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Présidentielle au Brésil : l’agrobusiness, terrain fertile pour Jair Bolsonaro

Les agriculteurs forment l'un des plus puissants lobbys politiques brésiliens, s’appuyant sur l'un des plus importants groupes de députés et de sénateurs. Et ils comptent depuis trois ans le soutien indéfectible de Jair Bolsonaro. Dans les principaux États agricoles du pays, le président brésilien est adulé. Mais le vote agricole lui est-il déjà acquis pour l’élection présidentielle d'octobre ?

Sur le chemin qui mène à la ferme, le 4x4 dessine des nuages de poussière rouge à chaque embardée. La saison est plus aride que prévue dans l'État du Goias, au cœur du pays. Collé à la vitre arrière, on devine à peine l’autocollant de campagne de Jair Bolsonaro, recouvert de terre ocre. "Nous avons dû appeler les pompiers la semaine dernière car plusieurs hectares ont pris feu par là-bas", raconte Danilo Melo en montrant du doigt une étendue qui semble infinie à droite du chemin.

Les 850 hectares de champs de soja et de maïs de ce propriétaire terrien se perdent à l’horizon. À 59 ans, Danilo Melo travaille depuis presque 40 ans cette terre qu’il a héritée de ses parents venus "conquérir la région de Brasilia avant même que la capitale ne naisse". Membre de la puissante CNA (Confédération de l’agriculture et de l’élevage), il défend bec et ongles le président brésilien candidat à sa réélection, Jair Bolsonaro.

"Grâce à lui, on n’a pas de taxe à l’exportation, je peux vendre mon soja sans souci, il a réduit la paperasse, la bureaucratie." Enchaînant les gorgées d’eau à l’ombre rafraîchissante de la cuisine de la maison de service d’un de ses employés, il prédit un scénario catastrophe en cas d’élection de Luiz Inacio Lula da Silva : "Ça sera le début de la fin. Il veut alimenter le Brésil en priorité et limiter les exportations, mais ça va tuer notre business car on devra vendre notre soja moins cher."

Agriculteurs partisans de Jair Bolsonaro venus de l’État du Mato Grosso
Agriculteurs partisans de Jair Bolsonaro venus de l’État du Mato Grosso © Louise Raulais

"L'agro est avec Bolso"

Jair Bolsonaro est l’ami des agriculteurs, qui le lui rendent bien. "Nous devons être 350 agriculteurs dans les deux syndicats auxquels j’appartiens. Il n’y en a qu’un seul qui ne va pas voter pour lui", assure Danilo. Voilà un sondage oublié par l’institut Datafolha, organisme de recensement des intentions de vote très critiqué par le camp Bolsonaro. Lors des commémorations des 200 ans de l’indépendance du Brésil, le 7 septembre à Brasilia et Rio de Janeiro, on pouvait lire sur des milliers de tee-shirts le slogan suivant : "L'agro est avec Bolso".

Adulé pour avoir régularisé un nombre record de titres de propriété – 402 435 – lors de son mandat, et avoir attribué la très polémique démarcation des terres indigènes au ministère de l’Agriculture, le président est un héros dans les États agricoles. Dans le Parana, le Mato Grosso, le Mato Grosso do Sul, le Rondonia, ou encore dans le Para, au cœur de la très convoitée forêt amazonienne, il est encensé par les petits comme par les grands exploitants, son effigie placardée à chaque entrée de village. Une popularité certes éloignée des grandes villes et de leur densité électorale, mais qui, cumulée, pèsera le jour de l’élection.

>> À voir : "Au Brésil, la 'mafia agricole' à l’assaut de la forêt de Rondonia"

À Brasilia, la capitale, et à Sao Paulo, le poumon économique du pays, c’est la CNA qui donne le ton. Il y a à peine un mois, lors d’un événement de la confédération réunissant Jair Bolsonaro et la ministre de l’Agriculture, Tereza Cristina, le président du lobby a même osé dire que le Brésil "n’avait pas de place pour un repris de justice et un ex-prisonnier" – faisant référence à l'ancien président Luiz Inacio Lula da Silva, emprisonné pendant 579 jours pour des condamnations de corruption, annulées ensuite par la Cour suprême brésilienne.

"Fascistes et droitistes"

Plus que de la corruption, Danilo a surtout peur des invasions de terres du MST, le Mouvement des sans-terre soutenu par Lula. "Moi, cela ne m’est jamais arrivé mais mon voisin a été agressé", explique-t-il, avant d’ajouter : "Heureusement que Jair Bolsonaro défend la possession d’arme à feu. Il en faut pour se protéger dans une ferme aussi grande que la mienne." Le candidat du Parti des travailleurs (PT) n’a rien arrangé en traitant, fin août, une partie du secteur de "fascistes et droitistes" lors d’un entretien télévisé. Malgré cette réputation, Lula, défenseur historique des petits agriculteurs auxquels il vient tout juste de promettre des crédits spéciaux, avance à pas de loup vers les grands fermiers…

La plus récente victoire de Jair Bolsonaro ? Le soutien inattendu de Neri Geller, vice-président du groupe parlementaire agricole – qui réunit les députés et sénateurs des États ruraux – et ancien ministre de Dilma Rousseff. Ce député fédéral du centre du pays est candidat au Sénat pour l’État du Mato Grosso, l'un des plus importants exportateurs de viande et de soja du pays. Homme politique et propriétaire terrien, il se félicite du choix modéré de Geraldo Alckmin, membre du Parti socialiste brésilien (PSB), comme vice-président de Luiz Inacio Lula da Silva – en cas de victoire – et de l’ouverture au dialogue du Parti des travailleurs. "Le gouvernement actuel s’embourbe dans des luttes idéologiques, notamment avec la Chine, qui est notre partenaire commercial le plus important, alors que Lula sait être un grand leader qui rassure le marché", confie Neri Geller.

Pour certains membres du groupe parlementaire agricole, l’image internationale très négative de Jair Bolsonaro donnerait un certain avantage à Lula, très apprécié en Europe, si un accord de l'UE avec le Mercosur venait à voir le jour. Autre argument en faveur de Lula : pour faire des affaires, il faut un climat serein. Certains grands noms du secteur, comme Blairo Maggi, surnommé le "roi du soja", n’apprécient guère le ton belliqueux et les remarques antidémocratiques de l’actuel locataire du palais du Planalto à Brasilia.

Danilo Melo, lui, en est pourtant convaincu : "Jamais l’agrobusiness n’acceptera Lula." Et les sondages semblent lui donner raison : dans l’immense ceinture agricole qui va du centre-ouest jusqu’au sud du pays, Jair Bolsonaro arrive largement en tête en vue du premier tour de la présidentielle.