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Pourquoi subit-on une triple épidémie inédite de covid, grippe et bronchiolite ?

Pourquoi les épidémies de grippe et de bronchiolite sont-elles si fortes et précoces cette année ?

Deux facteurs permettent d’expliquer la saisonnalité des épidémies de maladie infectieuse et leurs vagues annuelles. D’une part, il y a la sensibilité de chaque individu, c’est-à-dire à quel point vous êtes immunisé ou pas : si vous attrapez la grippe, par exemple, vous êtes en partie protégé contre elle pour l’année suivante. Et d’autre part, il y a la question de votre exposition aux infections respiratoires qui répond à la manière dont certains virus se transmettent ou survivent plus ou moins bien dans l’environnement. Ces deux facteurs varient en fonction des maladies.

Même si on manque de certitude, l’arrivée de la bronchiolite et de la grippe plus tôt cette année pourrait être liée au fait que, pendant deux ans, on n’a connu que des épidémies très atténuées de ces deux maladies, entraînant des immunités préexistantes assez basses contre elles. En conséquence, la circulation de ces virus est aujourd’hui facilitée, d’autant plus que la couverture vaccinale contre la grippe n’est pas très élevée. Les épidémies se déclenchent alors dès que les conditions environnementales le permettent : elles n’attendent plus le cœur de l’hiver, quand tout le monde vit dans des pièces fermées, pour décoller.

Samuel Alizon est directeur de recherche au CNRS affecté au laboratoire MIVEGEC, à Montpellier. Il travaille sur l'écologie évolutive, plus précisément sur la modélisation des maladies infectieuses.
Samuel Alizon est spécialisé en écologie scientifique et en biologie de l’évolution. (Photo S. A.)

Et par quel mécanisme la covid-19 est-elle venue s’y ajouter ?

Pour la covid-19, le raisonnement est différent. La vague actuelle est liée à l’émergence d’un nouveau variant, BQ.1.1, qui échappe énormément à l’immunité. Sans son apparition, on n’aurait potentiellement pas eu de vague de covid synchronisée avec celles de grippe et de bronchiolite.

Pour quelles raisons les épidémies de grippe et de bronchiolite ont-elles été plus faibles ces deux dernières années ?

A priori, ce sont l’utilisation du masque, de l’aération, des gestes barrières qui ont limité leur circulation. Le virus de la grippe a un mode de transmission aéroportée assez similaire au SARS-CoV-2 (le virus responsable de la covid). Son nombre de reproduction, c’est-à-dire le nombre de personnes qu’infecte une personne infectée, est de l’ordre de 1,5. Pour la covid, il était de 3 au début et on peut donc dire, en caricaturant, qu’elle se transmettait alors deux fois plus que la grippe. Les mesures barrières efficaces pour empêcher la circulation de la covid, l’étaient donc d’autant plus pour la grippe.

Souffrirait-on d’une « dette immunitaire », d’une forme de fragilisation de notre système immunitaire, notion qui fait beaucoup débat ?

Il faut faire attention. Je ne suis pas en train de dire que notre système immunitaire s’est affaibli entièrement, mais seulement les immunités spécifiques à la grippe et au VRS (le virus responsable de la majorité des bronchiolites). Là où le débat sur la dette immunitaire est sans fondement, est qu’il s’en tient à une vision globale de l’immunité alors que la question dont on parle est l’immunité spécifique contre un type d’infection.

Pour la grippe et le VRS, on pourrait s’attendre à un pic moins élevé l’année prochaine

Ces différents virus peuvent-ils entrer en concurrence et l’un finir par faire disparaître les deux autres ?

Non, il n’y a pas du tout de compétition entre eux. En revanche, on sait qu’il peut y avoir des co-infections : des personnes infectées par plusieurs virus respiratoires en même temps. On les découvre notamment quand on réalise des dépistages, surtout chez les enfants.

Le risque est-il plus grand de faire des formes graves en cas de co-infection ?

Pour le moment, on ne dispose pas de beaucoup de données. Quelques études ont été faites de manière très parcellaire. Mais pour démontrer qu’une co-infection est plus virulente qu’une infection simple, il vous faut à la fois des personnes infectées par la grippe, par la covid et par les deux, et des tailles de population telles que vous puissiez corriger tous les biais.

Une infection à la grippe peut-elle nous protéger en partie contre la covid et vice-versa ?

On voit plutôt qu’une infection par la grippe entraîne une fragilisation, l’exemple classique étant les surinfections bactériennes. Elles ont été l’un des facteurs qui expliquent l’énorme mortalité lors de l’épidémie de grippe espagnole après la Premier Guerre mondiale, en l’absence d’antibiotiques.

Cette triple épidémie entraîne des tensions très fortes sur l’hôpital. Risque-t-on d’en subir tous les ans ?

Par définition, on ne sait rien de l’avenir car il dépend entièrement des politiques de santé publique. Si des investissements sont réalisés pour améliorer la qualité de l’air intérieur, par exemple, tout changera. Mais partons de l’hypothèse que la situation reste comme elle est, c’est-à-dire qu’on laisse tout circuler : on s’attend à ce qu’il y ait davantage de circulation de la covid-19 en hiver. Et même si l’explosion actuelle est liée à un nouveau variant, il n’y a pas de raison de penser que l’évolution des variants va s’arrêter. Pour la grippe et le VRS, on pourrait s’attendre à un pic moins élevé l’année prochaine car une plus grande proportion de la population disposera d’une immunité… Sauf émergence d’un nouveau variant de la grippe, comme en 2009.

* Samuel Alizon est directeur de l’équipe Écologie et Évolution de la Santé au Collège de France à Paris et auteur du livre « Évolution, écologie et pandémies, faire dialoguer Pasteur et Darwin », édité chez Points.