœur net. Pendant six mois, sept enseignants qui ignoraient le but de l'expérience ont évalué le degré d'agitation de leurs élèves.» Parallèlement, le dénommé François Émond a consigné avec précision les conditions météo de chaque journée: «température, humidité, précipitations, vent, pression».

Résultat, en matière de surexcitation des élèves, douze journées se démarquaient. Seulement voilà: elles ne correspondaient pas aux jours de fortes précipitations. «Déçu, François Émond voyait s'envoler son espoir de mettre au monde le premier indice de prédiction du niveau d'agitation des enfants en fonction de la météo», écrit Gilles Brien. Mais il y a un rebondissement.

En observant ses chiffres avec davantage de recul, le psychologue remarqua alors que 75% des journées d'agitation coïncidaient avec les dates où on avait constaté «des changements rapides de pression d'au moins 1 kilopascal en vingt-quatre heures». Or, les fortes chutes de pression sont annonciatrices des fortes précipitations, voire des tempêtes. En plus de détester être trempés par la pluie, nos élèves disposeraient donc d'un radar annonçant que dans moins de douze heures, le temps va salement se gâter.

S'adapter

Les profs devraient-ils adapter le déroulement de leurs cours à la météo? «Je ne suis pas Évelyne Dhéliat», ironise Yaël, professeur d'histoire-géographie. «Il y a déjà trop de paramètres à gérer pour que la pluviométrie entre en ligne de compte. C'est aussi aux ados d'apprendre à s'adapter, et de regarder les prévisions météo, justement. Il va pleuvoir? Prends un parapluie. On est en novembre? Ne viens pas au lycée en t-shirt. Ceux qui stressent à cause de la pluie sont souvent ceux qui n'ont ni les bonnes chaussures ni le moindre vêtement imperméable.»

On peut cependant faire preuve d'un minimum d'empathie et éviter, lorsque c'est possible, de traiter un sujet trop complexe en classe lorsque le déluge guette ou lorsque les élèves sont trempés de la tête aux pieds. «Dans ces cas-là, il peut m'arriver d'improviser une séance de révisions au lieu d'aborder la notion prévue», raconte Géraldine, qui enseigne les maths. «Quand il pleut, ils n'impriment rien de toute façon.» Ce lien de cause à effet n'a pas été rigoureusement démontré, mais contrairement à ce qui se passe en mathématiques, on est en droit de s'en servir quand même. Pour le bien de nos élèves et la bonne tenue de notre cours.