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Racisme en Italie : le poison n’en finit pas de s’insinuer

Meloni, Salvini, Berlusconi… Les noms des trois têtes d’affiche de la coalition bientôt au pouvoir en Italie ont de quoi donner des cauchemars. À eux trois, ils ont sans doute sorti toutes les horreurs xénophobes possibles. Pourtant, 44% des électeurs italiens leur ont donné leur voix. La preuve de la persistance d’un racisme insidieux.

La scène se passe au début du mois de septembre, dans le centre de Florence. Crâne rasé, en bras de chemise, lunettes de soleil de mafieux sur le nez, Alessio di Giulio, conseiller municipal du parti populiste d’extrême droite La Ligue, se filme avec son téléphone à côté d’une femme Rom… et assène avec un grand sourire : « Vous ne voulez plus la voir ? Le 25 septembre, votez pour la Ligue et vous ne la verrez plus.  »

Plus grave encore, quelques semaines plus tôt, Alika Ogorchukwu, un vendeur de rue nigérian (par ailleurs handicapé, se déplaçant avec une béquille) était battu à mort, en début d’après-midi, en plein centre de Civitanova Marche, une ville touristique de la région des Marches, sur la côte Adriatique. Une agression d’une rare violence de 4 minutes, dans l’indifférence générale, comme le montrent les images qui ont circulé sur les réseaux sociaux. Car, à défaut d’appeler à l’aide, les témoins ont pris le temps de filmer…

Voilà l’ambiance délétère dans laquelle se sont déroulées les dernières élections italiennes. Dans ces conditions, peut-on vraiment s’étonner de la victoire de l’alliance droite/extrême droite ? Même si l’on est, malheureusement, habitué depuis longtemps aux outrances xénophobes de Salvini, Berlusconi et Meloni, ce racisme décomplexé, rampant, a de quoi glacer… D’autant plus qu’il n’a pas soulevé, dans chacun de ces cas, des manifestations d’opposition de grande ampleur.

En Italie, ce racisme à l’égard des personnes noires ou maghrébines est relativement récent. Et pour cause… « Nous n’avions pas d’étrangers chez nous », rappelle Erri de Luca, écrivain et poète italien. Pendant longtemps, jusque dans les années 1970, nous étions une terre d’émigration. Les habitants de nos anciennes colonies n’avaient pas l’idée de venir s’installer ici. Il y a eu certes la reprise de l’idéologie coloniale des autres pays européens de la suprématie de la race blanche. Mais c’était très loin de nous.  »

Mais si vous vous imaginez une Italie tel le jardin d’Eden où tous les êtres humains vivent en harmonie avec leurs différences et leurs complémentarités… on vous arrête tout de suite ! Pas d’étrangers bien différents à identifier comme ennemis ? Qu’à cela ne tienne, les Italiens du Nord, plus riches et plus industrialisés, ont trouvé un « autre » à rejeter : les Italiens du Sud, les « terroni », littéralement les « culs-terreux », ces campagnards pauvres du bas de la botte. « Ça va être théorisé par des scientifiques, par exemple l’anthropologue Lombroso ou le sociologue statisticien Niceforo », explique Marie Anne Matard Bonucci, chercheuse en histoire contemporaine associée à Sciences Po, spécialiste du fascisme italien. «  Ils vont développer la thèse selon laquelle, pour des raisons génétiques, la population méridionale serait inférieure. Et ces préjugés antiméridionaux vont rester. C’est devenu culturel  ». Erri de Luca, originaire de Naples, l’a subi personnellement : «  Lorsque j’étais ouvrier à Turin, devant la maison où je vivais, il y avait une pancarte disant « Nous ne louons pas aux Napolitains ». On trouvait les mêmes affiches antiméridionaux devant les bars par exemple.  »

C’est ainsi que s’écoule le 20ème siècle en Italie, dans cette atmosphère particulière… mais sans que se pose réellement la question du « vrai étranger ». Et se développe peu à peu le mythe du « bravo italiano ». «  C’est l’idée qui voudrait que l’Italien par nature et parce qu’il est chrétien est naturellement chaleureux, bon, accueillant, par principe  », résume Michela Marzano, philosophe italienne, professeure à l’Université Paris Descartes. « Donc il n’y aurait pas lieu de s’interroger… En réalité, le peuple italien n’est pas différent des autres. Nous aussi nous avons eu nos lois raciales, et, avant même cela, l’interdiction du métissage, qui aurait remis en cause la soit disant pureté de la soi-disant race italienne. »

Car même si elle a démarré tard, au début du 20ème siècle, l’histoire coloniale italienne a bien existé. Avec d’autant plus de violence qu’elle avait du retard. «  Il y a eu ce discours, notamment du fascisme, selon lequel l’Italie avait droit aussi à sa part du gâteau, à sa place au soleil  », explique Marie Anne Matard Bonucci. « C’est ce qu’on a appelé l’impérialisme du pauvre : la nation italienne prolétaire avait besoin de colonies pour nourrir sa population. Il fallait que les autres pays nantis leur laissent sa part. Et c’est ainsi que l’Italie a colonisé tant bien que mal la Libye, l’Érythrée, la Somalie et une partie de l’Éthiopie.  » Avec toutes les joyeusetés qui accompagnent la conquête : agressivité extrême, massacres de civils, utilisation de gaz en violation des engagements internationaux… Une partie de l’histoire qu’une bonne partie des Italiens eux-mêmes ne connaissent pas. « Le problème de l’Italie, c’est que c’est un pays sans mémoire  », regrette Michela Marzano. « Les gens ne veulent pas se souvenir. C’est l’amnésie généralisée, l’omerta. Je peux en témoigner, je n’ai découvert qu’à l’âge de 50 ans que mon grand-père avait été un fasciste convaincu. Et je ne suis pas la seule. Mais on le cache, on n’en parle pas, on ne débat pas. Résultat, aujourd’hui encore, il y a un certain nombre d’Italiens qui considèrent que Mussolini a fait de bonnes choses et qu’il s’est égaré à cause d’Hitler. C’est quand même incroyable ! Mais tant qu’on n’affrontera pas notre passé, on ne pourra pas le digérer.  »

L’autre problème de l’Italie en matière de racisme serait qu’elle a longtemps été épargnée par… le racisme. «  Contrairement aux autres pays européens, il n’y a pendant longtemps pas eu de parti politique conservateur antisémite ou xénophobe  », explique Marie Anne Matard Bonucci. «  Ajoutez à cela l’absence d’étrangers… et vous comprendrez pourquoi il ne s’est pas développé de mouvement ou de pensée antiraciste comme il peut y en avoir en France avec le MRAP, la Licra ou SOS Racisme. Alors quand les actes ou paroles racistes ont commencé à se faire plus fréquents, les Italiens se sont trouvés démunis.  » Un peu comme un organisme qui n’a jamais été confronté à des agents pathogènes et n’a donc pas pu développer les défenses immunitaires nécessaires pour résister à des microbes.

Car l’Italie a fini par être confrontée plus directement au racisme. Lorsqu’à partir des années 70–80, cette terre d’émigration a commencé à accueillir ses premiers immigrés. Et là, ce peuple qui a vécu personnellement la xénophobie et le rejet, en France ou aux États-Unis notamment, est subitement passé de l’autre côté du miroir. « C’est une histoire banale », regrette Erri De Luca. « Ils ont oublié qu’ils ont été des émigrés jusqu’à quelques décennies plus tôt. Ils ont passé l’éponge sur le passé, comme le font tous ceux qui ont amélioré leur situation économique et sociale. » Et l’arrivée plus visible d’exilés sur les côtes italiennes depuis le début des années 2010 n’a fait que renforcer cette tendance. Et libérer un peu plus ce rejet décomplexé de l’autre. Avec Matteo Salvini et la Ligue d’abord. Et maintenant avec Giorgia Meloni et Fratelli d’Italia. « On va entrer dans une ère où il va devenir banal de tout dire à voix haute », affirme Michela Marzano. « Même les choses les plus choquantes. La grande crainte du peuple de gauche, c’est qu’en Italie, on passe de l’amnésie au sujet des horreurs de notre passé, à leur amnistie. »