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Réforme des retraites : « Aucune caisse de grève n’a pour ambition de remplacer le salaire »

A l’aube du deuxième épisode de mobilisation contre la réforme des retraites, syndicats et grévistes s’organisent. Et parmi les outils essentiels d’une contestation qui pourrait se tenir sur un temps long, les caisses de grève figurent en bonne place. « Le conflit social est un rapport de force. Pour ne pas être les premiers à céder, les grévistes ont besoin de tenir », en particulier sur le plan financier, souligne Stéphane Sirot, historien, spécialiste de l’histoire des grèves et du syndicalisme. Et mardi, les grévistes seront nombreux.

La grève nationale lancée à l’appel de tous les syndicats français touchera tous les secteurs, de la fonction publique aux transports en passant par les services. D’après une carte mise en ligne par l’UNSA, plus de 200 lieux de rassemblements sont déjà répertoriés. Autant que lors de la première journée de mobilisation. Pour soutenir financièrement les grévistes, des caisses de grève formelles et informelles s’organisent donc. Il y a tout d’abord les caisses de grève qui permettent d’anticiper un futur conflit. « Au fur et à mesure que le mouvement ouvrier s’est organisé, ce elles sont devenues des caisses de grève syndicales », explique Gabriel Rosenman, ancien cheminot qui écrit une thèse sur les caisses de grève.

« Montrer que les grévistes sont soutenus »

La CFDT remporte la palme de la caisse de la grève syndicale la plus fournie en France. Elle rassemble 141 millions d’euros et permet de reverser aux adhérents un soutien financier en cas de mouvement social. Avec 7,7 euros promis pour ceux qui ont adhéré il y a plus de six mois, elle ne remplace toutefois pas une journée travaillée. Mais « aucune caisse de grève n’a pour ambition de remplacer le salaire », précise Gabriel Rosenman qui ajoute que les critères varient selon les mobilisations. « C’est plutôt pour soulager le portefeuille de ceux qui suivent les grands mouvements », abonde Stéphane Sirot, ajoutant que le phénomène est encore plus vrai dans l’Hexagone où le taux de syndicalisation (10,3 % en 2019) est assez faible. Grands grévistes qui enchaînent les journées non travaillées, parents isolés, couples de grévistes… A chaque caisse de grève ses critères de priorisation.

Une autre forme de caisse de grève, plus informelle, existe en temps de grandes mobilisations. Il s’agit des appels aux dons, comme celui lancé par la CGT info’com, un syndicat qui réunit notamment les salariés de la publicité et de l’édition, pour la mobilisation contre la réforme des retraites. « Ces caisses éphémères sont de nature plus politique. Elles permettent de montrer que les grévistes sont soutenus, qu’ils ne sont pas isolés. Ça leur donne la motivation de continuer », décrypte Gabriel Rosenman. Parfois, les élans de générosité sont exceptionnels. « Durant la grève des mineurs de 1963, plusieurs millions de francs ont été récoltés. En 2018, plus d’un million a été récolté pour les cheminots et en 2019 près de cinq millions », rappelle cet expert des caisses de grève.

Des spectacles, des soupes et des cagnottes

Le phénomène n’est d’ailleurs pas nouveau. « Depuis le commencement de l’histoire des grèves, il y a toujours eu des secours de grève. Aujourd’hui, il s’agit de secours en argent, avant c’était beaucoup plus des secours en nature », retrace Stéphane Sirot. Le spécialiste de l’histoire de la grève relève que les donations peuvent être très diverses, de la collecte organisée nationalement à l’initiative individuelle. « Dans l’entre-deux-guerres, par exemple, des artistes assez célèbres participaient à des spectacles dont l’entrée payante allait dans la caisse de grève. Dans certaines mobilisations, des soupes communistes servaient gratuitement à manger aux grévistes. Et hier, j’ai vu sur Facebook une personne qui mettait en vente un de ses tableaux en soutien aux grévistes », illustre Stéphane Sirot, évoquant un « foisonnement d’initiatives ».

Car le soutien ne s’organise pas que dans la rue. Et si beaucoup s’inquiètent que le don remplace la grève et affaiblisse le mouvement, il s’avère que ce n’est qu’un moyen d’expression de la contestation parmi d’autres. Gabriel Rosenman a créé un questionnaire afin d’en savoir plus sur les donateurs de la caisse de solidarité, qui a récolté plus de 4 millions de dons depuis 2016. Plus de 5.000 donateurs ont accepté de répondre à ce questionnaire et, parmi eux, 66 % ont participé à d’autres activités de soutien à la grève comme des manifestations. « Les donateurs ont des profils divers. Certaines personnes souhaitent soutenir le mouvement mais n’ont pas la capacité matérielle ou légale de faire grève, par exemple les indépendants, les retraités ou les chômeurs. Parfois, ce sont des salariés pour qui il est plus compliqué de faire grève eux-mêmes et y voient une forme de délégation », énumère l’ancien cheminot.

Changer « le périmètre de la solidarité » avec Internet

La mobilisation se fait aussi en ligne. Un collectif de steamers a lancé la chaîne « PiquetDeStream » sur Twitch afin d’encourager le mouvement social, de « faire vivre la grève en ligne » et de récolter des fonds pour les caisses de grève. Une initiative similaire avait émergé avec la chaîne « Recondustream » il y a quatre ans. Toutefois, « l’appropriation des outils numériques est assez récente. La première utilisation massive des cagnottes en ligne date de 2016 », souligne Gabriel Rosenman. Créer la continuité entre la rue et les méandres d’Internet est une idée rentable pour les mouvements sociaux. « En ligne, on change le périmètre de la solidarité. Les donateurs ne sont parfois pas de la même profession ou du même lieu géographique », note-t-il.

Grâce à Internet, les grévistes peuvent donc trouver du soutien financier auprès de personnes qu’ils n’auraient pas pu atteindre autrement. Que les dons soient effectués via une cagnotte en ligne ou un chèque glissé dans une boîte aux lettres, ils restent vitaux pour qu’un mouvement ne s’essouffle pas. « L’argent est une part incontournable de la pratique de la grève », acquiesce Stéphane Sirot. « Les adversaires du conflit comptent là-dessus, ils attendent que les gens s’épuisent et laissent pourrir la situation », ajoute-t-il. Avec ses euros, la caisse de grève permet de donner quelques billes en plus aux grévistes. De quoi peser plus lourd et plus longtemps dans le rapport de force alors que 72 % des Français sont opposés à la réforme des retraites, d’après un sondage de l’institut Elabe publié mercredi dernier.