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Pouvoir d’achat : aux caisses des supermarchés bretons, du stress et du cash

« C’est du jamais vu ! » Isabelle (*) travaille depuis 35 ans comme hôtesse de caisse dans le même hypermarché quimpérois. Des coups durs, notamment en période covid, la quinquagénaire en a connus. « Mais, depuis cet automne 2022 et la hausse des prix, nos clients sont tous passés en mode survie. » En peu de temps, les comportements, dit-elle, ont « nettement changé ». Témoins, les caisses express, où elle ne compte plus les produits du quotidien (biscuits, yaourts, œufs) laissés de côté par manque d’argent. Conséquence : « On doit remettre des chariots pleins en rayon à longueur de journée. Depuis octobre, tout le monde calcule et est à l’affût des moindres petits centimes à économiser, raconte-t-elle. L’autre jour, une jeune femme est venue se faire rembourser les fajitas restées en trop après sa fête d’anniversaire. Il n’y a jamais eu autant de retours à la caisse centrale. Ça fait mal au cœur ».

Depuis octobre, tout le monde calcule et est à l’affût des moindres petits centimes à économiser.

« Fini la viande rouge ou les clémentines »

À la sortie de cet hypermarché morlaisien, Valérie, aide à domicile de 50 ans, le confesse : « J’ai arrêté depuis peu d’acheter de la viande rouge, du raisin ou même des clémentines, tellement les prix sont exorbitants ». Katia (*), aide-soignante, s’est mise à surveiller davantage son ticket de caisse. « Je paie jusqu’à 20 euros de plus par semaine pour les articles de base. Ma baguette est passée de 0,43 euro à 0,51 euro en deux semaines. Je n’ai plus d’enfants à charge. Mais je ne peux pas m’empêcher de penser aux grandes familles. »

À Lorient, Océane, hôtesse de caisse intérimaire de 22 ans, a constaté, comme partout, le boom des marques distributeur et la chasse aux promotions. Entre les moues incrédules des clients qui s’étonnent de la note « en n’ayant quasiment rien pris » et la colère de ceux « qui me croient responsable de la hausse des prix », la jeune femme relève que « tout le monde est stressé ».

Les scènes « ahurissantes » se multiplient : « Récemment, se souvient-elle, un père de famille est arrivé juste avant la fermeture, avec un chariot rempli d’une dizaine d’articles, tous en trois lots de trois. Il voulait bénéficier d’une réduction "deux achetés et un offert", que nous ne faisions pas à ce moment-là. Pour payer, il avait des web coupons (bons de réduction obtenus sur internet) et des titres-restaurants. Il a passé plus de temps en caisse que dans le magasin, mais ses courses lui sont revenues à 25 euros au lieu des 150 euros de départ. Il m’a dit qu’il faisait cela dans un magasin différent à chaque fois ».

J’ai arrêté depuis peu d’acheter de la viande rouge, du raisin ou même des clémentines, tellement les prix sont exorbitants.

« Ça râle de plus en plus fort »

Pour Océane, l’inflation, c’est aussi manipuler bien plus d’argent liquide qu’avant. « On le sent dès le 10 du mois. Ça doit être la peur du refus sur la carte bancaire, ou peut-être aussi le cash du travail au noir. » À la caisse d’un hypermarché du pays de Morlaix depuis treize ans, Julie (*), 47 ans, confirme : « Je sors la monnaie de mon fond de caisse non plus une seule fois, mais deux fois par jour ». Autre changement bien visible chez les consommateurs, selon la Finistérienne : « Les utilisations de scanettes sont en forte augmentation. Il y a ceux qui veulent contrôler les prix et leurs dépenses et ceux qui essaient de tricher. Ça râle de plus en plus fort aux caisses quand il y a relecture ». À Quimper, Isabelle soupire : « Ces dernières semaines, les vols aussi prennent leur envol ».

Psychologiquement, les hôtesses de caisse le répètent : « Face à l’agressivité, il faut être solide ». Julie, elle, joue la carte du service et de l’explication : « Aux clients qui pensent que les enseignes s’en mettent toujours plein les poches, je dis qu’ils se gourent complètement ». La caissière n’hésite pas, confie-t-elle, « à signaler une promotion oubliée par une cliente ». Tout en s’affolant de voir « que l’alcool et les grandes marques d’aliments pour animaux restent parfois la priorité des achats ».

Les utilisations de scanettes sont en forte augmentation. Il y a ceux qui veulent contrôler les prix et leurs dépenses et ceux qui essaient de tricher. Ça râle de plus en plus fort aux caisses quand il y a relecture.

La crainte du mois de janvier

Devant ce supermarché saint-politain, certains retraités se veulent philosophes : « Oui, on a changé nos habitudes pour trouver la meilleure promotion, notent les septuagénaires René et Evelyne. Mais on a connu pire, avec l’inflation à deux chiffres » des années 1970-80 ! « Sauf qu’à l’époque, les salaires, eux aussi, augmentaient. » Geneviève, 80 ans, se dit d’une génération « qui a appris à ne pas dépenser sans compter ». Hormis le prix de la crème fouettée (de 2, 33 à 4 euros, selon les magasins !) elle s’inquiète surtout « pour les factures de chauffage et d’électricité à venir ».

Grégory, cuisinier de 44 ans, n’a pas encore revu sa façon de consommer, « même si on lâche 150 euros de plus par mois à quatre. C’est toujours moins que les Anglais ». Pierre, un Morlaisien de 32 ans, attendra janvier pour passer, s’il le faut, aux marques Repère. « Ce n’est malheureusement pas toujours moins cher, il faut tout comparer », conseille Isabelle, la caissière de Quimper. La hausse des prix, elle le sait, n’est pas terminée. « Après Noël, on risque de ne vraiment pas rigoler. »

* Prénoms d’emprunt