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Prise d’otages : les mécanismes du syndrome de Stockholm

Doron Levy publie « Crises d’otages » aux éditions du Cerf.

© AFP

Bonnes feuilles

Doron Levy publie « Crises d’otages » aux éditions du Cerf. La figure de l’otage est devenue aujourd'hui un objet de convoitise que se disputent criminels, forcenés ou terroristes. Extrait 2/2.

Expert en sûreté et protection des entreprises mais aussi chargé de cours dans plusieurs facultés de France et de l'étranger, Doron Levy est l'auteur de Braquages, actualités, évolutions, ripostes et a participé à l'ouvrage de référence Sûreté, mode d'emploi.

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Un événement traumatisant comme une prise d’otages laisse des traces indélébiles et modifie durablement les habitudes de vie. Les jours qui suivent la libération sont des moments hors du temps où alternent les sentiments opposés.

Au début, l’ex-otage semble faire face, et puis, sans cause apparente, les troubles vont apparaître : cauchemars, images violentes, la victime est emprisonnée dans des souvenirs qui lui font sans cesse revivre le traumatisme. Un accompagnement psychologique est souvent indispensable pour apprendre à revivre normalement en acceptant cette épreuve douloureuse.

Tout otage, à un moment ou un autre, s’est senti « coupable » d’être là où il ne fallait pas, quand il ne fallait pas  : coupable d’insouciance, ou simplement d’égoïsme et d’imprévoyance. Aussi, pour se rassurer et surmonter cette épreuve, l’otage tente de remonter le temps pour visualiser la succession des hasards qui l’ont conduit dans cette situation sans issue. Le sentiment de dépendance totale et de soumission forcée peut progressivement engendrer une certaine « complicité inconsciente », qui est d’abord une  compréhension mutuelle, avant de devenir parfois  une pathologie caractérisée par une surprenante sympathie envers les ravisseurs.

En effet, après leur libération, certains captifs éprouvent des émotions paradoxales, comme la pitié ou l’indulgence envers leurs ravisseurs. Certains vont même jusqu’à épouser la cause des preneurs d’otages, dont ils peuvent défendre l’idéologie : c’est ce qu’on appelle le « syndrome de Stockholm », un lien d’empathie qui s’installe entre une victime et son ravisseur. On ne sait pas exactement pourquoi le syndrome de Stockholm se produit. Pour certains experts, il s’agit d’une stratégie de protection et d’une méthode d’adaptation pour les victimes de violence psychologique et physique. Le phénomène, encore mal connu, peut se manifester dans une grande variété de délits comme les crimes sexuels, les attaques à main armée, les violences envers les femmes, et bien sûr les prises d’otages. Les spécialistes s’accordent à dire que ce syndrome se développe de manière inconsciente et involontaire.

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Lors d’une prise d’otages, le choc psychologique subi par les victimes peut être extrêmement violent  : en quelques secondes, leur vie bascule et se trouve directe‑ ment menacée. Les victimes peuvent être dans un premier temps en état de sidération empêchant toute prise de décision. Après le choc des premiers instants, une réorganisation psychologique interne s’amorce. Les otages doivent s’adapter à la situation et trouver de nouveaux repères pour survivre, et pour limiter le stress et la peur de la détention. Puisqu’elle n’a plus autonomie et qu’elle dépend entièrement de son geôlier pour satisfaire ses besoins primaires, elle peut ressentir envers lui une forme de gratitude, voire s’identifier à son agresseur en adoptant peu à peu sa pensée et son code moral.

Le syndrome est intimement lié à la longueur de la détention et à l’intensité du traumatisme ressenti  : plus la situation dure, plus cette nouvelle sensibilité s’implante profondément dans l’individu, à tel point que certains otages se rangent parfois du côté de l’agresseur en s’opposant aux forces de l’ordre, comme lors de la prise en otage de 52  personnes dans un train par un groupe d’autonomistes sud-moluquois, le 2 décembre 1975, aux Pays-Bas : certains observateurs laissent entendre que les deux otages tués lors de l’assaut final auraient tenté de s’interposer entre la police et les terroristes.

Les médecins l’affirment, 3 à 4  jours de captivité suffisent pour qu’il se manifeste. Certaines situations semblent constituer des facteurs déclencheurs, comme les menaces de mort avec simulacres d’exécution, l’impossibilité de s’évader ou l’absence totale de contact avec l’extérieur. Un agresseur perçu comme bienveillant par sa victime peut aussi faciliter ce processus.

Le syndrome de Stockholm est rare, et cela peut expliquer pourquoi les recherches qui l’entourent le sont également. Un rapport du FBI de 1999 révélait que 92 % des otages ne montrent jamais de signes du syndrome de Stockholm. Avec si peu de cas, il est également difficile de savoir comment ce syndrome affecte la santé mentale d’une personne des années après.

Des études réalisées aux États-Unis et au Canada révèlent toutefois que ce trouble est présent dans la population générale de l’ordre de 6 à 9 %. Son nom lui vient d’une prise d’otages qui se déroula à Stockholm le 23 août 1973. Deux braqueurs avaient séquestré quatre employés d’une banque pendant plusieurs jours. Les otages firent preuve d’une étonnante sympathie envers leurs geôliers, s’abstenant de témoigner contre eux lors du procès et allant même visiter en prison leurs ravisseurs.

Une autre affaire fit définitivement adopter cette expression, celle de la fille d’un milliardaire américain, Patricia Hearst. À 19 ans, elle fut enlevée dans son appartement de Berkeley, en Californie, le 4  février 1974. Ses ravisseurs, membres d’un groupe révolutionnaire d’extrême gauche, l’Armée de libération symbionaise (ALS), exigèrent de son père la distribution de nourriture à l’ensemble des pauvres de Californie. Patty Hearst fut battue, menacée de mort, droguée et violée par ses kidnappeurs de l’ALS, dont elle finit pourtant par rejoindre les rangs. Elle se rallia à ses ravisseurs, se retourna contre sa famille et se transforma même en braqueuse de banques ! Capturée en 1975, elle fut condamnée à sept ans de prison, et libérée au bout de deux ans, avant d’être définitivement graciée par le président Clinton en 2001.

Parmi les autres exemples de ce syndrome, on peut citer le calvaire de huit mois subi par l’ancien ambassadeur de Grande-Bretagne en Uruguay, Geoffrey Jackson. Il fut détenu par les Tupamaros à Montevideo en 1971, et finit par partager leurs idées et revendications. La prise en otage de 34 magistrats du tribunal de Nantes par G. Courtois et deux de ses complices, le 19 décembre 1985, et qui dura 36 heures, constitue également un bon exemple : une des victimes divorça pour épouser l’un des malfaiteurs. Du jamais vu.

Le « syndrome de Lima » est une variante inversée rarissime du syndrome de Stockholm  : cette fois-ci, ce sont les ravisseurs qui éprouvent de la compassion envers leurs prisonniers. La formule trouve son origine dans la prise d’otages perpétrée à la fin de l’année 1996 par le mouvement révolutionnaire Tupac Amaru à l’ambassade du Japon dans la capitale péruvienne : quelque 600 personnes furent prises en otage par 14  terroristes. Après 126  jours de captivité, les otages apprirent à jouer de la guitare, et animaient des veillées… Une vraie colonie de vacances.

Face à un même événement, le risque de développer de tels troubles dépend de facteurs préexistants propres à la victime et du contexte dans lequel l’événement et ses suites se déroulent. La prise en charge passe essentiellement par la psychothérapie. Une meilleure compréhension des mécanismes qui favorisent la résurgence des souvenirs douloureux permettra à terme de soulager, voire de guérir ces troubles. Il y a dans ce domaine encore beaucoup de choses à découvrir.

Extrait du livre de Doron Levy, « Crises d’otages », publié aux éditions du Cerf

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