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Pouvoir d’achat : un tiers des Français renonceraient à l’achat de produits d’hygiène

C’est un dénuement de l’ombre qui sévit aux frontières de la pudeur, et parfois de la honte. Selon l’enquête publiée ce mardi par le réseau national Dons solidaires, un tiers des Français souffriraient actuellement de précarité hygiénique et renonceraient à l’achat de produits élémentaires faute d’argent. 6 millions d’entre eux se détourneraient de l’acquisition de déodorant, 4 millions s’abstiendraient de shampoing, et plus de 3 millions se priveraient de dentifrice pour des raisons budgétaires. Ancrées dans un contexte inflationniste, ces privations sont tout aussi lourdes à vivre que les exorbitantes factures énergétiques, l’envolée des prix à la pompe et de ceux des produits alimentaires. «Pour pouvoir manger à chaque repas, se chauffer, continuer de prendre sa voiture pour aller travailler, des personnes sont obligées de sacrifier leur accès aux produits d’hygiène essentiels, dresse la déléguée générale de l’association Dons solidaires, Dominique Besançon. La précarité hygiénique est une détresse cachée qui doit être visibilisée car elle touche au principe de dignité.»

(Alice Clair)

«Système D et rationnement»

Menée en partenariat avec l’institut de sondages Ifop, cette étude est le troisième baromètre «Hygiène et précarité en France» dévoilé par Dons solidaires, après deux premiers volets publiés en 2019, puis en 2021. Pour cette nouvelle édition, 1 801 répondants dits «grand public» se sont prêtés aux questions en novembre, et 1 162 bénéficiaires d’aides caritatives ont été interrogés au mois de février. Le constat est sans appel : la précarité hygiénique grignote du terrain. Les sondés du panel «général» sont deux plus fois nombreux qu’en 2021 à affirmer contrôler leur consommation de papier toilette (13 % contre 6 %), espacer les lavages pour réduire l’utilisation de shampoing (12 % contre 6 %), se nettoyer le corps sans savon (8 % contre 4 %) ou les dents sans dentifrice (7 % contre 4 %). «Cette précarité s’est répandue bien plus largement que nous le craignons dans la population, expose Dominique Besançon. L’accumulation du Covid-19 et de la guerre en Ukraine, ainsi que les conséquences économiques de ces deux crises, a fait basculer un nombre croissant de Français dans le système D et le rationnement.» En 2021, 24 % des interrogés déclaraient se tourner vers les enseignes hard-discount pour l’achat de leurs produits d’hygiène. Désormais, ils sont 33 %.

Ces comportements de «renoncement» atteignent des proportions colossales chez les plus vulnérables. D’après les résultats du baromètre, 73 % des personnes interrogées «limitent leur consommation de produits» par manque de moyens financiers : 63 % ont renoncé à l’achat de soins hydratants (contre 55 % en 2021), 50 % à celui de rasoirs (contre 40 %), 41 % à celui de déodorant (contre 35 %) et 34 % à celui de shampoing (contre 28 %). Des chiffres en nette hausse qui illustrent un «double phénomène», selon la déléguée générale de l’association : «l’accroissement des difficultés chez les plus précaires» et une «précarisation accélérée chez des personnes jusqu’ici épargnées». Forte de ses 900 associations partenaires, la communauté Dons solidaires signale en outre que le nombre de demandeurs de produits d’hygiène au sein de son réseau a augmenté de plus de 10 % au cours de l’année 2022.

(Alice Clair)

Parmi ces enjeux majeurs de santé publique et d’isolement social, il y a évidemment la précarité menstruelle. Selon l’enquête, 2,8 millions de femmes en France se trouveraient chaque mois sans protections menstruelles suffisantes durant leurs règles. Elles étaient 1,7 million à le déclarer dans le baromètre de 2021. La situation s’aggrave, comme le constate aussi l’association Règles élémentaires dans son étude parue il y a deux semaines, et cela en dépit de l’annonce faite par la ministre de l’Enseignement supérieur de l’époque, Frédérique Vidal, de mettre gratuitement à disposition des protections jetables pour toutes les étudiantes à la rentrée 2022. Le 6 mars, la Première ministre, Elisabeth Borne, a annoncé le remboursement dès 2024 des protections périodiques réutilisables pour les moins de 25 ans.

Des parents peinent à leur offrir les produits d’hygiène essentiels à leurs enfants

Autres catégories très touchées par la précarité hygiénique : les moins de 25 ans et les très jeunes enfants. Les premiers sont deux fois plus nombreux que la population générale à confier se nettoyer le corps sans gel douche ou savon (16 % contre 8 %) ou à abandonner l’achat de papier toilette (16 % contre 6 %). Cette précarité n’est pas sans conséquence pour le quotidien et leur santé mentale : 38 % d’entre eux disent préférer «éviter ou ignorer quelqu’un en raison d’un sentiment de malaise lié à leur apparence», 39 % affirment ne pas «être bien au travail» et 37 % «ne pas sortir» pour cette même raison.

(Alice Clair)

Concernant les bébés, Dons solidaires constate que des parents peinent à leur offrir les produits d’hygiène essentiels. Déjà en 2021, 17 % confessaient ne pas changer de couches aussi fréquemment qu’ils le voudraient et plus de 14 % racontaient être contraints de mettre des couches «bricolées» ou se passer de protection dans la journée. Ces chiffres sont stables mais la nouveauté se trouve ailleurs : alors que 20 % des parents disaient, dans le deuxième baromètre, renoncer à l’achat de produits de soins (lingettes et crèmes), ils sont 28 % en 2023. «Ces catégories de produits sont une sorte de variable d’ajustement, développe Dominique Besançon. Si de plus en plus de parents font une croix sur des lingettes et des crèmes pour leur enfant, c’est la preuve d’un processus de paupérisation en cours.»