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Quels scénarios possibles pour le vote de la réforme des retraites à l’Assemblée nationale ?

A partir du 6 février, le projet est examiné en séance publique. Faute de majorité absolue, le gouvernement n’a pas gagné par avance la bataille parlementaire.

« J’appelle les partis de la majorité, Renaissance, Horizon, MoDem, à faire bloc pour défendre la réforme des retraites », a insisté le ministre de l’économie, Bruno Le Maire, dans le Journal du Dimanche (JDD), à quelques jours de l’examen du projet de loi en séance publique à l’Assemblée nationale, lundi 6 février.

Si l’heure est à la mobilisation, c’est parce que le gouvernement ne peut s’appuyer que sur 249 députés à l’Assemblée nationale, soit quarante voix de moins que la majorité absolue. Faute de celles-ci, les députés macronistes comptent sur l’appui des Républicains (LR), pour l’adoption du texte dans l’Hémicycle et au Sénat, chambres majoritairement de centre et de droite. Mais rien n’est acquis pour l’heure pour la majorité qui pourrait avoir à composer avec le refus de certains députés LR, voire avec des défections dans ses rangs.

Plusieurs scénarios sont possibles :

Un vote sans faille de toute la majorité et de la droite

C’est le scénario le plus favorable au gouvernement : 249 députés de la majorité (Renaissance, Horizon, MoDem) et 62 députés LR alliés pour voter la réforme des retraites représentent une majorité confortable : 311 voix sur 577.

Sur le fond, il n’est pas étonnant que les deux partis se rejoignent sur ce projet. Depuis 2018, les sénateurs LR souhaitent réformer le système actuel des retraites en, notamment, repoussant l’âge légal de départ à la retraite fixé actuellement à 62 ans et en accélérant l’allongement de la durée de cotisation. Néanmoins, le parti de droite est plus favorable à un report à 64 ans plutôt qu’à 65 ans comme envisagé par le gouvernement. Pour s’assurer de son soutien, l’exécutif a finalement concédé sur ce point.

Pour s’assurer du soutien de la droite, le gouvernement a déjà fait quelques concessions en fixant l’âge légal de départ à 64 ans au lieu de 65 ans et en étendant aux retraités actuels la revalorisation des plus petites pensions pour des carrières complètes. Cette alliance de circonstance a été formalisée début janvier. « La situation budgétaire, démographique et économique impose cette réforme », avait déclaré Eric Ciotti, le président du parti de droite, au JDD.

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Des défections de députés macronistes ou LR

Pour le gouvernement, la marge de manœuvre est faible. Il suffirait de vingt-trois défections dans les rangs de la majorité et de LR, pour que l’adoption de la mesure en première lecture à l’Assemblée nationale soit mathématiquement impossible. Entre vingt et trente élus de cette majorité de circonstance disent qu’ils ne voteront pas le texte, selon différents décomptes réalisés par des médias (Libération et Radio France). Des décomptes à considérer toutefois avec toutes les précautions nécessaires, tant les positions peuvent varier.

L’avenir de la réforme au Palais-Bourbon pourrait donc se jouer à quelques voix. Conscients de leur rôle stratégique, certains élus de droite ont exprimé des demandes claires, comme le vote d’un amendement pour que « tous ceux qui ont au moins un trimestre avant (…) 21 ans puissent partir avant l’âge légal dès lors qu’ils ont tous leurs trimestres, sans décote », explique l’élu LR du Pas-de-Calais, Pierre-Henri Dumont, au micro de RMC.

Le chef de groupe LR à l’Assemblée, Olivier Marleix, insiste : « Je ne donne pas de chèque en blanc au gouvernement (…). On compte bien sur le fait qu’il soit amendé comme on le demande. » Le projet de loi est en commission des affaires sociales jusqu’à mercredi 2 février et des amendements seront examinés et votés en séance publique à partir du 6 février.

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Un onzième recours au 49.3

S’il ne parvient pas à convaincre les députés, le gouvernement a encore une option, désormais bien connue : le recours au 49.3. Cet article de la Constitution permet à la première ministre d’« engager la responsabilité du gouvernement devant l’Assemblée nationale ».

Le Monde

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Si la cheffe du gouvernement engage cette procédure, les députés ont la possibilité de déposer une motion de censure dans la foulée. Si elle est soutenue par la majorité des députés, le projet de loi est rejeté et le gouvernement est renversé. Sinon, le texte est adopté et passe devant le Sénat pour un examen.

Elisabeth Borne a déjà utilisé à dix reprises cette arme constitutionnelle pour faire adopter les différents volets du budget de l’Etat et de la Sécurité sociale à l’automne, ce qui avait déjà été décrié comme un « passage en force » par les oppositions de gauche et d’extrême droite. Le risque est d’accroître une mobilisation sociale déjà forte – entre 1,2 million et 2 millions pour la première manifestation.

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L’article 47.1 pour gagner du temps

Moins connu et moins brutal en apparence que le 49.3, un autre outil de la Constitution pourrait être utilisé par le gouvernement : l’article 47.1, réservé aux textes budgétaires. Cela tombe bien puisque la réforme des retraites est justement présentée sous forme de projet de loi de financement rectificative de la Sécurité sociale (PLFSSR). Cet article limite l’examen du texte par le Parlement à cinquante jours. Si les discussions excèdent cette durée, « les dispositions du projet peuvent être mises en œuvre par ordonnance ».

Les députés ont vingt jours pour se prononcer en première lecture avant que le texte ne passe dans les mains des sénateurs qui, eux, disposent de quinze jours. Faute d’accord, une commission mixte paritaire, composée de sept députés et sept sénateurs, est formée pour quinze jours supplémentaires. Les parlementaires ont donc jusqu’au 26 mars.

Mais plusieurs constitutionnalistes alertent sur l’usage de cet article, et les risques que la loi soit partiellement censurée par le Conseil constitutionnel.

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Le risque de censure du Conseil constitutionnel

L’article 47.1 est initialement prévu pour les projets de loi sur le financement initiaux qui sont examinés à l’automne. Il est alors urgent de voter un budget avant la fin de l’année pour assurer les versements de prestations. Dans le cas de la réforme des retraites, la nécessité d’agir vite n’est pas évidente : « Nulle urgence », estime Benjamin Morel, maître de conférences en droit public, dans une tribune au Monde.

De plus, un PLFSS ne doit comporter que des dispositions d’ordre financier. Selon Le Canard enchaîné, Laurent Fabius, président du Conseil constitutionnel, a averti que : « (…) tout ce qui est hors champ financier peut être considéré comme un “cavalier budgétaire” [sans rapport avec le projet de loi], et, dans ce cas, il faudrait un deuxième texte. » Il cite notamment l’index d’emploi des seniors ou les modifications de critères de pénibilité parmi les mesures qui pourraient être censurées.

L’ultime méthode pour les oppositions : la motion référendaire

Il s’agit sans doute du scénario le plus improbable. La Nouvelle Union populaire écologique et sociale (Nupes) et le Rassemblement national (RN) ont déposé, chacun de leur côté, une motion référendaire, c’est-à-dire une demande d’organisation d’un référendum sur le projet de loi. Mardi 31 janvier, la conférence des présidents de l’Assemblée a choisi, par tirage au sort, que seule celle du RN de Jordan Bardella sera débattue dans l’Hémicycle le 6 février.

Toutefois, sa mise en œuvre est soumise à de telles conditions qu’il est quasi inenvisageable que la motion aboutisse. Concrètement, en séance publique du PLFSSR les députés auront à se prononcer sur cette motion. S’il y a majorité des suffrages (ce qui implique que la Nupes vote la motion du RN), les discussions à l’Assemblée sont suspendues et la motion est transmise au Sénat (acquis aux Républicains, donc a priori défavorable à cette idée) qui a trente jours pour l’adopter. En cas d’approbation par les deux chambres du Parlement, c’est au président de la République de soumettre un référendum, en vertu de l’article 11 de la Constitution. Mais rien ne l’y oblige.

Dorian Jullien