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Réchauffement climatique : « Il faut très vite changer d’échelle d’action »

Si vous n’aviez que 30 secondes pour résumer les six rapports du Giec et 10 000 pages publiées dont vous venez de livrer la synthèse ?

Aujourd’hui, il y a un consensus scientifique sur le fait qu’il y a un réchauffement climatique, avec des effets en cascade, et l’on est maintenant sûr que l’intégralité de ce réchauffement est due aux activités humaines et non à une variabilité naturelle. On observe déjà des effets négatifs, sur les écosystèmes, les rendements agricoles, la fonte des glaces, la santé, et l’on sait que chaque fraction de température supplémentaire augmente la fréquence et l’intensité des canicules, des précipitations extrêmes, des sécheresses, donc également les risques, pour la sécurité alimentaire et pour nos infrastructures. La bonne nouvelle, c’est que des solutions existent pour limiter ce réchauffement.

Peut-on encore atteindre l’objectif de diviser les émissions mondiales de gaz à effet de serre par deux d’ici à 2030 pour limiter le réchauffement à +1,5 °C, ou même de 20 à 30 % pour tenir les 2 °C ?

Les émissions mondiales sont aujourd’hui à leur niveau historique le plus haut, à 59 milliards de tonnes de CO2, et restent sur une trajectoire montante, de telle sorte qu’on est déjà à près de +1,2 °C par rapport à l’ère préindustrielle. Et tant qu’on ne sera pas à zéro émission nette (NDLR : objectif 2050 si l’on vise les +1,5 °C), la situation va continuer à empirer. Mais ce que je veux dire, c’est que nous ne sommes pas face à un mur. Si chaque émission génère des risques supplémentaires, chaque émission évitée contribue à réduire les dommages. Pour l’heure, les actions d’atténuation mises en œuvre à tous les échelons - local, national, international - n’ont pas permis d’inverser la tendance ni même de stabiliser le réchauffement, parce qu’elles ne sont pas à la hauteur des objectifs fixés. Il est urgent de changer d’échelle d’action, d’avoir une vitesse, une ambition dans les transformations à opérer beaucoup plus grandes qu’aujourd’hui, et ce, dans tous les secteurs.

Quelles sont les solutions dont nous disposons pour décarboner notre quotidien ?

Mis bout à bout, les petits gestes individuels - éviter de prendre l’avion, prendre son vélo plutôt que sa voiture, manger moins de viande rouge (NDLR : les ruminants produisent du méthane), réduire d’un degré la température chez soi - finissent par compter. Mais ils ne peuvent pas atteindre l’échelle nécessaire s’ils ne sont pas accompagnés de politiques publiques coordonnées qui permettent d’enclencher, développer, financer des solutions et de les rendre accessibles à tous. Ça passe par le développement du télétravail et par la réorganisation des chaînes logistiques pour éviter des déplacements superflus. Par des aides financières, des formations pour accélérer la rénovation thermique des bâtiments et amener des panneaux solaires sur les toits. Par des villes repensées pour faciliter les mobilités douces et la biodiversité. Par le développement des véhicules électriques, à condition que la production de cette électricité ne soit pas elle-même émettrice. Par la lutte contre le gaspillage alimentaire. Ou encore, la plantation de haies et de cultures intermédiaires qui permettent de stocker davantage de carbone dans les sols. Certains investissements sont plus accessibles qu’hier. En dix ans, le prix des panneaux solaires a, par exemple, baissé de 85 %.

On peut tout à fait réduire les émissions sans augmenter les inégalités et la précarité énergétique.

La guerre en Ukraine a mis en évidence notre dépendance aux énergies fossiles…

Elle peut la renforcer ou, au contraire, être une motivation supplémentaire pour en sortir. Tout dépend de la réponse et des alternatives que les gouvernants choisissent d’apporter.

La crise énergétique, l’inflation… occultent l’urgence climatique. Comment, à la fois, aller vers une économie décarbonée et permettre à chacun de se nourrir, de se chauffer… ?

On est dans un monde où il peut y avoir d’autres objectifs légitimes - de réduction des inégalités, d’éradication de la pauvreté, de la faim, d’accès à une énergie fiable pour tous. Ce qui est clair, c’est que le changement climatique est aussi une menace pour ces enjeux-là. En influant sur les rendements agricoles, il fait peser un risque sur la sécurité alimentaire, sur le prix des denrées. Les pays et les individus les plus riches sont les plus émetteurs de gaz à effet de serre. À l’inverse, les populations les plus vulnérables aux effets du réchauffement sont celles qui y contribuent le moins. On peut donc tout à fait réduire les émissions sans augmenter les inégalités et la précarité énergétique. Là encore, tout dépend des politiques mises en place.

Les objectifs de croissance et les objectifs climatiques sont-ils compatibles ?

La question ne se pose pas dans ces termes, mais dans la nécessité d’une transformation collective, globale, de nos modes de vie. Renoncer à certaines activités entraîne inévitablement des pertes d’emplois et de revenus. Investir dans des solutions moins polluantes est créateur d’autres métiers et d’autres richesses. Il appartient aux politiques d’accompagner les conversions. Ce qui est certain, c’est qu’à l’échelle macroéconomique, agir pour réduire les émissions de gaz à effet de serre coûte moins cher que d’en subir les dommages.