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Procès des attentats de Bruxelles : « Ce n’était pas notre 13-Novembre »… Six ans après, Bruxelles a fait son deuil

De notre envoyée spéciale à Molenbeek (Belgique),

Il est 9h30 quand la rame s'arrête sur le quai de la station Maelbeek, sur les lignes 1 et 5 du métro de Bruxelles. Cartables en main, une trentaine de travailleurs se pressent pour remonter une à une les marches de l'escalier qui mènent au hall central de la gare. Une fois les tourniquets passés, les voyageurs se dirigent vers l'une des quatre sorties. Et comme chaque jour, ils passent devant l’immense panneau installé en hommage aux victimes de l’attentat du 22 mars 2016. Mais aucun n'y prête attention. Pourtant, difficile d'ignorer cette fresque de deux mètres de longueur.

« L’enfer a commencé pour nous ici. Vole ma Sabrina, ma nièce, ma filleule », « ce matin-là, dans le métro, j’ai vécu l’horreur, l’innommable », « merci pour ces dix ans d’amour ma chérie, repose en paix »... Des centaines de messages déchirants de proches de victimes, de rescapés et d’anonymes ont été inscrits, dispersés autour d'un coeur dessiné avec les symboles de la ville. Six ans après les trois opérations suicides qui ont ôté la vie à 32 personnes - dont 16 dans le métro –, le mémorial s'est presque fondu dans le décor. « C’est comme si Bruxelles était passée à autre chose, explique Marc, qui gère le restaurant Le Galia, situé à quelques mètres de la station. C’était difficile les premiers jours, mais la vie a repris son cours ».

Un retour forcé à la vie normale

A la sortie du métro, rue de la Loi, il faut pencher la tête en arrière pour apercevoir le ciel, tant les immeubles sont hauts. Sur plusieurs centaines de mètres, des dizaines de buldings aux vitres miroirs se succèdent. Commission européenne, Conseil européen, Conseil de l'Union européenne... Difficile d'ignorer la thématique du quartier. Après dix minutes de marche, c’est entre le rond-point Robert Schuman et le parc du Cinquantenaire que l'on tombe sur le deuxième monument en hommage aux victimes. Mais, là encore, ce mémorial de vingt mètres de long, pour deux mètres de haut, intitulé « Toujours debout », n’attire pas les foules. 

A quelques mètres, écouteurs greffés sur les oreilles, Roseline promène Murphy, son chien de 5 ans. Au bout de la laisse, le petit Spitz slalome entre les plaques d'acier inoxydable qui composent l'édifice. Pour cette habitante du quartier, qui fait sa balade matinale au même endroit depuis toujours, le monument est presque devenu invisible. « Je balade Murphy tous les jours ici, mais j’avoue que, même en voyant le mémorial, je n’y pense pas forcément. C’est sorti de nos têtes, on n’en parle plus », reconnaît la quadragénaire. 

Le mémorial en hommage aux victimes des attentats du 16 mars 2016 à Bruxelles, situé Petite rue de la Loi, dans le quartier des institutions européenes.
Le mémorial en hommage aux victimes des attentats du 16 mars 2016 à Bruxelles, situé Petite rue de la Loi, dans le quartier des institutions européenes. - Manon Aublanc

Si Bruxelles ne semble ne pas porter les stigmates de ces attentats, c’est aussi en raison de la localisation des attaques, explique Louis Colart, journaliste pour le quotidien belge Le Soir. « Les endroits sont assez différents des attaques de Paris. Ce ne sont pas les terrasses ou les lieux de fêtes qui étaient visés. Nous, c’était dans le métro et l’aéroport. Je ne pense pas que ce soit aussi ancré qu’en France », analyse ce spécialiste des questions de police, de justice et de renseignement belge.

La station Maelbeek est restée fermée plusieurs semaines après l’attentat, le temps de l’enquête et des réparations, mais les Bruxellois, eux, ont dû rapidement reprendre le métro et le cours de leur vie. « Il a fallu retourner dans les transports dès le lendemain. Quelque part, ce retour à la vie quotidienne a agi comme un pansement », poursuit Marc, accoudé à son comptoir. Six ans après le drame, Louis Colart ne ressent plus aucun stress dans les transports. « A Bruxelles, il n’y a pas cette angoisse qu’on peut peut-être avoir, l'espace d'un instant, en prenant un verre en terrasse à Paris ou en allant voir un concert. Ces attaques, ce n’était pas notre 13-Novembre à nous », explique-t-il.

Une attente beaucoup moins forte qu’à Paris

Malgré son envie d’avancer - sans jamais oublier-, Bruxelles va tout de même devoir se replonger six ans en arrière, dans l’horreur de cette matinée du 22 mars 2016. Pendant plusieurs mois, la Cour d’assises de Bruxelles va juger dix personnes, soupçonnées d’être impliquées à des degrés divers dans les attaques de l’aéroport de Bruxelles-Zaventem et du métro - dont Salah Abdeslam et Mohamed Abrini. Car le procès qui s’ouvre ce 30 novembre est hors norme : près d’un millier de personnes se sont constituées parties civiles et plus de 350 témoins sont attendus à la barre.

Journaliste web à l’époque des faits, Louis Colart va suivre avec attention les centaines de journées d’audience avec ses confrères. Mais il est conscient que la population, elle, ne sera peut-être pas aussi assidue. « Sous certains aspects, c’est le plus gros procès de l’Histoire belge, estime-t-il. Mais je ne pense pas que les gens qui n’ont pas été victimes directement espèrent quelque chose. L’attente est beaucoup moins forte qu’à Paris ». 

Car le procès de l’attentat du 13 novembre 2015, qui s’est terminé fin juin dans la capitale française, a déjà permis de faire - en partie - la lumière sur cette attaque, perpétrée par la même cellule djihadiste que celle de Bruxelles. « L’enquête franco-belge a permis de comprendre comment s’est montée cette cellule, qui était les acteurs, quel était leur but. Il n’y a plus beaucoup de doutes sur le fond », ajoute-t-il.

Le statut des victimes en question 

C'est davantage la prise de parole des victimes qui sera le temps fort de ce procès. « Il reste quelques points à éclaircir, mais ils n’occuperont pas le devant de la scène. Ce sont les témoignages des victimes qu’attend la population. Elle a suivi le procès parisien et elle a vu que c’était l’un des moments forts », poursuit Louis Colart.

Plus encore, c’est la reconnaissance du statut des victimes qui préoccupent la population bruxelloise. Car à la différence de la France, qui a créé le sien en 1986, il n’existe aucun fonds d’indemnisation public pour les victimes de terrorisme en Belgique. Ce sont les compagnies d’assurances qui s’occupent de les dédommager, entraînant parfois un véritable casse-tête administratif. A l’heure de l’ouverture du procès, certains n’ont d’ailleurs toujours pas reçu le moindre euro.

« Il faut absolument régler cette question, c’est honteux. Mais pour le reste de la population, on a avancé, on ne veut pas de victimisme. L’important, c’est que ça ne puisse plus jamais se reproduire », conclut Roseline. Elle fixe des yeux, l'espace d'un instant, la gerbe de fleurs déposée au pied du mémorial. Puis elle détourne le regard et s'en va, Murphy dans son sillage. La vie a repris son cours.