France
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Presque personne ne veut des masques de Nersac

Une production au ralenti

Au moment d’inaugurer son unité, en avril 2021, Antoine Pontaillier se croyait sur un créneau porteur. La France venait de traverser une pénurie de masques à cause des ruptures de stock des usines chinoises. « Emmanuel Macron a donné trois lignes directrices : indépendance industrielle, réindustrialisation et relocalisation, insistait-il à l’époque. On répond à tous ces critères. » La ligne de production à 10 M€ devait inonder la région de 150 millions de masques par an. Vingt mois plus tard, seules quelques millions d’unités ont été expédiées. Les sept salariés ont été dispatchés dans d’autres services du groupe. « Ce n’est pas rentable, la chaîne tourne à moins de 15 % de sa capacité. On vend à nos clients historiques de l’agroalimentaire. » À l’exception des hôpitaux charentais, les services publics, qui constituaient le gros de la cible, ne se sont jamais intéressés à Next Safe.

C’est que le vœu de s’affranchir des importations se heurte à la réalité économique. Les marchés publics privilégient toujours le critère ‘prix’. La métropole de Toulouse cherche en ce moment à garnir ses stocks de masques. Dans son appel d’offres à 125 000 €, le prix pèsera pour 70 % de la note attribuée aux candidats. Aucune mention de l’impact écologique, de la proximité… Forcément, les produits asiatiques, moins chers, partent avec une longueur d’avance. « En gros on vous dit qu’il vaut mieux acheter des masques merdiques, s’emporte Antoine Pontaillier. Je ne veux pas fâcher Xi Jinping mais j’ai l’impression que nos masques sont fabriqués dans des conditions sociales et environnementales plus convenables. »

On vous dit qu’il vaut mieux acheter des masques merdiques.

Les commandes publiques échappent aux industriels français les unes après les autres. Le secteur en paye déjà les conséquences. Tio-NT, à Saint-Saviol (86) : liquidé début novembre. La Coop des masques, en Bretagne : liquidée mi-octobre. Diwall, dans le Finistère, a suspendu sa production mi-septembre. « On nous a bernés, s’insurge Marie-Paul Lacoste, l’une des associées de Tio-NT. Deux opérateurs machines ont été licenciés. » Next Safe aurait pu connaître le même sort « si l’activité n’était pas adossée à un groupe solide”, souligne Antoine Pontaillier avant de dégoupiller : “Le chef de l’État a suscité la motivation d’acteurs industriels. Je l’ai fait par patriotisme économique. Il faut réindustrialiser la France mais on est infoutu d’utiliser l’argent public pour irriguer des emplois locaux. »

Les hôpitaux charentais jouent le jeu

Le 13 octobre, il s’en est ému devant la délégation sénatoriale aux entreprises : « Je m’interroge sur notre capacité à tirer les leçons du passé. » Les hôpitaux charentais, eux, ne veulent pas revivre l’angoisse de la pénurie. « Il y a une vraie différence de coût entre le masque de Chine à 4 centimes et celui de Nersac à 6 centimes, reconnaît Frédéric Perrogon, responsable logistique aux hôpitaux de GrandCognac. Mais en cas de crise, on sait qu’ils sont là. » Lui a commandé 180 000 masques, une enveloppe de 16 000 €, à Next Safe depuis le mois de juin. Nicolas Prentout, directeur des affaires logistiques de l’hôpital d’Angoulême, adopte la même philosophie. « C’est plus cher mais c’est le coût d’une assurance. Pour avoir des stocks de masques en cas de rupture d’approvisionnement avec la Chine. » Il a déjà acheté 690 000 masques à la société nersacaise.

Mais pourquoi ne pas imposer aux hôpitaux d’acheter tricolore ? « C’est illégal aux termes du droit français et européen », expliquait le 13 octobre au Sénat Thomas Courbe, directeur général des entreprises au ministère de l’Économie. Désormais, les espoirs d’Antoine Pontaillier reposent sur une circulaire récemment diffusée auprès des acheteurs publics « leur demandant d’organiser les cahiers des charges pour qu’on maximise les chances que des producteurs comme [Next Safe] puissent y répondre », déclarait le haut fonctionnaire. En clair, davantage de clauses environnementales et sociales pour contrebalancer les prix plus élevés des Français.