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Qui sont les derniers opposants à Vladimir Poutine ?

Leur seul tort : ne pas être d’accord. En Russie, les opposants au président Vladimir Poutine ont de plus en plus de mal à exister politiquement. Les voix discordantes sont systématiquement muselées par le pouvoir, et la répression entamée par le Président depuis son arrivée au pouvoir en 2000 ne laisse que peu de choix aux détracteurs. Ils sont poussés à l’exil, emprisonnés, parfois tués. Après un nouveau tour de vis en 2021, la répression s’est encore accélérée depuis le début de la guerre en Ukraine. Peu après février, le Kremlin a ajouté plusieurs articles au code pénal pour punir ceux qui «discréditent» l’armée ou «publient de fausses informations» à son sujet. Des lois suffisamment vagues pour poursuivre tout critique. Pour autant, quelques voix résistent encore, souvent au prix de leur liberté.

Ilia Iachine, critique moscovite de la guerre en Ukraine

Dernière condamnation en date : Ilia Iachine, reconnu coupable ce vendredi d’avoir diffusé de «fausses informations» sur l’armée russe. Il avait dénoncé dans une vidéo en direct sur YouTube «le meurtre de civils» dans la ville ukrainienne de Boutcha, où l’armée russe avait été accusée d’exactions en avril. Pour ce crime – ne pas avoir repris la rhétorique du pouvoir qui niait toute responsabilité dans les exactions – il a écopé de huit ans et demi de prison.

L’opposant âgé de 39 ans a commencé le militantisme très jeune, dès les années 2000, dénonçant régulièrement les injustices et la corruption. Elu localement dans un quartier du nord de Moscou en 2017, il avait mené son mandat sur le terrain et sur sa chaîne YouTube au million d’abonnés. Depuis le mois de février, Ilia Iachine poursuit ses critiques et dénonce régulièrement l’offensive russe. Il continuera sans doute à communiquer depuis sa cellule, via son compte Telegram, comme c’est déjà le cas depuis son arrestation en juin.

Vladimir Kara-Murza, militant pro-démocratie sorti deux fois du coma

Un autre opposant s’apprête à connaître sa peine. Il s’agit de Vladimir Kara-Murza, ancien journaliste, militant pro-démocratie et proche de plusieurs autres opposants. Il avait milité aux Etats-Unis dans les années 2010 pour l’adoption d’une loi sanctionnant les Russes auteurs de violations de droits de l’homme. Il avait tenté de se présenter pour des élections régionales en 2013, mais le Kremlin avait bloqué sa candidature parce qu’il détient une double nationalité, russe et britannique. Il affirme avoir été empoisonné à deux reprises, en 2015 et 2017. Plongé dans le coma à chaque fois, l’homme de 41 ans avait frôlé la mort.

Actuellement en prison, Vladimir Kara-Murza sortira de détention préventive lundi 12 décembre, avant son procès. Il a été arrêté à Moscou en avril après avoir critiqué l’offensive en Ukraine, notamment sur les réseaux sociaux. Il est inculpé pour «diffusion de fausses informations» sur l’armée russe et risque dix ans de prison. En août, il fait face à une nouvelle accusation : il est soupçonné d’avoir travaillé pour une organisation désignée comme «indésirable» en Russie. Une référence à une conférence sur les prisonniers politiques qu’il a organisée en 2021. En octobre, les autorités ajoutent une dernière inculpation : «haute trahison». Ce crime est passible de vingt ans de prison, une peine qui peut être alourdie si le suspect est visé par plusieurs chefs d’accusation. Ce qui est son cas. Le Conseil de l’Europe lui a décerné son prix Vaclav-Havel 2022 des droits de l’Homme.

Evgueni Roïzman, opposant depuis Ekaterinbourg

La machine à répression russe a aussi touché Evgueni Roïzman, ancien maire de Ekaterinbourg, grande ville située à 1 700 km à l’est de Moscou. On lui reproche également une vidéo dans laquelle il discrédite l’armée. Roïzman, 60 ans, a simplement parlé de «l’invasion de l’Ukraine» au lieu de parler d’«opération spéciale», la terminologie officielle en vigueur. Une phrase qui pourrait lui valoir dix ans d’emprisonnement. Arrêté en août, il est remis en liberté le lendemain en attendant le jugement.

La carrière de Roïzman commence dans les années 90, dans une ville gangrenée par la mafia. Sa lutte contre le narcotrafic et la toxicomanie le fait connaître, malgré des méthodes sévères et décriées au sein de sa fondation Ville sans drogue. Il gravit les échelons politiques jusqu’à ce que le Kremlin limite son influence : son élection en tant que maire en 2018 est annulée. Depuis, il se consacre à sa fondation et aux réseaux sociaux, retweete largement les messages de l’opposant Alexeï Navalny et critique ouvertement le pouvoir.

Alexeï Navalny, critique médiatique

Le plus médiatisé de tous les opposants au pouvoir reste malgré tout Alexeï Navalny. Voix montante de l’opposition dans les années 2010, l’avocat s’est surtout fait connaître à partir de 2019 et son appel au vote intelligent. Alors que Moscou s’apprête à désigner ses élus locaux, il élabore une stratégie pour contrer Russie unie, le parti de Vladimir Poutine : voter pour le candidat le plus susceptible de battre le parti présidentiel. L’opposition remporte alors près de la moitié des sièges, une véritable déroute pour le pouvoir. L’année suivante, il recommence, mais à l’échelle du pays. Le vote intelligent élimine plusieurs candidats de Russie unie, et obtient même des victoires symboliques dans plusieurs villes sibériennes.

L’opposant est donc vu comme une menace. Au cours de l’été 2020, il est victime d’un empoisonnement en Sibérie, qu’il attribue au Kremlin. Evacué en urgence en Allemagne pour y être soigné, il décide malgré tout de revenir en Russie après sa convalescence. L’avion à peine posé sur le tarmac moscovite, Navalny est arrêté, le 17 janvier 2021. Il est depuis emprisonné dans une colonie pénitentiaire réputée pour les mauvais traitements infligés aux détenus. Il milite toujours à travers ses réseaux sociaux, depuis sa cellule, aidé par ses avocats. Il a ainsi qualifié l’offensive en Ukraine de «tragédie» et de «crime contre l’humanité». Son équipe continue par ailleurs à publier des vidéos révélant des cas de corruption à travers le pays, dont la présentation du «palais de Poutine», immense château qui appartiendrait au président, diffusée en janvier 2021.

Pour d’autres opposants, l’exil ou la mort

D’autres opposants ont eu un sort bien plus funeste. C’est le cas d’Anna Politkovskaïa, critique influente de Vladimir Poutine et du chef tchétchène Ramzan Kadyrov, abattue dans le hall de son immeuble à Moscou en octobre 2006. Journaliste à Novaïa Gazeta, média indépendant du pays, elle documentait et dénonçait depuis plusieurs années les crimes de l’armée russe en Tchétchénie.

Sept ans plus tard, une autre figure de l’opposition est tuée de sang-froid : Boris Nemtsov. Ancien vice-Premier ministre et pressenti un temps pour succéder au président Boris Eltsine face à Vladimir Poutine, il était devenu dans les années 2000 un critique majeur du président russe. En 2014, il s’était notamment opposé à l’annexion de la Crimée par Vladimir Poutine et au soutien militaire du Kremlin aux séparatistes de l’est de l’Ukraine. Moins d’un mois plus tard, en février 2015, l’homme politique était assassiné de quatre balles dans le dos sur un pont à quelques dizaines de mètres du Kremlin. Il avait 55 ans. Ilia Iachine, tout comme Vladimir Kara-Murza, étaient proches de Nemtsov.

Pour échapper au sort réservé aux opposants, certains préfèrent l’exil. Dès 2013, c’est l’option qu’a choisie Mikhaïl Khodorkovski, ancien magnat du pétrole. Au début des années 2000, son opposition à Vladimir Poutine lui vaut dix années de prison. A sa sortie de prison, en 2013, il se réfugie à Londres d’où il finance des plateformes d’opposition. De nombreux partisans de Mikhaïl Khodorkovski mais aussi d’Alexeï Navalny ont quitté la Russie depuis 2021, année marquée par un nouveau tour de vis du pouvoir. La répression s’est encore accélérée depuis le début de la guerre en Ukraine, poussant des milliers de soutiens de l’opposition à s’exiler. Même si la critique a un poids moindre depuis l’étranger.