France
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Que sait-on des accusations d’affinités «antisémites» ou «islamistes» visant le député LFI Carlos Martens Bilongo ?

Depuis qu’il a fait son apparition sous les projecteurs de la scène politique, après que son intervention à l’Assemblée nationale sur les migrants a été marquée d’un «qu’il retourne en Afrique» du député RN Grégoire de Fournas, Carlos Martens Bilongo est la cible d’attaques en tous genres. Pour les uns, l’élu du Val-d’Oise fricoterait avec des organisations communautaristes islamistes. Pour les autres, l’insoumis serait soutenu par des promoteurs du terrorisme. Ce qui, à l’arrivée, ferait de lui un «antisémite» – le terme a été brandi par Bruno Attal, ancien policier et candidat Reconquête aux législatives dans le Rhône.

En réaction, Carlos Martens Bilongo a déposé, le 24 novembre, un total de quatre plaintes, portées à la connaissance de CheckNews. L’une pour «injures publiques par voie électronique», à l’encontre de Bruno Attal ; les autres pour «diffamation publique par voie électronique envers un membre élu au Parlement» contre Europe 1, le site de Jean-Marc Morandini et Valeurs actuelles. Dans un communiqué diffusé le lendemain sur les réseaux sociaux, le député La France insoumise dit avoir «été la cible de fausses informations délibérément distillées et diffusées dans la presse d’extrême droite aux seules fins de salir son image».

La première plainte, pour «injures publiques», vise un tweet publié par Bruno Attal le 6 novembre. «Je remarque que LFI est le seul parti où il n’y a pas de juifs, par contre les antisémites pullulent», y écrivait le secrétaire général adjoint du syndicat France Police, citant les noms de Danièle Obono, Jean-Luc Mélenchon, Danielle Simonnet et Carlos Martens Bilongo. Cette publication s’accompagne d’une vidéo dans laquelle ce dernier souhaite un joyeux anniversaire à l’ancien maire de Sarcelles, François Pupponi, en compagnie du militant associatif Nabil Koskossi. Dans un post Twitter mis en ligne le 5 novembre, celui qui est également ancien député (siège perdu au profit de Bilongo aux dernières législatives) avait partagé la vidéo en question, et présenté Nabil Koskossi comme «l’organisateur de la manifestation qui a dégénéré en émeute antisémite à Sarcelles en juillet 2014».

«Fausses informations»

«Sur le fait que Nabil Koskossi, ancien employé de la ville de Sarcelles, et Carlos Martens Bilongo se connaissent, il n’y a aucune difficulté», souligne auprès de CheckNews l’avocat mandaté par le député dans cette affaire, maître Arié Alimi. Ce que conseil et client contestent, c’est la déclaration selon laquelle «Koskossi aurait organisé une manifestation antisémite, ce qu’affirme François Pupponi, et la presse en relayant Pupponi». Or, poursuit Arié Alimi, «Nabil Koskossi avait organisé une manifestation pour la paix en Palestine, finalement interdite par le préfet la veille, et il avait été sur place avec les services de la préfecture pour demander aux gens qui venaient quand même de se disperser».

Une version corroborée par le récit de Mediapart. Un long article publié quelques jours après les événements rapporte que, malgré l’interdiction, un rassemblement de «quelques centaines d’habitants» a bien eu lieu. Dès le début, «un porte-parole du collectif des habitants, Nabil Koskossi, intervient pour rappeler l’interdiction de la manifestation : “La manifestation a été annulée, comme vous le savez tous […], on est ici, à la base, par rapport à une initiative de paix, de soutien au peuple palestinien mais aussi à Israël, on veut qu’il y ait la paix dans les deux Etats. A Sarcelles, on a toujours bien vécu dans la mixité, on n’a jamais eu aucun problème avec nos frères juifs.”» Selon les organisateurs, le basculement s’est produit quand les manifestants ont appris «qu’une manifestation pro-israélienne était autorisée devant la synagogue». Une partie d’entre eux a mis «le cap vers la grande synagogue en faisant un détour par le marché», taguant au passage des slogans antisémites et incendiant des magasins appartenant à des juifs.

Le maire de l’époque, François Pupponi, a directement mis en cause Nabil Koskossi, mais la plainte qu’il a déposée contre le militant a été classée sans suite. L’édile ne s’est pas arrêté là, puisqu’il a ensuite fait distribuer des «lettres d’information» dans les boîtes aux lettres de Sarcelles, sous-entendant que Koskossi avait organisé une manifestation à caractère antisémite, puis conseillé sur Facebook à une journaliste «de ne pas donner la parole à de tels individus qui bafouent les lois de la République et ses principes». Ce dernier rebondissement a finalement motivé Nabil Koskossi à porter plainte pour diffamation. Dans deux décisions consultées par CheckNews, François Pupponi a été condamné sur ce fondement à lui verser des dommages et intérêts – en première instance en octobre 2017, puis par la cour d’appel de Paris en juin 2018 –, «le bénéfice de la bonne foi» n’ayant pas été accordé au prévenu. «Pupponi n’a cessé de diffuser des fausses informations pour essayer de nuire à M. Koskossi, et maintenant il essaye de le faire de la même manière avec M. Bilongo», estime Arié Alimi.

«La République, chez elle partout»

Sur le contenu de la vidéo tournée par le député du Val-d’Oise et le cofondateur du collectif Made in Sarcelles, le premier répond à CheckNews que «c‘était bon enfant. On souhaite juste un joyeux anniversaire [à François Pupponi]». Trois semaines après avoir posté la vidéo sur les réseaux sociaux, Carlos Martens Bilongo a décidé de la retirer, explique-t-il. Mais, entre-temps, la séquence avait été relayée sur d’autres supports, comme le compte Facebook Sarcelles Leaks, et est donc restée en ligne.

Les trois autres plaintes déposées par Bilongo l’ont été sur le fondement de la «diffamation publique», et portent sur des contenus produits par différents médias. Le 6 novembre, le journaliste politique d’Europe 1 Alexis Delafontaine affirmait à l’antenne de la matinale Europe Matin que «Carlos Martens Bilongo a reçu le soutien en juin de la mosquée de Villiers-le-Bel, dans laquelle officiait l’imam Luqman Haider, condamné par le tribunal de Pontoise à dix-huit mois de prison et à une interdiction définitive du territoire français pour apologie du terrorisme». Une affirmation réitérée dans un article publié le lendemain, et depuis supprimé (mais dont une version archivée est disponible). Le même jour, le site web jeanmarcmorandini.com reprenait mots pour mots cette phrase dans un contenu titré «Révélations sur Carlos Martens Bilongo». Enfin, dans une enquête datant du 20 novembre, le journaliste de Valeurs actuelles Antoine You se référait aux éléments d’Europe 1 pour écrire qu’«au cours de son mandat à l’Assemblée, Bilongo s’est rendu, le 10 juillet, à l’occasion de la fête de l’Aïd, à la mosquée de Villiers-le-Bel, qui l’a soutenu au cours de la campagne».

Ces allégations s’appuient notamment sur une publication Facebook du 10 juillet issue de la page Mosquée de Villiers-le-Bel AFMV (acronyme de l’Association des Français musulmans de Villiers-le-Bel). «A l’occasion de la fête de l’Aïd, notre mosquée a accueilli avec enthousiasme et beaucoup de joie notre nouveau député, Carlos Martens Bilongo (LFI). Nous lui souhaitons de la réussite tant son élection a suscité beaucoup d’attentes et une grande espérance», peut-on y lire. Alexis Delafontaine a fait une confusion avec une autre mosquée de la commune, la mosquée Quba, dont l’ancien imam Luqman Haider a effectivement été, le 26 novembre 2020, «condamné à dix-huit mois d’emprisonnement pour apologie du terrorisme» et s’est vu infliger «une interdiction définitive du territoire français», comme l’avait rapporté le Parisien. «M. Bilongo ne s’est jamais rendu» dans la mosquée Quba, indique à CheckNews son avocat, et le journaliste d’Europe 1 s’est excusé auprès du député pour cette mauvaise information.

«Je me suis rendu à la mosquée AFMV en juillet lors de la fête de l’Aïd, comme tous les maires de ma circonscription. Je portais mon écharpe tricolore, pour bien montrer que la République était chez elle partout», s’est aussi défendu l’élu insoumis, interviewé par le média Actu.

«Marathon en circonscription»

Europe 1, le site de Jean-Marc Morandini et Valeurs actuelles se sont également fait le relais d’une autre accusation visant Carlos Martens Bilongo : celle de fréquenter la branche locale de la Confédération islamique Millî Görüs (CIMG). «D’anciennes photos du député insoumis soutenant l’association Millî Görüs ont resurgi. Cette association, pilotée par le président turc, qui vise à implanter l’islam politique en Europe a été qualifiée de “contraire aux valeurs de la République” par Gabriel Attal», était-il expliqué dans l’article supprimé par Europe 1. L’enquête de Valeurs actuelles mentionne, elle, une photo révélant «la présence au local de campagne, au soir de la victoire au second tour de l’élection législative, de Cetin Ali Cumur, le responsable local du Millî Görüs», ainsi qu’«un discours devant 15 000 musulmans réunis pour une prière en plein air à Sarcelles» prononcé par le député. S’inspirant ainsi d’un tweet publié quelques jours plus tôt par Damien Rieu, militant identitaire et candidat (battu) de Reconquête aux législatives dans les Alpes-Maritimes.

«La CIMG est l’association culturelle et cultuelle turque la plus importante en France» et, dans le cadre de son mandat, Bilongo entretient «des liens avec toutes les communautés cultuelles, comme c’est le cas de tous les élus en France», argue Arié Alimi. Ainsi, parmi les photos censées prouver les accointances du député avec cette organisation musulmane, figure une série de clichés pris lors d’un «marché de bienfaisance et rencontre avec les parents d’élèves» organisé le 22 octobre. Dans la foulée, la CIMG Sarcelles avait publié un message sur Facebook dans lequel l’association remerciait «monsieur Patrick Haddad, maire de Sarcelles, et le député Carlos Martens Bilongo pour leurs visites et leurs discours». Sur Facebook toujours, la page député Carlos Martens Bilongo a posté le 23 octobre quelques images d’un «marathon en circonscription», marqué par un «tour du monde entre les différents événements» qui incluait celui de la CIMG. C’est de cette publication dont sont issues deux des photos récemment devenues virales. Mais d’autres montrent le député avec des organisations cultuelles diverses – il a par exemple pris part, début juillet, à la kermesse organisée par la paroisse chaldéenne Saint-Thomas Apôtre, une branche du christianisme oriental.

Par ailleurs, le post Twitter de Damien Rieu comprend une capture d’écran d’un article du Parisien, dont la photo d’illustration montrerait que Cetin Ali Cumur, président de la CIMG Sarcelles, présent au milieu des militants pour célébrer la victoire du candidat insoumis, a œuvré à faire élire Carlos Martens Bilongo en juin. Cette présence, d’après Arié Alimi, «s’explique simplement par le fait que tous les habitants de la ville étaient conviés à fêter cette victoire électorale, sans invitation spécifique» adressée à Cetin Ali Cumur.

La CIMG, pour autant, n’est pas n’importe quelle association. Elle est montrée du doigt depuis plusieurs années pour sa proximité avec l’Etat turc et le régime du président Recep Tayyip Erdogan, dont elle partage les positions culturelles et idéologiques. Ainsi, son antenne sarcelloise s’était réjouie sur Facebook, le 15 juillet 2020, de l’échec du coup d’Etat contre Erdogan. Interrogé sur les orientations de la CIMG, Bilongo rétorque : «Est-ce qu’ils sont condamnés, interdits ? Est-ce que l’association est dissoute ? C’est ça la question. S’il y a une dissolution, je n’irai plus voir cette association. Mais pour l’instant, elle est toujours active. Dès lors qu’elle travaille sur ma circonscription, dès lors que le maire est présent, je me dois d’être présent en tant que député.»

Alors que le sujet montait sur les réseaux sociaux, la CIMG Sarcelles s’est elle aussi sentie obligée de réagir. Dans un communiqué diffusé sur les réseaux sociaux le 14 novembre, elle déplore «faire l’objet d’une campagne de dénigrement [qui] s’inscrit dans le sillage de celle dont fait l’objet le député de la 8e circonscription du Val d’Oise, M. Carlos Martens Bilongo, et vise à la fois l’association et ses dirigeants». La CIMG annonce que «des poursuites judiciaires sont engagées» pour répondre à «ces propos diffamatoires à caractère raciste [qui] portent gravement atteinte à l’honneur et à la réputation de notre organisation».

Les deux autres clichés publiés par Damien Rieu – montrant Bilongo au pupitre devant un parterre de musulmans venus prier – datent d’une grande prière organisée le 9 juillet par les mosquées de Sarcelles, réunissant leurs fidèles dans un stade en vue de célébrer l’Aïd el-Kebir – une importante fête musulmane. Des photos prises à cette occasion ont notamment été publiées par la page Facebook de la mosquée tenue à Sarcelles par l’association des musulmans d’inspiration sunnite. Ils montrent que le maire Patrick Haddad a également pris la parole. Et si Bilongo y était présent, c’était «en qualité de député pour souhaiter ses vœux aux habitants […] comme il le fait pour la plupart des fêtes religieuses», assure maître Alimi.

«Valeurs actuelles» «pose des questions qui sont tout simplement sans substance»

Dernière salve d’insinuations : celles résultant de l’enquête publiée par le magazine Valeurs actuelles. Le journaliste Antoine You s’est concentré sur le profil de l’ancien employeur de Carlos Martens Bilongo, un certain David Erkan, à la tête de la société AZ Metal, où le désormais député a exercé la profession de conducteur de travaux de 2012 à 2018. D’après les informations fournies par une «source judiciaire» – dont Antoine You maintient auprès de CheckNews qu’elle travaille dans un tribunal –, David Erkan serait proche du PKK, le Parti des travailleurs du Kurdistan, organisation qui s’oppose en Turquie à Erdogan. Il serait doté d’un lourd casier judiciaire, avec à son actif des condamnations pour détention frauduleuse de faux documents, exécutions d’un travail dissimulé, ou encore escroquerie. Et il aurait contribué, par l’intermédiaire d’une structure servant à blanchir de l’argent, au financement d’opérations terroristes. Arié Alimi s’étonne du contenu de cet article : «Valeurs actuelles pose des questions qui sont tout simplement sans substance, parce que mon client ne peut pas être responsable de faits qui sont reprochés à son ex-employeur.»

Là où Carlos Martens Bilongo se compromettrait, selon le magazine, c’est à travers l’usage d’un local appartenant à Kucuk Buyrukcan, un proche de David Erkan, où «le QG de campagne de Bilongo s’est installé», selon Antoine You. Dans son enquête, ce dernier écrit aussi qu’«en juin, le candidat de la Nupes a même posé tout sourire avec l’homme d’affaires, au cours de la campagne législative, comme le montrera une photo publiée au soir de sa victoire sur Facebook, où les deux hommes sont “amis”.»

Arié Alimi écarte l’affirmation concernant le local, qui «a été utilisé postérieurement à l’élection, une fois, pour fêter le succès de la campagne». Dans une attestation sur l’honneur transmise à CheckNews, Kucuk Buyrukcan confirme «avoir mis à disposition la cour et [son] local vide dans la soirée du 19 juin», soit le soir du second tour des législatives, tout en insistant sur le fait «que [ses] bureaux n’ont pas fait office de local de campagne pour monsieur Bilongo».

S’agissant de la photo postée le même soir sur Facebook, elle s’accompagne d’un message dans lequel David Erkan félicite «notre député carlos [sic]». «Cette photo date de 2014, réagit Carlos Martens Bilongo. On voit que j’ai plus de cheveux, que je suis un peu plus grand, bref, que j’ai 23 ans. Dans l’article, ils disent que le soir de la victoire, on était ensemble. Mais le fait qu’il poste la photo ce jour-là ne signifie pas qu’on était ensemble le même jour.» Le député regrette que son ancien employeur se retrouve dans «les dommages collatéraux», et indique que David Erkan a lui aussi engagé des poursuites contre Valeurs actuelles.