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Quelle inflation sur l’alimentation en 2023 ? « On peut parler de 10 ou 15 % sur certains produits »

L’augmentation des prix des produits alimentaires a déjà atteint 12 % en octobre. Doit-on craindre, pour 2023, « un tsunami d’inflation » comme le prédit Michel-Édouard Leclerc ?

Oui, bien sûr. L’inflation est dans le tuyau, elle s’est introduite dans l’économie, d’abord par l’énergie avec des hausses de 35 à 40 %, et a frappé les deux professions les plus sensibles, les pêcheurs et les agriculteurs, débouchant sur une explosion des prix de leurs produits. Dans un second temps, les consommations intermédiaires des industriels (carton, papier, verre) ont subi des augmentations très importantes. Plus un produit est transformé, moins le poids de la matière première est fort, et derrière, il faut aussi compter du travail, du packaging, du marketing et de la logistique, qui, chacun à leur manière, sont touchés par une hausse des coûts. On assiste aujourd’hui à une accumulation d’inflation, que certains industriels et distributeurs ont un peu contenue en prenant sur leur marge. Mais ce n’est plus possible aujourd’hui. Le surplus d’inflation va être soldé lors de ces négociations commerciales et on peut parler de hausse de 8, 10 ou 15 % sur certains produits.

Brest (29) Olivier Mevel , enseignant chercheur à l'Université de Bretagne occidentale.
Les négociations commerciales qui s’annoncent tendues entre l’industrie agroalimentaire et la grande distribution pourraient conduire à des déréférencements de produits dans les hypermarchés, et à des refus de livraison par certains industriels, estime Olivier Mével. (Archives Le Télégramme)

Les industriels qui n’ont pas réussi à faire passer des hausses de prix en 2022 vont-ils se rattraper en 2023 ?

Oui, surtout les petites entreprises et notamment celles qui proposent des produits locaux. Beaucoup d’entre elles n’avaient pas réussi à faire prendre en compte totalement cet effet inflationniste?. Mais au final, ce sont tous les types de produits qui vont voir leurs prix augmenter, que ce soit les marques locales des PME-PMI, les marques de distributeurs et les grandes marques.

Quelles seront les conséquences si les enseignes de la grande distribution, en pleine guerre des prix, n’acceptent pas de payer les fortes augmentations demandées par les industriels ?

Il y aura des déréférencements de produits dans les hypermarchés, et des industriels vont refuser de livrer. Les distributeurs sont en train de raccourcir leur offre : aujourd’hui, quand vous allez chez Leclerc, Carrefour, Intermarché, etc. et que vous cherchez un filet de poulet, vous comptez plus d’une dizaine d’offres. Chez Lidl, vous en avez deux. Les enseignes de la grande distribution vont resserrer leur assortiment, sous couvert de ne pas accepter des prix en hausse, mais aussi parce qu’il y a cette volonté tactique de contrer Lidl et Aldi, qui progressent sur les classes moyennes parce qu’ils ont une offre plus claire et lisible.

On voit bien que les circuits courts et la vente directe ont des effets anti-inflationnistes

La grande distribution peut-elle jouer sur ses marges pour amortir le choc de prix ?

Oui, car dans ce contexte inflationniste, la guerre des prix va être plus que jamais d’actualité. La part de marché d’un distributeur dépend de son image-prix, de sa capacité à maintenir les prix les plus bas, le plus longtemps possible, au travers de son assortiment de fond de rayon et de ses promos. Si les consommateurs ne le perçoivent pas, ils changeront d’enseigne. On peut donc s’attendre à des négociations commerciales qui vont être terribles, parce que le distributeur joue sa part de marché, plus que tout.

Pour moins subir l’augmentation des prix alimentaires, vous préconisez d’aller faire ses courses dans des magasins de producteurs, pourquoi ?

Les magasins de producteurs présentent beaucoup de produits bruts dont les prix augmentent beaucoup moins que les produits transformés de la grande distribution. On voit bien que les circuits courts et la vente directe ont des effets anti-inflationnistes. Un exemple : vendredi, je réalisais des relevés de prix aux Terroirs de l’Elorn, à Sizun (29). J’ai fait remarquer aux agriculteurs que leurs prix étaient très sages et qu’ils vendaient les légumes parmi les moins chers de la région. Ils m’ont répondu avoir un peu augmenté leurs prix tout en maintenant normalement leur marge. Par ailleurs, quand on fait ses courses dans ces magasins, on fait des économies car on met le couteau dans le fruit, le légume, la viande : on fait à manger, ce qui coûte moins cher que d’acheter du produit transformé.

Les Français vont-ils se replier massivement vers des produits d’entrée de gamme et se détourner du bio ?

La descente en gamme va être très forte. Une large majorité des Français vont fuir la qualité devant les prix. Dans l’alimentaire, ils quittent le bio alors que, paradoxalement, la cosmétique bio ne s’est jamais aussi bien portée. Il y a des phénomènes contradictoires entre catégories de produits. Hélas, l’alimentation est souvent une variable d’ajustement. C’est terrible parce que la qualité nutritionnelle des repas va en pâtir.

On estime ne pas être parti pour une inflation d’un an mais vers une inflation décennale

Les agriculteurs sont-ils protégés contre cette bataille des prix, notamment grâce à la loi Egalim 2 ?

Ce ne sont pas les lois Egalim 1 ou 2 qui les protègent mais tout simplement la dissymétrie entre l’offre et la demande. Les agriculteurs ont tellement souffert de l’absence de prix leur permettant de gagner leur vie honnêtement que beaucoup ont changé de production ou ont quitté le métier. On arrive aujourd’hui dans une situation où la décapitalisation du cheptel laitier et bovin conduit à une raréfaction de l’offre. C’est donc la loi de l’offre et de la demande qui vient au secours des agriculteurs bien plus que le cadre réglementaire d’Egalim 1 ou 2.

L’inflation des produits alimentaires n’est-elle qu’un phénomène temporaire et quand peut-on espérer un retour à la normale ?

Quand j’échange avec mes collègues espagnols, allemands, américains, on estime ne pas être parti pour une inflation d’un an mais vers une inflation décennale : avec, derrière, le changement climatique et un cadre réglementaire pour une nouvelle croissance verte. On va devoir s’habituer à vivre dans un contexte inflationniste, ça veut dire que l’on va devoir changer nos habitudes pour « construire » notre assiette. La meilleure des choses à faire est de reprendre goût à la cuisine, aux épluchures, à manger des légumineuses, des produits structurellement pas chers au kilo, de quitter les produits transformés et d’arrêter la junk food et de se faire livrer du Uber Eats, du Deliveroo, du Just Eat, qui appauvrissent particulièrement les jeunes.

* Olivier Mével est enseignant chercheur à l’Université de Bretagne occidentale (UBO), spécialiste en sciences de gestion, commerce, logistique et distribution?.