France
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Quand l’État empêche l’autonomie financière des femmes

Amal a quitté son pays et son travail pour suivre son mari. Arrivée en France, elle s’est dévouée à ses quatre enfants pendant dix ans. Monsieur l’a battue puis quittée. Aujourd’hui, Amal vit seule avec ses petits dans un 24 m2. Mais les impôts lui réclament en toute légalité 40 000 euros de dettes contractées par son mari, qui a disparu de la circulation. Le mari de Dominique, lui, est parti du jour au lendemain, la laissant avec leurs deux enfants, dont un en situation de handicap. Malgré un salaire confortable d’ingénieure, elle a dû ouvrir un dossier de surendettement pour rembourser les factures de celui-ci. Elle n’est jamais devenue propriétaire de son logement car elle ne pouvait plus payer les traites seule. Elle a dû vendre mais rembourse encore les dettes d’un logement qu’elle ne possède même pas.

Solidarité conjugale sur les dettes, cadeaux fiscaux aux hommes gagnant un haut salaire, aides sociales subordonnées au revenu du conjoint… La seconde note de l’Observatoire de l’émancipation économique des femmes alerte sur ces inégalités femme-homme que creuse l’État. Créé par la Fondation des femmes en partenariat avec le Crédit municipal de Paris, connu pour ses prêts sur gage, l’Observatoire vise à produire des données utiles pour appréhender les difficultés économiques genrées et proposer des portes de sortie. « Nous avons pensé cette note à partir de l’actualité, détaille l’historienne spécialiste des droits des femmes, Lucile Peytavin. L’allocation adulte handicapé vient d’être déconjugalisée. Cela sera effectif au 1er  octobre 2023. Bien. Mais les autres aides sociales dépendent encore des revenus du conjoint, comme le RSA (revenu de solidarité active), les APL (logement), ou la prime d’activité. » Les premières victimes de ce système de solidarité conjugale sont des femmes. En effet, elles gagnent globalement moins que les hommes dans 75 % des cas, et touchent, à l’intérieur du couple, un salaire inférieur de 42 % en moyenne, en raison d’un partage très inégal de la parentalité (80 % des temps partiels sont féminins).

« Une vision du couple des années 1960 »

« D’un côté, l’aide sociale est conditionnée au revenu perçu par le mari, explique l’autrice du Prix à payer, ce que le couple hétéro coûte aux femmes, Lucile Quillet. De l’autre, la conjugalisation de l’impôt avantage le conjoint le plus aisé. » En effet, depuis la mise en place du prélèvement à la source, un foyer est taxé sur un revenu commun, avec un taux d’imposition identique par défaut. Mathématiquement, cela privilégie le haut salaire au détriment du bas revenu. Qui est souvent celui de madame. « Les femmes paient donc plus d’impôts dans ce cas que si elles étaient célibataires », remarque Lucile Peytavin. Et paradoxalement, certaines ne pourront pas obtenir d’aide sociale car leur compagnon gagne trop d’argent. Une double peine, à laquelle peut s’ajouter la dépendance que cela induit au quotidien sur d’autres plans (sentiment de culpabilité, de redevabilité, etc.).

« La vision que l’État a du couple est celle des années 1960, dénonce la journaliste Lucile Quillet. Tout le monde se mariait, sous la communauté de biens en général. Aujourd’hui, les nouvelles générations ne se marient plus, ou le font sous la séparation de biens, mais les femmes adaptent leurs carrières et rognent leurs cotisations chômage et retraite. Elles rognent leur indépendance économique au profit du couple et de la famille. » Alors que plusieurs pays ont fait évoluer leurs systèmes, le modèle français reste figé depuis l’après-guerre, s’inquiète l’Observatoire. Sa note propose d’individualiser par défaut l’impôt sur le revenu, de déconjugaliser toutes les prestations sociales et de lancer un débat sur la modernisation des règles administratives et fiscales pour en supprimer les inégalités genrées.