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Près de Lyon, des clowns hospitaliers au chevet des jeunes patients

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Les pommettes tartinées de rose, un peu de noir pour marquer les sourcils, une touche de blanc aux paupières : après avoir enfilé leurs costumes aux couleurs pétantes, Dom et Lolo se griment face au miroir du lavabo. Un vestiaire de l’hôpital Femme-Mère-Enfant de Bron (le HFME, rattaché aux Hospices civils de Lyon) fait office de loge pour déballer leurs effets. Les artistes ne se sont pas donné le mot, mais leurs cravates sont assorties, toutes deux à pois. Lolo ajuste sa casquette, ses bretelles et son badge de «spécialiste en rigologie». Dom enfile un mini sac à dos Superman, puis la bandoulière de sa guitare. Le masque chirurgical est de rigueur mais agrémenté d’un nez rouge. Les deux clowns sont prêts. Dès qu’ils franchissent la porte du vestiaire, leur voix et leurs démarches changent, ils sont dans leurs rôles.

Dom est devenu l’auguste Bertrand, Lolo s’appelle à la scène Jean-Pierre Baudelaire. Ces personnages, cela fait respectivement cinq et seize ans qu’ils les peaufinent entre les murs d’hôpitaux du Rhône, de l’Isère, de l’Ain ou de la Loire. Quand ils ne jouent pas leurs spectacles au sein de leurs compagnies de théâtre, Dom et Lolo comptent parmi les seize artistes professionnels qu’emploie l’association Docteur Clown. Créée en 1995 à Tassin-la-Demi-Lune (métropole de Lyon), elle intervient dans une quinzaine d’établissements pédiatriques pour rendre visite à intervalle régulier à près de 15 000 enfants par an. «A chaque fois, c’est un défi pour que ça marche. Mais quand ça fonctionne, à la fin de la journée, tu sais pourquoi tu es là», raconte Dom.

Bulle de divertissement

Face aux jeunes malades, les clowns improvisent en permanence. Certains patients sont trop fatigués ou trop angoissés pour que leurs pitreries fassent mouche. La plupart du temps, les comédiens – toujours en duo – sont attendus dans les étages. Ils peuvent même être sollicités par les équipes médicales pour accompagner des soins, durant lesquels leur présence, «entre la sophrologie et le jeu clownesque», permet de «détourner l’attention», dit Lolo. Lors des premiers mois de la crise sanitaire, la venue des artistes à l’hôpital a été suspendue. «Ils nous ont vraiment manqué. J’aime beaucoup les avoir, ce qu’ils font n’est pas un soin au sens technique mais ça fait partie du soin, souligne Isabelle Laroche, infirmière puéricultrice et cadre de santé au HFME. Ça apporte de la gaieté, de l’évasion, ça aide les patients à se décentrer, à sortir de la douleur, et ça enlève de l’angoisse parentale.»

Avant d’amuser la galerie, Dom et Lolo font la «relève» avec l’éducatrice du service. Ils glanent le prénom et l’âge des enfants, quelques infos sur leur état de santé ou leur capacité à communiquer, afin d’adapter leur jeu. Ce jour-là, ils commencent leur tournée par la chambre d’une fille de 12 ans, porteuse d’un handicap moteur et cérébral. En ouvrant la porte, sa mère glisse que la petite adore quand les objets tombent. Jean-Pierre Baudelaire fait illico voler sa casquette, puis fait glisser son gros sac sur les pieds. La fillette éclate de rire. Bertrand gratte sa guitare, son complice danse avant de se cogner dans la porte. C’est au tour de la mère de se gondoler.

«Pour les familles, ce sont de petites soupapes, de petites fenêtres», explique Dom. «Notre responsabilité n’est pas de guérir mais d’être dans l’instant. La maladie sort de l’enfance ; nous, on les y ramène», abonde Lolo. Sentir l’état d’esprit de ce public qui ne s’attend pas toujours à cette bulle de divertissement, trouver la bonne répartie et ne pas s’interdire d’essayer de nouveaux «trucs» : cette performance demande d’être à l’écoute, de s’adapter. Et de ne pas se formaliser quand ça ne prend pas. Dans une autre chambre, un ado accueille fraîchement les clowns. «Il est un peu grand, non ?» grimace sa mère. Bertrand et Baudelaire rament cinq minutes mais finissent par arracher au jeune homme un sourire avec quelques tours de magie (presque) réussis.

«Faire quelque chose d’utile»

Face à un garçon d’une dizaine d’années, les clowns enchaînent les blagues : «Qu’est-ce qui est vert et qui pousse dans la mer ? Tu trouves ? Un chou marin ! Et qu’est-ce qui est vert et qui pousse au fond du jardin ?» Bon public, mère et fils tentent des réponses. Dans un lit à barreaux, un bébé de 8 mois est captivé par la mélodie douce que gratouille Bertrand, tandis que Baudelaire souffle des bulles de savon. La mère est ravie d’échanger des vannes avec le duo. «C’est bien ce que vous faites, ça apporte de la gaieté, c’est vraiment déstressant», glisse-t-elle. «Les gens pensent souvent qu’il suffit de mettre un nez rouge et tagada tsoin tsoin ! Clown hospitalier, c’est un métier, il faut être au top dès la première chambre puis tenir pendant trois heures», souligne Laurence Chanove, directrice de Docteur Clown.

L’association tourne avec un budget annuel de 500 000 euros. Hormis une subvention publique minime, 95 % des fonds proviennent de dons de particuliers, du mécénat et des recettes générées par des événements. Comédiens, musiciens, magiciens venant du théâtre de rue ou du cabaret, ils bénéficient du suivi d’un formateur, Emmanuel Sembély, clown lui-même, et d’une psychologue, qui anime chaque mois un débrief collectif. «Il y a eu des moments de doute. L’association m’a bien accompagné», salue Lolo, qui a commencé en 2006 avec l’envie de «faire quelque chose d’utile». «Tu ne sais jamais, poursuit-il. Tu peux vivre des journées très dures dans certains services et sortir d’un autre en ayant mal au bide tellement tu as ri. Et c’est pour ça que tu continues.» Alors, ce qui est vert et qui pousse au fond du jardin ?